2 juin 2021

Céline Sciamma a-t-elle raison de flirter avec le fantastique ?

Avec Petite Maman, la réalisatrice-scénariste aborde brillamment les relations mère-fille et raconte le deuil à travers la rêverie. 

Puisque ce sont, le plus souvent, les petites choses qui donnent du baume au cœur – une petite bière en terrasse, un petit dîner entre amis, une petite balade à vélo… – on pouvait prédire, avant d’assister à la projection du dernier Céline Sciamma, que cet adjectif, accolé au mot “maman” dans le titre, nous assurerait de passer un bon moment. On s’attendait à beaucoup de tendresse, on n’a pas été déçu. Pourtant axé sur le deuil, Petite Maman se révèle extrêmement lumineux. Il s’articule autour du temps de l’enfance, assimilé, dans la plupart des cas, à une période réconfortante, et aborde la perte de l’être cher via l’angle, très envoûtant, du fantastique. Au vue de la filmographie très ancrée dans le réel de la cinéaste, l’idée a semblé audacieuse. Mais les apparitions fantomatiques du Portrait de la jeune fille en feu prouvent qu’elle aime flirter avec ce genre, par petites touches, afin d’injecter du rêve dans ses histoires. 

 

Deux ans après le carton à l’international du prix de la Mise en scène à Cannes, la réalisatrice de Tomboy [sorti en 2011, où un garçon de 10 ans réclame le droit de se genrer au féminin] revient donc avec un cinquième long-métrage cette fois très intimiste, un “petit” film d’une heure dix qui aborde pourtant de grandes questions. Sous ses allures de conte pour adultes, Petite Maman prend des airs de voyage dans le temps, toujours conjugué au féminin, où une petite fille, Nelly (Joséphine Sanz), rencontre sa mère lorsque celle-ci était enfant. Cette gamine a 8 ans et traverse un moment très particulier, difficile même : la perte de sa grand-mère. Lors de la scène d’ouverture, on découvre cette petite en train de déambuler dans les couloirs bleutés et aseptisés de la maison de retraite d’où son aïeule est pensionnaire. Après la mort de cette dernière, vient le moment où mère et fille doivent se rendre dans sa maison afin de trier ses affaires. Une fois sur place, Marion (Nina Meurisse), la mère de Nelly, se révèle atone, meurtrie. Perdue dans la forêt, la demeure de la défunte devient ainsi le théâtre d’allers et retours mystérieux. Marion disparaît et Nelly rencontre une fillette (Gabrielle Sanz) ayant absolument la même apparence qu’elle – bouclettes châtaines et bouille à croquer. Voilà qu’elle se retrouve face à sa mère au même âge. 

D’apparence complexe, Petite Maman ne fait qu’évoquer, avec beaucoup de poésie, les relations mère-fille. Et ce qu’elles induisent naturellement : l’acceptation de la déchirure, cette perte programmée, et pourtant si redoutée, de la figure maternelle. Rempli de scènes où des gamines semblent non seulement égales mais parfois supérieures aux adultes – dans leur capacité à relativiser, à comprendre et à accepter les choses de la vie –, ce long-métrage sur des femmes (et sur la féminité en général) interroge, sans déstabiliser, la capacité qu’ont les enfants à s’émanciper, à s’extraire du monde sensible pour atteindre cet entre-deux insaisissable qu’est l’imaginaire. Il confirme le don de Céline Sciamma pour les fables enfantines, elle qui, film après film, préfère aborder les tourments de la vie d’adulte à travers des portraits de l’âge tendre.

 

Petite Maman (2021) de Céline Sciamma, actuellement en salle.