Rencontre avec Diane Kruger : “Les rôles sont plus intéressants pour les femmes d’un certain âge”
La sublime actrice allemande, adoubée par le cinéma français et vue chez Quentin Tarantino et Robert Zemeckis, a récemment brillé en tant que maîtresse de cérémonie aux César, en février 2024 et en héroïne hitchcockienne dans le thriller érotique Visions, en 2023. Alors qu’elle joue dans le film Saint-Ex, qui sort ce mercredi 11 décembre au cinéma, retour sur notre rencontre avec une artiste sensible et élégante.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Audacieuse, trilingue et ultra talentueuse, l’actrice allemande à la beauté hitchcockienne Diane Kruger, 48 ans, se révèle aussi à l’aise dans des comédies françaises populaires que dans des blockbusters hollywoodiens ou des films indépendants. On la croise chez Alice Winocour, Fatih Akın, Guillaume Canet, Cédric Klapisch, Denys Arcand, Benoît Jacquot et Fabienne Berthaud. Mais aussi dans les spectaculaires Troie (2004), Benjamin Gates et le Livre des secrets (2007), Inglourious Bastards (2009)de Quentin Tarantino, face à Brad Pitt et 355 (2022) aux côtés de Jessica Chastain et Penélope Cruz.
Une actrice phare du cinéma international
Récompensée en 2017 au Festival de Cannes par un prestigieux prix d’interprétation féminine (pour le puissant In the Fade), l’ex-mannequin magnétique était à l’affiche, en septembre 2023, de l’hypnotique Visions, un thriller psychologique et érotique aux accents lynchéens signé Yann Gozlan (Boîte noire).
Puis elle brillait (en Jean Paul Gaultier haute couture par Simone Rocha) aux César 2024 (ce 23 février 2024), lors desquels elle était maîtresse de cérémonie. Et au Festival de Cannes 2024, où elle présentait Les Linceuls de David Cronenberg. Alors qu’elle est à l’affiche du film Saint-Ex, sur Antoine de Saint-Exupéry, ce mercredi 11 décembre, retour sur notre rencontre avec une comédienne aussi intense que charismatique.
L’interview de l’héroïne du film Saint-Ex
Numéro : Vous êtes l’héroïne de Saint-Ex (avec Vincent Cassel et Louis Garrel) ainsi que de nombreux projets à venir tels que les films Les Linceuls de David Cronenberg et Longing (avec Richard Gere) ou la série sur Marlene Dietrich de Fatih Alkin…
Diane Kruger : La série sur Marlene est encore au stade de projet. Pour le film de Cronenberg, c’est l’un de ses films les plus personnels. Je joue plusieurs personnages de ce long-métrage qui a été inspiré par sa femme, qui est décédée. J’incarne un personnage inspiré par sa femme et Vincent, un personnage inspiré par David Cronenberg. C’est très émouvant de faire partie de cette aventure. Et c’est un vrai rêve qui se réalise car je suis très fan de Cronenberg.
Est-ce que recevoir le prix d’interprétation à Cannes (pour le film In the Fade, sorti en 2017) a changé quelque chose dans votre vie ?
C’est difficile à dire. Je pense que les rôles qui sont venus après In the Fade, c’est aussi parce que j’étais plus vieille. Finalement, les rôles sont plus intéressants pour les femmes d’un certain âge (rires). Mais c’est vrai que ce film reste une belle carte de visite. Je pense que si un metteur en scène songe à m’employer, c’est l’un des longs-métrages qu’il va regarder. Après, c’est plus pour moi que ça a changé des choses, dans ma tête. Cette récompense a bouclé la boucle car à mes débuts, car le festival de Cannes m’a accompagnée tout au long de ma carrière, et ce d’une manière assez incroyable. Donc c’était un moment très émouvant pour moi de recevoir ce prix d’interprétation féminine.
Quelles sont les grands différences entre un film français et un film américain ?
La vraie différence, c’est le montage financier. Certes, les tournages sont plus petits en France. Mais la différence principale, c’est qu’en France, on a des subventions de l’État et les films sont montés par des chaînes télé ou des boîtes privées et le cinéma fait partie intégrante de la culture. Aux États-Unis, ce sont d’énormes corporations qui sont derrière les films, comme AT&T, donc ils ont des intérêts complètement différents. Le pouvoir des studios est beaucoup moins transparent et plus destiné à faire un profit. L’écart entre les artistes, les scénaristes, les acteurs et les studios est très large. Le dialogue est coupé car le business model, avec notamment, l’arrivée des plateformes, a tout a changé. Et l’intelligence artificielle constitue un vrai danger pour les scénaristes car les studios peuvent acheter des scénarios tout faits, qu’ils peuvent ensuite retravailler par des êtres humains. Il faut protéger l’originalité et l’emploi des gens.
Le sujet semble vous mettre en colère…
Ce n’est pas normal que les studios soient immensément plus riches que les artistes. Certains scénaristes et acteurs ne peuvent plus vivre. Ils sont exploités, avec des horaires de travail incroyables. Et l’intellect n’est plus du tout valorisé. J’ai lu les échanges entre la SAG (Screen Actors Guild, un syndicat américain représentant plus de 160 000 acteurs, figurants, et professionnels des médias travaillant pour le cinéma) et les studios, et on sent un vrai mépris de la part des studios envers les scénaristes et les acteurs. Je ne sais pas combien de temps ça va durer quoi mais Il faut régler tout ça au plus vite.
“Chaque film, même un pas très bon, vous apporte quand même quelque chose.”
Diane Kruger
Vous avez tourné pour beaucoup de grands réalisateurs américains comme Quentin Tarantino ou Robert Zemeckis … Qu’avez-vous appris à leurs côtés ?
Bien sûr, mais chaque film, même un pas très bon, vous apporte quand même quelque chose (rires). Là, on parle de metteurs en scène qui, en plus, ont la chance de pouvoir avoir un final cut, qui sont moins contraints que par les studios, donc c’est une chance. Je n’ai rien contre le cinéma américain, au contraire, il me fait beaucoup rêver. C’est juste que c’est autre chose qu’en Europe. Et c’est pour ça que j’adore regarder des films des années 80-70 : le cinéma à l’époque était très différent, plus libre.
Quand vous allez au cinéma, qu’allez-vous voir ?
Ça dépend en fait, mais maintenant que j’ai une fille, je vais voir beaucoup de dessins animés. Là, on a vu Ninja Turtles: Teenage Years. Ma fille a aimé, moi moins (rires). J’aime autant regarder des films indépendants que des films plus gros. Avec mon amoureux (l’acteur Norman Reedus), on regarde beaucoup de films et de séries, sur des plateformes de streaming, à la maison, et on n’est pas toujours d’accord sur le choix du programme du soir.
Pourriez-vous tourner un film diffusé sur une plateforme ?
Oui, tout à fait. J’ai déjà joué dans des séries (The Bridge, Fringe, H24, Swimming with Sharks). Et ça ne me gênerait pas de jouer dans un film diffusé sur une plateforme. Je comprends le discours qui consiste à refuser, mais mon travail, c’est de jouer, donc si un beau projet arrive, cela pourrait me tenter.
Diane Kruger“L’association mode et cinéma est tout à fait logique. Mais ça ne doit pas devenir de la pub…”
Vous avez écrit un livre, A Name from the Sky, sorti en 2022…
C’est un livre en anglais (traduit en allemand) pour enfants de plus de 4 ans, illustré. En fait, c’est un peu l’histoire de mon enfance mélangée avec la naissance de ma fille et ça parle de l’importance des noms et de leurs significations. Ma fille s’appelle Nova Tennessee et j’explique d’où ça vient (« Nova » signifie « nouveau » et symbolise un nouveau départ tandis que Tennessee, c’est le lieu où Diane Kruger a appris qu’elle était enceinte).
Vous avez été mannequin. Comment voyez-vous les liens entre la mode et le cinéma…
Chanel et Saint Laurent sont des maisons très impliquées dans le cinéma. D’ailleurs, c’est Saint Laurent qui coproduit le film Les Linceuls (The Shrouds). C’est une association tout à fait logique. Et cela remonte à loin. Dans les années 50, Givenchy habillait déjà Audrey Hepburn… Par contre, ça ne doit pas devenir de la pub…
Qu’est-ce qui vous a séduite dans le film Visions ?
C’est toujours un ensemble. Je cherchais vraiment un film pour revenir en France. Depuis Tous nous sépare (2017), je crois, je n’avais tourné en France, mais surtout dans des projets américains. Puis j’ai eu ma fille et après, j’ai fait une pause de huit mois. Et il y a eu le Covid qui nous a bloqués aux États-Unis. J’étais prête à revenir et Yann (Gozlan, le réalisateur) m’a envoyé le scénario de Visions, qui devait se tourner un an plus tôt que prévu. J’avais beaucoup aimé son film Boîte noire (2021) et j’ai adoré ce nouveau scénario. J’adore les thrillers psychologiques. Et le rôle d’Estelle, qu’il me proposait, était super.
“Beaucoup de gens prennent l’habitude d’avoir l’air de tout contrôler et d’être heureux. Mais une autre vie se dessine une fois la porte fermée.”
Diane Kruger
Vous incarnez, dans Visions, Estelle, une pilote de ligne complexe, parfaite en apparence, mais qui se révèle de plus en plus torturée et sombre…
J’aime beaucoup les personnages qui sont au premier regard peu lisibles, qui apparaissent d’une certaine manière et qui se dévoilent différemment au fur et à mesure d’un film. Je trouve que c’est très intéressant car on peut s’identifier à ce qu’ils traversent. Beaucoup de gens prennent l’habitude d’avoir l’air de tout contrôler et d’être heureux. Mais une autre vie se dessine une fois la porte fermée.
Qui vous a inspirée pour ce rôle ?
C’est un personnage de femme très moderne qui ressemble à des femmes que je connais. C’est quelqu’un qui a d’abord privilégié sa carrière et comme beaucoup de femmes aujourd’hui, elle arrive à un âge où avoir un enfant devient moins facile.
C’est un rôle très physique où vous courez, nagez… Comment vous êtes-vous préparée physiquement ?
La nage était très longue à maîtriser car Yann (le réalisateur de Visions) tenait à ce que ce soit du crawl et que je sois aussi au point que possible. Je nageais déjà, mais normalement, tranquillement, à mon rythme (rires). Donc je me suis entraînée, notamment chez moi, à New York, pendant des mois, mais aussi avec un coach. Yann est un très bon nageur et je crois, de toute façon, que le personnage d’Estelle lui ressemble beaucoup. Comme on peut le voir dans la mise en scène de Visions, Yann est quelqu’un de très carré, précis, dans le contrôle, qui tourne beaucoup. C’est un vrai bosseur. Estelle ne me ressemble pas vraiment mais j’ai beaucoup d’empathie pour ce personnage parce que ça a pu m’arriver, certainement, dans ma vie, de tout faire basculer sur un coup de tête. Par impulsion de la passion ou par amour, même si évidemment, ça n’a jamais été aussi extrême que dans le film.
“En général, je n’adore pas la nudité à l’écran.”
Diane Kruger
Vous avez aussi tourné dans des simulateurs de vol…
Oui et c’était le plus difficile et le plus long, car piloter un avion dans un simulateur de vol est un langage à part à apprendre. C’était vraiment à moi de faire les bons gestes et codes en appuyant sur la machine, parce que si l’avion ne fonctionnait pas, l’avion ne pouvait pas voler. Dès que je faisais une faute, l’alarme sonnait, car pour l’ordinateur, l’avion allait se crasher. Il fallait donc remettre l’ordinateur en marche, et cela prenait un quart d’heure à chaque fois de le réinitialiser. Là où je vois la différence entre un film français et américain, c’est le temps que ça a pris pour simuler la réalité. J’ai peur des avions mais en même temps je suis assez fascinée par l’aspect technique du métier de pilote de ligne, le contrôle et la discipline qu’il faut avoir pour faire ce travail. Les pilotes mènent des vies assez particulières : ils sont très suivis physiquement et psychologiquement.
Visions évoque les thrillers érotiques des années 90 tels que Basic Instinct, ainsi que les univers d’Alfred Hitchcock, de Brian De Palma et de David Lynch. Est-ce des références que vous aviez en tête ?
Concernant les thrillers érotiques, je n’y ai pas pensé du tout, car justement, je me suis vraiment battue contre la nudité dans le film. Je n’y apparais pas nue alors qu’il y a beaucoup de scènes érotiques. Je trouvais les élans déjà assez charnels en eux-mêmes. Et on sent, dans Visions, la présence d’un œil qui nous observe tout le temps, et la caméra joue sur le voyeurisme. Donc je ne voulais pas rajouter de la nudité. En général, je n’adore pas la nudité à l’écran, mais quand c’est nécessaire, je le fais. Vu qu’en plus, c’était un réalisateur homme qui mettait en scène l’amour physique entre deux femmes, je ne trouvais pas cela nécessaire. On voit les seins d’Ana (Marta Nieto) mais elle est plus à l’aise que moi avec ça. Heureusement que Yann m’a écoutée là-dessus, car je trouve, au final, que les scènes sont suffisamment sensuelles sans nudité flagrante.
Dans le film, Ana (Marta Nieto) dit à votre personnage : “Tu es une déesse, un rêve de femme. Et nous, nous sommes que de simples mortels.” Votre beauté – vous avez été mannequin et avez joué la plus belle femme du monde, Hélène de Troie, dans Troie (2004) – a-t-elle déjà été problématique, dans votre carrière ?
J’avoue que je l’ai trouvée un peu lourde, quand elle me dit ça dans le film (rires). Personnellement, je n’ai jamais ressenti ça. Peut-être que l’on a pu dire ça de moi dans les médias, mais je n’ai jamais eu la sensation d’avoir raté des rôles en raison de mon apparence. Surtout qu’après Troie, qui était l’un de mes premiers films, j’ai joué dans Joyeux Noël (2005), qui a été nommé aux Oscars.
Visions (2023) de Yann Gozlan, avec Diane Kruger, Mathieu Kassovitz et Amira Casar, disponible sur Canal VOD et Arte Boutique. Saint-Ex (2024) de Pablo Agüero avec Louis Garrel et Diane Kruger, au cinéma le 11 décembre 2024.