Les confessions de Céline Sallette, actrice insoumise et réalisatrice de Niki
Avec sa beauté mélancolique évoquant celle de Simone Signoret, l’actrice française Céline Sallette illumine le grand écran depuis plusieurs années. Cette année, au Festival de Cannes, elle présentait un film en tant que réalisatrice : le très attendu Niki, un biopic dédié à l’artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle avec Charlotte Le Bon, qui sort au cinéma ce mercredi 9 octobre 2024.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Un beauté envoûtante à la Simone Signoret, un regard mélancolique et une élégance androgyne… L’actrice française Céline Sallette, 44 ans, imprime depuis les années 2000 le cinéma hexagonal de sa classe folle et de ses choix exigeants. On l’a vue dans des films intenses, aux univers forts, tels que Marie-Antoinette (2006) de Sofia Coppola, La French (2014) de Cédric Jimenez, L’Apollonide : Souvenirs de la maison close (2011) de Bertrand Bonello, Un été brûlant (2011) de Philippe Garrel, De rouille et d’os (2012) de Jacques Audiard et des séries réussies (Les Revenants, Vernon Subutex, La Flamme). Elle a même tourné pour Clint Eastwood.
Céline Sallette, actrice engagée et insoumise des films Brillantes et Les Algues vertes
L’an dernier, l’actrice apparaissait dans le sensible et engagé Brillantes de Sylvie Gautier, aux côtés de Camille Lellouche, Eye Haïdara et Julie Ferrier. Un drame social qui évoque le parcours d’une bande de femmes de ménage très unies vers l’insoumission dans une France marquée par les manifestations (notamment des Gilets Jaunes). Cette même année, elle était dans le très politique Les Algues vertes (2023) sur un désastre écologique qui a eu lieu en Bretagne.
Cette année, l’actrice habitée et insoumise était au Festival de Cannes pour présenter un film (le 23 mai 2024) en tant que réalisatrice : le très attendu Niki, un biopic dédié à l’artiste franco-américaine Niki de Saint Phalle avec Charlotte Le Bon. Alors qu’il sort au cinéma ce mercredi 9 octobre, retour sur notre rencontre avec une comédienne et cinéaste passionnante.
L’interview de Céline Sallette, actrice et réalisatrice du film Niki
Numéro : Vous avez réalisé un long-métrage sur l’artiste Niki de Saint Phalle, intitulé Niki, avec Charlotte Le Bon et Damien Bonnard. Pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?
Céline Sallette : Le projet a démarré quand je suis tombée sur une interview d’elle, dans laquelle elle était géniale. Tout ce qu’elle disait était ultra puissant. Et tout ce que j’ai appris, depuis, sur Niki de Saint Phalle m’épate. Je raconte, dans le film, dix années de sa vie durant lesquelles elle devient artiste. Je suis si admirative de son chemin que j’essaie de le remettre en lumière, de ma modeste manière.
Vous êtes abonnée aux films à thème – le trafic de drogue, la prostitution – qui possèdent un univers fort voire clivant tels que L’Apollonide : Souvenirs de la maison close ou La French…
Je suis autant aimantée par ce genre de films et de rôles que je les aimante. Les attirer me va très bien. Le métier d’acteur est un bon miroir. Ce qui vient à nous n’est pas un hasard…
Pour la série Infiniti, diffusée sur Canal + en 2022, dans laquelle vous jouez une spationaute, vous avez tourné au Kazakhstan et en Ukraine. Comment ces expériences vous ont-elles marquée ?
Le tournage en Ukraine a eu lieu un an avant la guerre, mais les Ukrainiens savaient que ça allait arriver. Ça a bouleversé ma vie car aujourd’hui, des Ukrainiens que j’ai rencontrés là-bas, qui sont en situation de guerre et qui vivent à Paris, sont devenus mes amis. Il y a encore quelques années, je ne pensais pas connaître la guerre en Europe. En tant que société, nous ne sommes pas armés à vivre ces choses-là. C’est hallucinant de savoir que la France est régulièrement menacée dans les médias russes. Ça signifie que si on ne mène pas toutes les batailles, la guerre est à notre porte. C’est une réalité que les Ukrainiens connaissaient bien avant que la guerre ne se déclare. Pour l’instant, on ne veut pas trop s’occuper de Poutine mais peut-être qu’à un moment, il viendra nous chercher…
“Si on ne prépare pas la transformation du monde, on va la subir.” Céline Sallette
Vous avez joué dans la série Vernon Subutex, adaptée de Virginie Despentes. Êtes–vous d’accord avec l’écrivaine lorsqu’elle clamait dans Libération, suite au départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des César : “On se lève et on se casse” ?
Je suis très admirative de tous ceux et celles qui, comme Adèle, participent à enclencher un mouvement et à faire émerger des choses importantes dans l’inconscient collectif. Sans mouvement, on n’arrivera pas à se transformer. Or, il va falloir qu’on se transforme très vite, et ce, à tous les niveaux – notamment écologique –, parce que c’est la question de notre siècle. Notre question c’est : comment transformer le monde dans lequel on vit, qui se trouve en pleins bouleversements, révolutions et révoltes ? Si on ne prépare pas la transformation du monde, on va la subir. Nous sommes obligés d’accompagner cette transformation. Et pour ce faire, tous les moyens sont bons, que ce soit se lever et se casser ou manifester. Certaines personnes ont dit que la colère des Gilets Jaunes n’avait pas été bien défendue. Mais ce qui compte, c’est d’agir. À un moment donné, la colère doit sortir, et peu importe comment. Il n’y a pas de jugement à porter sur les moyens de manifester. Par ailleurs, comme c’est tous ensemble que nous faisons société, je crois que la transformation passera par le collectif. On ne pourra pas se transformer sans les autres. Il faut initier les choses ensemble, et donc, que les hommes et les femmes s’unissent et que l’humanité s’associe au reste du vivant.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans le film Brillantes, sorti en 2023 ?
Je ne sais pas ce qui m’a le plus touchée. Mais mon envie de faire ce film tenait à la fois à la précarité des personnages, à la honte, constitutive, ressentie par Karine – que j’interprète – et au fait qu’il s’agisse d’un long-métrage qui parle d’une réalité sociale en tirant les héroïnes vers le haut. Sylvie Gautier, la réalisatrice, qui vient du documentaire – et d’un milieu populaire –, n’est pas quelqu’un qui filme avec condescendance des situations tristes ou précaires. Elle se met au même niveau que les personnages de l’histoire qu’elle raconte. Et je pense tous les acteurs qui ont accepté ce film, malgré des conditions pas folles – au sens, où, sans mauvais jeu de mot, jouer des femmes de ménage pourrait ne pas sembler reluisant au premier abord –, sont là par fidélité à ce qu’ils sont, par conviction. Nous étions en tout cas tous très heureux de faire ce film et de raconter ce récit.
“Que le rôle soit glamour ou pas n’est généralement pas un critère pour moi.” Céline Sallette
La réalisatrice du film Brillantes, Sylvie Gautier, cite parmi ses influences des films sociaux anglais tels ceux de Ken Loach. De votre côté, qu’est-ce qui a nourri votre rôle ?
Sylvie Gautier m’a donné à lire Orphelin des mots de Gérard Louviot. Il s’agit du témoignage dingue d’un homme qui raconte son parcours, depuis son enfance, durant laquelle il n’arrive pas à apprendre à lire et à écrire, jusqu’au moment où il prend la parole sur son illettrisme. Il se sent toujours à côté, que ce soit dans les institutions qu’il côtoie, enfant, pour son apprentissage, jusqu’à son entrée dans le monde de l’entreprise. Il est forcé de vivre dans le mensonge car le fait de ne pas savoir lire n’est pas quelque chose de bien admis dans notre société et dans le monde du travail. Et le jour où il révèle son secret, sa vie commence à changer, comme c’est le cas de Karine dans le film. Finalement, cet homme a écrit un livre, il a donc complètement renversé son destin.
Comment avez-vous appréhendé l’illettrisme de votre personnage, qui est un thème peu abordé au cinéma ?
Je me suis placée au niveau de l’enfance. Je me suis dit qu’il y avait dans ce personnage de Gelsomina dans La Strada de Federico Fellini. Je me suis demandé : qu’est-ce qu’il reste quand on n’a pas les codes, le verbe ? Il reste, certes, une forme de dépendance aux autres, mais aussi un rapport immédiat au vivant, aux éléments naturels, au soleil, à la lumière. On devient très ancré dans le réel. Il y a quelque chose de presque animal, enfantin, dans ce personnage. C’est aussi pour ça que Karine est si liée à son fils de 17 ans. C’est lui l’adulte dans le film. Les rapports sont inversés car elle ne peut pas gérer la maison. Et finalement, elle va le foutre dehors pour se défaire de la dépendance. Elle est aussi en quête d’autonomie par rapport à celui qu’elle aime, Bruno, dont elle ne veut pas dépendre. Ce film est l’histoire d’un réveil, d’un parcours vers une forme de combat et d’insoumission.
Dans le film, il y a un vraie sororité entre les héroïnes. Avez-vous retrouvé ce type de liens avec les autres actrices ?
Oui, tout à fait. Nous étions très proches. Par exemple, la scène où je suis dans un bar avec Camille Lellouche n’était pas prévue. J’étais toute seule et je m’ennuyais alors je suis allée la chercher; on s’est mises à danser et c’était très chouette. Et c’est resté.
Vous avez un côté assez punk dans le film, avec vos cheveux roses et votre absence de maquillage. En tant qu’actrice, est-ce important de ne pas toujours être dans une attitude de séduction hétéronormée à l’écran ?
C’est vrai que Karine ressemble un peu à une ado attardée. En fait, je ne me rends pas vraiment compte si ça joue quand j’accepte un rôle. Que le rôle soit glamour ou pas n’est généralement pas un critère pour moi. En lisant le scénario de Brillantes, j’ai eu tout de suite envie de porter cette histoire, sans trop réfléchir aux raisons.
Niki (2024) de Céline Sallette, avec Charlotte Le Bon et Damien Bonnard, au cinéma le 9 octobre 2024.