5 nov 2024

Pourquoi il faut (re)voir La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer sur Canal+

La Zone d’intérêt (The Zone of interest), le nouveau film du réalisateur britannique Jonathan Glazer (Under the Skin) sorti en janvier 2024 est diffusé ce mardi 5 novembre sur Canal+ . L’occasion de revenir sur le succès de ce drame avec Sandra Hüller.

The Zone of Interest (2023) de Jonathan Glazer © Bac Films

Sous les yeux de Natalie Portman, venue sur la Croisette en tant que marraine du Trophée Chopard avant de présenter May December de Todd Haynes en compétition durant le week-end, mais aussi de quelques milliers d’autres personnes ahuries, le Festival de Cannes 2023 a accueilli son premier candidat évident à la Palme d’or, La Zone d’intérêt (The Zone of Interest).

Jonathan Glazer, réalisateur britannique de 59 ans, n’avait plus donné de nouvelles depuis le glaçant Under the Skin avec Scarlett Johansson en 2013, aux confins de l’érotique et du fantastique. Sur un sujet très différent, il touche là-aussi aux frontières de l’humain en adaptant le roman de Martin Amis, même si c’est pour s’éloigner de son compatriote en imaginant une forme cinématographique rigoureuse.

Sandra Hüller dans La Zone d'intérêt (2024) de Jonathan Glazer © Leonine.
Sandra Hüller dans La Zone d’intérêt (2024) de Jonathan Glazer © Leonine.

La zone d’intérêt de Jonathan Glazer, présenté au Festival de Cannes 2023

Le film, sorti au cinéma en janvier 2024 (et diffusé sur Canal+ ce mardi 5 novembre) raconte le quotidien de la famille de Rudolf Höss, commandant historique du camp de concentration de Auschwitz-Birkenau, qui habitait avec femme, enfants et domestiques à quelques mètres des murs d’enceinte de ce lieu de mort. Picnics bucoliques au bord de la rivière, repas de famille, jeux dans la piscine : les Höss ont trouvé dans la campagne polonaise leur lieu de villégiature idéal et leur bonheur. A l’intérieur de la maison, Jonathan Glazer les filme comme s’ils appartenaient à une folle émission de téléréalité, au gré d’un dispositif en caméra fixes, sans opérateur, les acteurs et actrices devant circuler et jouer le scénario. C’est cela que propose avant tout La Zone d’intérêt (The Zone of interest), l’invention d’une forme sans oxygène, faite de cadres austères, de rares mouvements millimétrés, où se déploie pour ainsi dire l’essence du mal.

La projection de La Zone d’intérêt (Zone of Interest) (2024) au Festival de Cannes.

La Zone d’intérêt raconte la vie de Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz-Birkenau

Car Rudolf Höss fut un tueur de masse efficace, que l’on voit discuter avec des prestataires d’un nouveau système de fours crématoires capable de fonctionner en continu. Au début du film, il fête son anniversaire. Plus tard, ses employés de jardin utilisent des cendres de déportés pour servir d’engrais. Les fleurs sont belles, les enfants s’amusent, mais il faut faire attention aux restes humains dans le cours d’eau. La mère de famille s’ennuie mais tient plus que tout au monde à ce petit coin de paradis. Elle essaie un manteau de fourrure récupéré dans le camp, qu’il faudra repriser. La bourgeoisie atteint ses propres limites, faites d’impunité et d’aveuglement volontaire. Ce ballet macabre se déploie sous la musique planante/terrifiante de Mica Levi, qui accompagne des saillies parfois étranges : tout à coup, filmée par une caméra thermique, une jeune fille dépose des fruits sur un chemin emprunté par les Juifs affamés ; un peu plus tard, nous lisons dans les sous-titres le poème bouleversant d’un déporté, retrouvé sur un parchemin.

Sandra Hüller dans La Zone d'intérêt (2024) de Jonathan Glazer © Leonine.
Sandra Hüller dans La Zone d’intérêt (2024) de Jonathan Glazer © Leonine.

Sandra Hüller au générique

En 2015, Le Fils de Saul du hongrois Laszlo Nemes, plongeait en immersion à Auschwitz avec les prisonniers juifs des Sonderkommandos forcés de participer à la mise à mort des déportés. Fallait-il représenter l’intérieur du camp, les chambres à gaz, alors que Shoah, le chef d’œuvre de Claude Lanzmann, semblait avoir théorisé cet interdit ? Jonathan Glazer, lui, reste à distance et fait même de cette distance son sujet profond.

Son film laisse la réalité d’Auschwitz s’immiscer par les bords du cadre : traits de fumée des locomotives qui arrivent et des fours crématoires tournant à plein régime, cris incessants perçus comme un bruit de fond, claquements de balles hors-champ. L’horreur est là, invisible mais tout proche, jusqu’au moment où, peut-être, l’enfer du dehors se faufile jusque dans les âmes pourries de la famille Höss. Dans l’une des scènes les plus fortes du film, Rudolf s’arrête pour vomir alors qu’il descend des escaliers. Mais rien ne sort, comme s’il était vide à l’intérieur.

Certains ont crié au chef-d’œuvre et beaucoup ont vu La Zone d’intérêt (The Zone of Interest) avec Sandra Hüller au palmarès du Festival de Cannes dont le Jury était présidé par Ruben Östlund. Il a finalement remporté le grand prix.

Pourquoi, alors, ce sentiment diffus d’avoir vu un film puissant mais un peu engoncé dans son propre système, trop programmatique pour convaincre totalement ? Jonathan Glazer maitrise tellement ses effets qu’il peut donner l’impression de nous enserrer autant qu’il enserre ses personnages. C’est le genre de choc cannois que l’on reçoit avec force et qui dans le même mouvement interroge : l’art est-il à ce point un système d’accusation contre le mal qui rode ? Comment, devant un tel sujet, jouer à ce point la stratégie du brio esthétique ? Une chose est certaine, le quatrième long-métrage de Jonathan Glazer donne à penser et nous hantera pour longtemps.

La Zone d’intérêt (The Zone of interest) (2024) de Jonathan Glazer, avec Christian Friedel et Sandra Hüller, diffusé ce mardi 5 novembre 2024 sur Canal+.