17
17
Colman Domingo, star de Running Man : “Je ne savais pas qu’il y avait une place pour moi dans la mode”
Entre une seconde nomination aux Oscars, la co-présidence du Met Gala 2025, une voix dans Wicked 2 et une brève apparition (en drag !) dans le dernier clip de Sabrina Carpenter, la carrière de Colman Domingo n’a connu aucun temps mort cette année. Désormais à l’affiche du film d’action réussi Running Man, en salles ce 19 novembre 2025, l’acteur américain âgé de 55 ans se confie à Numéro sur sa conception du métier d’artiste, son rapport à la mode et ses projets, de la saison 3 d’Euphoria au futur long-métrage de Steven Spielberg.
propos recueillis Jordan Bako.

L’interview de l’acteur Colman Domingo, star de Running Man
Numéro : Vous êtes à l’affiche du film Running Man, une adaptation du roman de Stephen King qui avait déjà été porté à l’écran en 1987. Mais cette nouvelle version est assez différente du premier film…
Colman Domingo : Je pense que le fait de revenir à la source, au matériau originel, c’est ce qui intéressait beaucoup le réalisateur du film Edgar Wright (Scott Pilgrim, Shaun of the Dead, Last Night in Soho) ains que Michael Bacall, le scénariste. J’espère que les gens ne le considéreront non pas comme une sorte de réinterprétation du film des années 1980, mais comme une adaptation plus fidèle au livre. Le plus fou, c’est que le livre se déroule en 2025. Et je pense que Stephen King avait déjà en tête cette vision d’une Amérique dystopique, et qu’il avait en quelque sorte anticipé cette crise que nous traversons à l’heure actuelle. Une crise que l’on vit à travers les yeux d’un homme ordinaire qui se bat pour conserver son humanité. La lutte pour la survie devient un divertissement dans Running Man. Cela semble très proche de nos réalités actuelles.
Le film plonge en effet dans une Amérique dystopique. Ce contexte politique entre-t-il en résonance avec les dernières actualités du pays selon vous ?
Oui, tout à fait. Pas seulement en Amérique, mais dans le monde entier, car nous savons à quel point les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène de crise. Pour moi, cela dit beaucoup de notre rapport au concept de vérité. Chacun se crée sa propre réalité, notamment avec l’utilisation de l’intelligence artificielle. Running Man aborde ces thèmes et c’est en cela que le film est à la fois divertissant et très pertinent. On y aperçoit les similarités entre notre situation actuelle et les possibilités qui s’offrent à nous. On se poose cette question : “Jusqu’où les choses peuvent-elles aller sans bon sens ni recul face à nos réalités contemporaines ?”
“Chacun se crée sa propre réalité, notamment avec l’utilisation de l’intelligence artificielle.” Colman Domingo.
Dans le film, vous jouez un animateur de jeu télévisé. Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ?
Bobby T, le personnage que je joue, est le présentateur de jeu télévisé le plus célèbre au monde. Pour me préparer, je me suis notamment intéressé aux animateurs de télévision sensationnalistes comme Jerry Springer ou Ricki Lake. Je voulais étudier ceux qui donnent l’impression d’être au cœur du divertissement, qui alimentent la bête sans se sentir complices de quoi que ce soit. On se demande comment ils peuvent dormir tranquilles, après avoir attisé la violence… Mais en jouant le personnage, j’ai compris qu’ils y parviennent parce qu’ils pensent n’être qu’un miroir de la société. Ils se disent : “Alors pourquoi ne pas remuer le couteau dans la plaie, en faire un divertissement et tirer profit de tout cela !”
Dans la série The Madness, sortie l’an passée sur Netflix, vous incarniez une autre personnalité des médias : un journaliste…
Dans The Madness, je jouais le personnage de Muncie Daniels, un journaliste dont le travail consistait à comprendre. Comprendre ce qu’il se passe dans le monde dans le climat politique ambiant. Or le personnage de Bobby T dans Running Man est aux antipodes de cela. Il n’est visible que sur scène et vit perpétuellement dans le monde du cirque et des paillettes. Le personnage de Muncie Daniels était au contraire un homme assez ordinaire, aux revenus aisés, qui a réalisé le rêve américain. Alors que le showman Bobby T, c’est bien plus que cela. C’est quelqu’un qui transcende l’idée-même du rêve américain. Il vit dans son propre univers où aucune règle ne semble s’appliquer à lui.

“Je peux aussi bien faire du drag que réaliser un travail très sérieux sur les rouages du milieu carcéral américain.” Colman Domingo.
2025 était une très belle année pour vous : entre votre seconde nomination aux Oscars pour le drame Sing Sing et votre apparition dans le dernier clip de Sabrina Carpenter, Tears…
J’ai toujours eu pour principe de faire du bon travail avec des personnes que j’apprécie et qui me font me sentir bien. Et maintenant que j’ai atteint ces sommets, j’ai envie de faire autre chose. Je veux m’amuser et c’est pourquoi je suis attiré par des projets comme Running Man et par cette opportunité que Sabrina Carpenter m’a offert en me disant : “Je veux jouer avec toi.” J’aime le fait que les gens me reconnaissent comme un artisan, un artiste. Mais en même temps, je ne me prends pas trop au sérieux. Je peux aussi bien faire du drag que réaliser un travail très sérieux sur les rouages du milieu carcéral américain avec Sing Sing. En tant qu’artiste, je veux continuer à évoluer, à me lancer des défis et à jouer dans différents espaces. Et j’ai l’impression qu’avec ce que j’ai déjà accompli, je suis prêt à commencer un nouveau chapitre.
Vous étiez également le co-président du Met Gala 2025 aux côtés de Lewis Hamilton et Pharrell Williams. Pouvez-vous nous parler de votre rapport à cette expérience, et à la mode de manière plus globale ?
Je n’aurais définitivement pas parié sur le fait de travailler dans la mode, et encore moins sur le fait de présider le Met Gala ! [Rires.] Mais j’aime raconter des histoires avec mon corps et mes vêtements. Et ça a naturellement pris forme en dialoguant avec mon styliste. Je ne savais pas que ça allait me transformer en sorte d’icône de mode, mais il semblerait que ça m’ait réussi ! À l’origine, je ne savais pas qu’il y avait une place pour moi dans le secteur de la mode. Mais aujourd’hui, je m’en rends compte que j’y sens bien. Surtout quand je reçois de beaux compliments de Naomi Campbell qui dit que je suis fait pour la mode, ou d’Edward Enninful qui me surnomme le roi de la mode. Je me rends compte que je peux combler des vides, des silences dans le monde de la mode. Et j’ai vraiment envie de faire avancer les choses de manière significative dans ce milieu.

“Je me rends compte que je peux combler des vides dans le monde de la mode.” Colman Domingo
Vous jouez dans une cascade de projets, à commencer par la saison 3 de la série Euphoria…
Je peux vous dire que cette saison va être incroyable. Une saison magistrale, un chef-d’œuvre en matière de série télévisée. Je pense que Sam Levinson (le créateur de la série Euphoria, ndlr) est vraiment dans une phase créative exceptionnelle où il s’est vraiment libéré de l’emprise des deux premières saisons. Il se lance des défis – en se demandant comment réinventer cette série avec ingéniosité – et il parvient à les relever. Et on arrive à un résultat qui, selon moi, soulève la question de la foi. Une saison qui rappelle que l’art, c’est quelque chose bien plus grand que nous.
L’épisode spécial de la saison 1 d’Euphoria, qui vous a valu un Emmy Award en 2022, abordait également cette question de la foi, de la croyance.
C’est une thématique dont Sam et moi discutons souvent lorsque nous échangeons sur nos perceptions du monde. Ce sont des réflexions qui fourmillent en nous, qui nous intriguent tous. Les gens définissent souvent Euphoria comme une série sur les lycéens, les toxicomanes ou les personnes en difficulté. Mais en fin de compte, le programme parle surtout du fait de croire. De personnes qui se sentent perdues dans le monde et qui essaient de croire en quelque chose. Je pense qu’on essaie tous de faire de même à notre façon : certains s’attachent à la drogue, d’autres au sexe, aux drames, à Internet… Tout le monde tente tant bien que mal de s’accrocher à quelque chose : on cherche à croire en des communautés auxquelles appartenir, dans lesquelles on se sent vus, aimés et entendus. Et c’est pour moi tout l’enjeu de la série.

“Les gens définissent souvent Euphoria comme une série sur les jeunes ou les toxicomanes. Mais c’est surtout une série sur la foi.” Colman Domingo
On vous retrouvera dans divers films aux côtés de Demi Moore, Sandra Hüller et Josh O’Connor.
En effet, je vais jouer dans le film True-ish avec Sandra Hüller ainsi que dans Strange Arrivals avec Demi Moore. Je sais que cette dernière va jouer ma femme, ce qui est génial ! Puis, j’ai terminé le tournage du film sans titre de Steven Spielberg, avec Emily Blunt, Colin Firth et Josh O’Connor. J’y ai passé un moment inoubliable. Il n’y a pas de meilleur réalisateur que Steven Spielberg. Et il est devenu comme un père pour moi, une figure paternelle dans cette industrie parce que je suis intimement convaincu que nous sommes faits du même bois. Il est gentil, drôle, chaleureux. Mais surtout, il veut juste créer. Le casting et moi sommes devenus comme une famille !
Vos rôles vous plongent souvent dans des tons très sombres, du film Zola (2021) au futur biopic sur Michael Jackson, en passant par La Couleur pourpre. Quel est votre processus de réflexion lorsque vous lisez un scénario ?
En lisant un script, je dois croire que j’ai des éléments à apporter au personnage ainsi qu’à son histoire. Parce que si c’est quelque chose que j’ai déjà fait auparavant, c’est hors de question ! Et je crois aussi que les rôles me choisissent. Pour Zola, je crois que je n’avais rien fait auparavant qui ait pu convaincre la réalisatrice Janicza Bravo que je pouvais jouer l’un des proxénètes les plus méchants que je n’ai jamais vu. Quelque part, elle savait que j’en étais capable et moi, j’étais assez curieux quant au regard qu’elle pose sur ce personnage. Donc je pense qu’on fait appel à moi lorsque les gens cherchent quelque chose à creuser. Apporter des nuances, de l’humanité à leurs personnages, même aux méchants. J’aime penser que tous mes méchants ont un côté humain, et c’est ce que je cherche à explorer en jouant.

“J’aime le fait que les gens me reconnaissent comme un artisan, un artiste.” Colman Domingo
Vous allez réaliser vos premiers longs-métrages. Était-ce important pour vous de passer de l’autre côté de la caméra pour raconter d’autres histoires ?
J’ai toujours cru en cela : diriger des productions. C’est un nouveau jalon à passer dans mon évolution en tant qu’artiste. J’ai déjà mis en scène des pièces de théâtre, réalisé des épisodes de télévision… Mais je voulais faire du cinéma, et surtout, je voulais faire les bons films. Parce qu’encore une fois, je veux avoir le sentiment d’avoir quelque chose à y apporter.
Que pouvez-vous déjà dévoiler quant à ces projets ?
Il s’agira d’un biopic sur le chanteur Nat King Cole ainsi qu’un second sur Sammy Davis Jr. et Kim Novak (Scandalous !). Ces deux histoires se déroulent en 1957. Je ne sais pas pourquoi, mais 1957 est une année très importante pour moi, une année que j’essaie toujours de décortiquer, d’analyser les différents aspects de cette époque. Les voitures, les idées, les situations en matière de droits civiques et de droits des femmes… C’est un sujet sur lequel je ne cesse de revenir. Et pour l’instant, je peux vous dire que je suis très enthousiaste. J’ai avancé dans mon calendrier le film Scandalous ! qui mettra en scène Sydney Sweeney – qui est en cours de pré-production. Puis, je tournerai le biopic sur Nat King Cole plus tard l’année prochaine. C’est important pour moi de continuer à évoluer. Mais je pense que ce serait aussi bien de m’accorder un moment pour être vraiment chez moi à Los Angeles, où je pourrais tourner des films et les monter…
Running Man d’Edgar Wright, au cinéma le 19 novembre 2025. Wicked : partie II de Jon M. Chu, au cinéma le 19 novembre 2025.