Rencontre avec Hafsia Herzi, réalisatrice de La Petite Dernière, en compétition à Cannes
En racontant l’histoire d’une ado lesbienne et musulmane dans son nouveau film, La Petite Dernière, la comédienne et réalisatrice Hafsia Herzi, César de la meilleure actrice en 2025, frappe fort. Rencontre avec une artiste talentueuse qui risque bien de rafler un prix au Festival de Cannes, où son nouveau long-métrage est présenté en compétition.
propos recueillis par Olivier Joyard.

Avec La Petite Dernière, son troisième long-métrage présenté au Festival de Cannes, Hafsia Herzi réussit un film sensible et doux sur une jeune banlieusarde de culture musulmane découvrant et explorant son homosexualité. Adapté du roman de Fatima Daas sorti en 2020, il s’agit de l’un des plus films les plus marquants de la compétition.
Le nouveau film d’Hafsia Herzi en compétition au Festival de Cannes 2025
Nous avons rencontré l’actrice-réalisatrice qui montre son film, en compétition, sur la Croisette deux mois après avoir remporté le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Borgo. Elle nous dévoile ce qui l’a poussée à aborder un sujet aussi brûlant.

L’interview d’Hafsia Herzi, réalisatrice de La Petite Dernière
Numéro : Dès votre troisième film en tant que réalisatrice, vous êtes en compétition au Festival de Cannes !
Hafsia Herzi : J’ai été très heureuse d’apprendre la sélection du film en compétition officielle, un rêve d’adolescente pour moi. L’envie de réaliser est venue dans ma vie avant même l’envie de jouer.
Au moment de rencontrer Abdellatif Kechiche, qui vous a offert le rôle principal de La Graine et le mulet (2007), vous vouliez déjà devenir cinéaste ?
J’écrivais des scénarios qui ne ressemblaient à rien (rires). Des petites histoires, comme ça. Quand j’ai rencontré Abdellatif et commencé le travail sur La Graine et le Mulet, je lui ai fait lire mes écrits. Il m’a encouragé à développer cette envie.
Une adaptation d’un livre de Fatima Daas présenté au Festival de Cannes 2025
La Petite Dernière est l’adaptation du roman autobiographique de Fatima Daas, paru en 2020. Pourquoi avoir choisi ce texte ?
Je ne connaissais pas le roman quand on m’a proposé de l’adapter. C’était au moment de la sortie de mon premier long-métrage, Tu mérites un amour. Je venais de terminer la post-production de mon deuxième film, Bonne mère, mais je n’avais pas de pistes pour un prochain scénario. Ce qui m’inquiétait au départ, c’était l’idée même d’adaptation. Je m’en faisais une montagne. Mais comme j’aime les défis, je me suis lancée. Le livre m’a bouleversée. Je me suis dit que je n’avais jamais vu un personnage comme celui-là au cinéma.
Le film suit une ado maghrébine qui découvre ses désirs lesbiens, a priori loin de vous. Comment vous êtes-vous appropriée cette histoire singulière ?
Dès le processus d’adaptation, j’ai posé une condition : avoir ma liberté. Je ne voulais pas me confronter à cinquante interlocuteurs. C’était une façon de me l’approprier. J’ai aussi quelques points communs avec le personnage, notamment sa classe sociale que je connais. Le personnage de la mère, l’adoration qu’elle suscite, le respect, cela fait écho à mon histoire. Il y avait en plus le lycée de banlieue, la fac. Les univers du livre ne m’étaient donc pas étrangers, sauf le milieu LGBT que je ne connaissais pas du tout. Quand j’ai rencontré Fatima Daas, on s’est très vite comprises.

La révélation Nadia Mellitti
Vous êtes-vous immergée dans la culture lesbienne ?
Oui, j’ai à la fois enquêté sur le terrain et recueilli de nombreux témoignages. Nous avons tourné dans des lieux emblématiques comme La Mutinerie à Paris où nous avons été très bien accueillis. Quand les gens savaient que c’était pour ce film, les portes s’ouvraient.
Le choix de la comédienne, la révélation Nadia Melliti, a-t-il été difficile ?
On essaie toujours d’imaginer des visages quand on écrit. Dès la deuxième version du scénario, on a lancé un casting sauvage à Paris, à Marseille parce que je suis de Marseille (rires) et dans l’Est de la France. Très vite, Nadia Melliti a été repérée et elle est devenue mon choix numéro 1. Sur photo, son regard m’a frappée. Ensuite, je l’ai rencontrée et j’ai vraiment validé mon choix quand je l’ai vue quitter la pièce, de dos. En observant sa silhouette, j’avais la caméra dans la tête. Ça ne s’explique pas, un coup de cœur artistique comme celui-là.
“Je voulais m’exprimer avec une totale liberté. Pourquoi prendre des pincettes ?” Hafsia Herzi
Le film touche à un sujet de société : le rapport entre la religion et la vie intime, qui se pose pour beaucoup de jeunes femmes, notamment de culture musulmane. Vous ne l’esquivez pas.
Je voulais m’exprimer avec une totale liberté. Pourquoi prendre des pincettes ? Je me tiens au plus près de la vérité, pour que les personnes qui traversent ce que vit le personnage de Fatima puissent s’identifier. Fatima Daas a dit qu’elle avait écrit ce livre avec un sentiment de devoir. J’ai eu le même désir.
Il y a un raccord très parlant dans le film, entre un corps nu et une mosquée. Pourquoi avoir confronté ces deux images ?
J’avais en tête ces scènes qui s’enchaînent dès le scénario. Il me semblait qu’une image forte était nécessaire, parce que c’est ce que l’héroïne traverse, tiraillée entre son désir pour les femmes et sa foi. Sans raconter le film, Fatima essaie de retrouver un autre chemin, perdue dans un tourbillon entre religion et sexualité. C’est son quotidien et celui de beaucoup de personnes.
Pour vous, le film La Petite Dernière a-t-il une portée politique ?
Je pense que oui. Tous les films ont une portée politique quand ils abordent ce genre de récit. En tant que réalisatrice, je ne peux pas traiter un sujet qui n’est pas porteur de message. En revanche, je crois que le message du film est universel. J’espère qu’il permettra d’ouvrir des discussions qui sont parfois complètement fermées.
On y croit pour un prix lors du palmarès !
Il faut prier (rires) !
La Petite Dernière (2025) d’Hafsia Herzi, en compétition officielle au Festival de Cannes 2025.