Emmanuelle : comment Audrey Diwan a réécrit le mythe érotique pour l’ère #MeToo
L’un des romans érotiques français les plus célèbres au monde fait l’objet d’une nouvelle adaptation au cinéma. Après le succès du film Emmanuelle avec Sylvia Kristel en 1974, Audrey Diwan, auréolée d’un Lion d’or à la Mostra de Venise pour L’Événement, repense le mythe avec Noémie Merlant en héroïne en recherche de plaisir, ce mercredi 25 septembre. Mais faut-il succomber à cette relecture féministe ?
par Violaine Schütz.
et Chloé Bergeret.
Un roman érotique culte
Publié en 1959 (puis dans une version plus officielle en 1967 interdite aux moins de 18 ans) sous le nom de plume d’Emmanuelle Arsan, Emmanuelle est l’un des romans érotiques modernes les plus célèbres de France, aux côtés d’Histoire d’O, de Dominique Aury. Il raconte l’histoire d’une jeune femme (mariée) de 19 ans qui se lance dans une série d’aventures sexuelles avec plusieurs hommes et femmes sur fond de vie d’expatriée à Bangkok.
Suscitant un scandale à sa publication (en raison de sa mise en scène de l’amour libre) mais aussi une fascination immédiate, le roman s’est vu adapté de nombreuses fois, que ce soit au cinéma par Just Jaeckin en 1974 ou à la télévision par Alain Siritzky dans les années 80 et 90.
L’influence d’Emmanuelle dans la pop culture
L’influence du film Emmanuelle (qui avait réuni neuf millions de spectateurs dans les salles françaises à sa sortie en 1974) n’est plus à démontrer. Et son impact dans la pop culture – à travers, notamment, le fameux fauteuil en rotin qui continue d’hanter les foyers branchés – témoigne de la modernité du long-métrage. Une femme qui exprime son désir, l’assume et surtout le vit comme elle l’entend : un sacré choc pour la société des années 70.
Malgré l’ouverture d’esprit à l’œuvre au moment de la sortie du film – l’année 1974 est celle du remboursement de la pilule par la Sécurité sociale, et la promulgation de la loi Veil sur le droit à l’avortement date de janvier 1975 – Emmanuelle de Just Jaeckin porte encore les traces du male gaze et les influences d’une société patriarcale qui empêche les femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent. Sans compter son exotisme problématique. On espérait donc que l’adaptation d’Audrey Diwan offrirait enfin à l’héroïne sensuelle toute la liberté qu’elle méritait.
Noémie Merlant, nouvelle Emmanuelle magnétique et ambivalente
La première bonne nouvelle concernant l’Emmanuelle d’Audrey Diwan – qui sort ce mercredi 25 septembre au cinéma -, c’est le choix de son actrice principale. C’est l’une des comédiennes françaises les plus bankable et versatiles qui incarne avec brio la nouvelle Emmanuelle : la magnétique Noémie Merlant (Portrait de la jeune fille en feu, L’Innocent, Tàr). La jeune femme césarisée âgée 35 ans, remplace Léa Seydoux dans la peau (et les très beaux looks de créateurs de luxe) de la célèbre héroïne du roman du même nom.
L’actrice a expliqué en avril dernier à Numéro : “Vu que je n’avais regardé aucun film racontant les aventures d’Emmanuelle, je n’avais pas intégré le fait que ça soit mythique. Ce que j’ai lu, c’est un scénario d’Audrey Diwan et de Rebecca Zlotowski. J’ai alors découvert un personnage féminin que j’aime, ainsi qu’une histoire qui tourne autour de la connexion à ses désirs. C’est un voyage très excitant puisque ça raconte comment, en tant que femmes, on se réapproprie nos corps et nos fantasmes. Moi, ça me parle. Après, oui, il y a une prise de risque, mais c’est comme ça que je choisis mes rôles.”
Si le rôle est osé, l’actrice s’avère parfaite en contrôleuse qualité de grands hôtels envoyée à Hong Kong pour tester un établissement de luxe présentant un problème. Alors que la société invite à jouir de tout, tout le temps, Emmanuelle ne parvient pas à atteindre l’orgasme. La faute au consumérisme qui nous déshumanise ? À la solitude moderne impliquée par les grandes villes et les réseaux sociaux ? À la domination masculine ? Audrey Diwan ne tranche pas mais laisse le regard perçant de son actrice, alternant constamment entre le froid et le chaud, nous captiver et nous offrir de multiples hypothèses.
Audrey Diwan réinvente Emmanuelle à l’ère #MeToo
L’autre qualité d’Emmanuelle, c’est sa réalisation soignée, son travail sur le son et son atmosphère nocturne. L’ex-journaliste Audrey Diwan avait réalisé en 2019 L’Événement, tiré de l’ouvrage d’Annie Ernaux, film choc qui retrace le parcours du combattant des femmes qui voulaient avorter avant la légalisation de l’IVG en 1975. C’est une nouvelle fois une œuvre écrite par une femme qu’elle a décidé de porter à l’écran, accompagnée dans l’adaptation du scénario de la réalisatrice française Rebecca Zlotowski.
La Française a tourné entre Paris et Hong Kong un film aussi esthétique (on pense souvent à In the Mood for Love) que féministe. Ici, l’héroïne est tout sauf passive. Elle n’est pas une création cliché sortie du male gaze ou un obscur objet du désir patriarcal. Contradictoire, frustrée et finalement puissante et libérée, elle trouble le spectateur par ses subtilités, ses comportements parfois déroutants et son cheminement complexe vers son propre plaisir.
Naomi Watts au casting
On salue aussi la performance de l’actrice britannique Naomi Watts (Mulholland Drive, King Kong) en directrice d’hôtel glaciale et mystérieuse. Par contre, on apprécie moins celle que Will Sharpe (The White Lotus), le love interest assez fade de l’héroïne. On a souvent du mal à comprendre pourquoi elle le cherche autant dans les couloirs de l’hôtel d’Hong Kong alors qu’il semble en tout point toxique.
Ce nouveau Emmanuelle souffre aussi de quelques longueurs, surtout dans sa première heure. Mais on admire la façon dont Audrey Diwan parvient à proposer un film érotique à la fois très sensoriel et sensuel et taillé pour l’ère #MeToo.
Emmanuelle (2024) d’Audrey Diwan, avec Noémie Merlant, Will Sharpe et Naomi Watts, au cinéma le 25 septembre 2024.