25 mai 2025

Cannes 2025 : Un simple accident de Jafar Panahi remporte la Palme d’or décernée par Juliette Binoche

À Cannes, le palmarès de l’éditon 2025 récompense Un simple accident de Jafar Panahi, le film politique et subtil d’un réalisateur courageux. Notre commentaire des choix équilibrés et attendus faits par le Jury.

  • par Olivier Joyard.

  • Sur la scène du Grand Théâtre Lumière, Jafar Panahi a brandi samedi 24 mai la Palme d’or, décernée à son onzième long-métrage, Un simple accident. C’est un miracle en soi : le réalisateur iranien a été interdit de sortir de son pays durant 14 ans. Condamné à six ans de prison pour “propagande contre le régime” en 2010, puis en liberté conditionnelle, le sexagénaire a été arrêté en 2022. Il n’a été libéré qu’en 2023 après une grève de la faim et de la soif. Il a annoncé son intention de rentrer dans son pays.

    C’est donc un résistant et un grand artiste qu’a récompensé Juliette Binoche parmi 22 longs-métrages venus des quatre coins du monde. Une palme “consciente” alors que les conflits font rage de Gaza à l’Ukraine. Le reste du Palmarès, tout aussi attendu et plutôt équilibré, a donné le pouls du cinéma. Un art toujours considéré comme précieux en France, mais plus menacé que jamais à travers la planète par les censures politiques ou financières. Au point que le Festival de Cannes a rempli une fois de plus sa fonction de bulle protectrice. Notre commentaire du palmarès qui a mis en avant huit films.

    Palme d’or : Un simple accident de Jafar Panahi

    L’an dernier, Les Graines du figuier sauvage de l’iranien Mohammad Rasoulof était annoncé comme une Palme sûre, avant d’être coiffé sur le poteau par la surprise Anora de Sean Baker. Cette fois, Juliette Binoche, si sensible au mouvement Femme, Vie, Liberté, a couronné un autre réalisateur iranien. Jafar Panahi est le symbole de la résistance au pouvoir des Mollahs à Téhéran. Son film Un simple accident raconte comment des victimes de torture de la part du pouvoir retrouvent leur agresseur. Ils et elles se demandent quoi faire de lui, aux limites de la souffrance et de l’absurde. Une réflexion fine sur la vengeance et le traumatisme d’une grande force politique. Et une Palme d‘or consensuelle.

    Un simple accident, au cinéma le 10 septembre 2025.

    Grand Prix : Sentimental Value de Joachim Trier

    Le réalisateur norvégien, révélé pour Oslo, 31 août en 2011, a tapé dans l’œil des festivaliers avec un film ample et ambitieux. Sous les auspices de Tchekhov et Bergman, Sentimental Value tisse un drame familial où un patriarche vieillissant (excellent Stellan Skarsgård) cherche à réaliser un nouveau film, dans lequel il aimerait que sa plus grande fille tienne le rôle principal. Très romanesque et d’une grande vivacité, le film de Joachim Trier mêle la création et les liens familiaux avec virtuosité. Un choix un peu conservateur mais certainement pas scandaleux.

    Sentimental Value, au cinéma le 20 août 2025.

    Prix d’interprétation féminine : Nadia Melliti dans La Petite dernière de Hafsia Herzi

    Jennifer Lawrence, la favorite, n’a pas été invitée à la fête. La divine surprise du Festival de Cannes 2025, c’était Nadia Melliti. Repérée lors d’un casting sauvage à Paris, l’actrice principale du troisième film de Hafsia Herzi incarne une lycéenne de terminale, qui entre bientôt en fac de philo. Issue d’une famille d’origine algérienne, elle découvre et explore son homosexualité, alors qu’elle vit en banlieue et pratique l’Islam. À la fois secrète et subtilement expressive, la comédienne de 23 ans – dont c’est le premier rôle – est pour beaucoup dans la réussite de La Petite dernière, adapté avec grâce du roman autobiographique de Fatima Daas. Un prix qui est aussi une reconnaissance pour la réalisatrice Hafsia Herzi. Son cinéma fluide et précis touche au cœur.

    La Petite dernière de Hafsia Herzi, au cinéma le 1e octobre 2025.

    Prix d’interprétation masculine : Wagner Moura dans L’Agent Secret de Kleber Mendonça Filho

    Dans ce qui est l’un des plus beaux films de la compétition, L’Agent secret, l’acteur brésilien de Bahia (révélé en Pablo Escobar dans la série Narcos) se glisse dans la peau d’un ancien chercheur qui tente de refaire sa vie. Le décor ? Le Brésil de la dictature militaire durant les années 1970. Héros de ce thriller historique et politique, qui est aussi une fresque sensuelle et très contemporaine sur la vie de personnes accablées par un pouvoir injuste, Wagner Moura impose son flegme et sa profondeur. Une star cool comme on les aime.

     L’Agent secret, au cinéma le 14 janvier 2026.

    Prix du scénario : Luc et Jean-Pierre Dardenne pour Jeunes Mères

    Après deux Palmes d’or (RosettaL’Enfant) et un Grand Prix (Le gamin au vélo), les formidables réalisateurs belges obtiennent leur second Prix du Scénario après Le Silence de Lorna. Leur treizième long-métrage Jeunes mères suit des adolescentes et leurs nourrissons dans un foyer maternel. Même si tout passe par une mise en scène captivante chez les frères Dardenne, Juliette Binoche, Jeremy Strong et les autres membres du jury ont trouvé une manière de mettre en avant ce beau film généreux et tendu, présenté le dernier jour du Festival. Lire notre interview des frères Dardenne.

    Jeunes Mères (2025), actuellement au cinéma.

    Prix de la mise en scène : Kleber Mendonça Filho pour L’Agent secret

    Ce deuxième prix – après celui décerné à Wagner Moura en tant que meilleur interprète masculin – décerné à L’Agent secret montre tout l’amour du Jury pour cette plongée dans les contradictions du Brésil, des années 1970 à aujourd’hui. Même s’il n’obtient pas le Grand Prix ni la Palme d’or qu’il aurait également mérité, Kleber Mendonça Filho est consacré avec cette double récompense comme un cinéaste incontournable. On espère un succès en salles à la hauteur de la chaleur et de la profondeur de ce film.

     L’Agent secret, au cinéma le 14 janvier 2026.

    Prix du jury : Sirat de Oliver Laxe et Sound of Falling de Mascha Schilinski

    En regroupant ces deux films qui n’ont rien à voir, le Jury a sans doute voulu s’épargner l’obligation de choisir. Et donner une prime à la jeunesse. Mascha Schilinski, fraîche quadragénaire, est la seule des sept réalisatrices présentes en compétitiion à repartir avec un Prix. L’allemande a surpris avec Sound of Falling. Son film de 2h40 raconte de façon impressionniste le destin de plusieurs femmes du milieu du 20e siècle à aujourd’hui. Sans céder aux clichés du pensum historique, cette immersion stylisée dans une expérience féminine de l’oppression a beaucoup plu.

    On regrette que Sirat du réalisateur espagnol émergent Oliver Laxe figure aussi “bas” dans le palmarès. Son film d’une grande puissance formelle est un road-movie métaphysique dans le milieu des teufeurs. Une fresque sous influence Antonioni et Gus Van Sant qui nous fait décoller du sol et saisit le chaos du monde avec force. Lire notre critique.

    Sirat, au cinéma le 3 septembre 2025. Sound of Falling, en salles prochainement.

    Prix spécial du jury : Resurrection de Bi Gan

    Bi Gan a été le premier à monter sur scène pour recevoir le Prix le moins convoité de la soirée. Mais un prix quand même ! Le réalisateur chinois de 35 ans a réussi un film splendide. Le héros est un homme qui rêve dans un monde qui ne rêve plus. Il voyage dans l’histoire du cinéma et de la Chine. A la fois référentiel et poétique, le troisième long-métrage de l’un des plus grands cinéastes actuels était notre préféré du Festival de Cannes 2025 avec Sirat d’Oliver Laxe. Deux gestes de cinéma qu’on aurait voir récompensé plus haut, mais que le Jury a eu le bon goût de ne pas oublier.

    Resurrection (2025), en salles prochainement.

    Le Palmarès complet du Festival de Cannes 2025

    Palme d’or

    Un Simple accident de Jafar Panahi

    Grand Prix

    Sentimental Value de Joachim Trier

    Prix d’interprétation féminine

    Nadia Melliti dans La Petite dernière de Hafsia Herzi 

    Prix d’interprétation masculine

    Wagner Moura dans L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho 

    Prix du scénario

    Jeunes mères de Luc et Jean-Pierre Dardenne

    Prix de la mise en scène

    Kleber Mendonça Filho pour L’Agent secret

    Prix du Jury

    Sirat de Oliver Laxe et Sound of Falling de Mascha Schilinski 

    Prix spécial du jury

    Resurrection de Bi Gan