À un mois des Oscars, Hollywood brûle-t-il toujours?
Les révélations faites par le New York Times, le New Yorker et The Guardian sur le comportement criminel avec les femmes du méga producteur hollywoodien Harvey Weinstein, ont ouvert une porte restée trop longtemps fermée. La parole des actrices – de Léa Seydoux à Ashley Judd en passant par Rose McGowan et Angelina Jolie – a provoqué une onde de choc dont les conséquences sont encore difficiles à estimer. Seule certitude, le système dans lequel nous vivions il y a encore quelques mois connaît ses derniers moments d’impunité. Les intenses débats actuels tendant à vouloir séparer les artistes de leurs œuvres, ou au contraire à ne plus accepter de rendre hommage à ceux qui ont abusé de leur pouvoir, montrent que chacun a été pris par surprise.
Par Olivier Joyard.
Les langues se délient, mais les cerveaux commencent à peine à penser différemment. Comment remettre en cause des réflexes conditionnés depuis des décennies ? Comment rêver à d’autres manières de voir et de filmer ? Même si les enjeux concernent toute la société, le cinéma et l’entertainment en général tiennent un rôle de révélateur très particulier. Après les Golden Globes début janvier, la saison des prix hollywoodiens se conclut le 4 mars prochain avec des Oscars dont c’est peu dire qu’ils sont les plus attendus depuis bien longtemps. Les cérémonies n’ont pas simplement une fonction d’exhibition des plus belles robes imaginées par les couturiers : elles sondent le pouls d’une industrie et de ses valeurs, laissant imaginer ce qui envahira nos écrans dans les années à venir. Les interventions rageuses de présentateurs et de lauréats sont attendues, dans un contexte d’autant plus politisé que l’Amérique de Hollywood s’oppose radicalement à celle du président Trump. Le dernier film de Steven Spielberg avec Meryl Streep et Tom Hanks, The Post, raconte l’histoire des Pentagon Papers (documents secrets sur les origines de la guerre du Vietnam révélés dans les années 70 par le Washington Post) tout en insistant sur le rôle déterminant joué par la rédactrice en chef de l’époque, première femme à avoir tenu ce poste. Une double pertinence qui pourrait donner au roi de Hollywood depuis quarante ans la position du vieux sage. Et donc quelques statuettes.
La nouvelle génération féminine pourrait être amenée à prendre le pouvoir dans les années à venir.
Et la nouvelle génération féminine, celle qui a permis que l’omerta soit enfin levée ? Elle pourrait être amenée à prendre le pouvoir dans les années à venir, que ce soit du côté des blockbusters ou dans l’univers indé – même si pour l’instant elle a pu s’exprimer davantage du côté des séries comme I Love Dick ou The Handmaid’s Tale. Les Oscars pourraient tout de même faire une place à Patty Jenkins, qui a réalisé, avec Wonder Woman, un film à grand spectacle inédit où une héroïne occupe un espace habituellement réservé aux hommes. Comment ne pas voir dans la première partie du film, située sur l’île des Amazones, ces guerrières vivant dans un univers exclusivement féminin, une métaphore des luttes d’aujourd’hui ? À l’autre bout du spectre économique, l’actrice devenue réalisatrice Greta Gerwig a signé avec Lady Bird son premier long-métrage, un portrait de jeune femme accueilli avec enthousiasme pour sa mise en avant d’un personnage principal féminin capable d’abattre en douceur les obstacles. L’académie, réputée conservatrice, pourra-t-elle enfin se montrer synchrone avec son époque ?
Critiqués pour leur manque de prise en compte des talents afro-américains, les Oscars seraient inspirés de les mettre en avant.
La question des minorités se pose en tout cas cette année de manière plus brûlante encore qu’auparavant. Critiqués pour leur manque de prise en compte des talents afro-américains, les Oscars seraient inspirés de mettre en avant, en plus des femmes qui ont marqué les douze derniers mois, un film qui réfléchit dans sa chair à la place des Noirs dans la société américaine contemporaine : le petit bijou horrifique de Jordan Peele, Get Out. La révolution en cours ne pourra pas se contenter d’une seule porte d’entrée.
The Post de Steven Spielberg, sortie le 24 janvier.
Lady Bird de Greta Gerwig, sortie le 28 février.