Cannes 2024 : pourquoi Le Deuxième acte est le film d’ouverture parfait du festival
Avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard et Louis Garrel, la nouvelle comédie de Quentin Dupieux tombe à pic. Présenté ce mardi 14 mai 2024 en ouverture du Festival de Cannes, le film Le Deuxième acte relate le récit d’un tournage bordélique et accouche d’un regard pertinent sur le septième art.
par Olivier Joyard.
Le film Le Deuxième acte de Quentin Dupieux ouvre le Festival de Cannes 2024
“C’est pour ça que c’est cool, le cinéma : ça sert à rien !” A peine le Festival de Cannes ouvert, on tient déjà la phrase de la quinzaine. C’est Léa Seydoux qui la prononce, dans l’une des premières scènes du très plaisant nouveau film de Quentin Dupieux, Le Deuxième acte, présenté ce mardi soir en ouverture. Son sujet ? Les coulisses d’un tournage où la vie et son recadrage par la fiction se mêlent allègrement. Que le plus grand festival de cinéma au monde fasse entendre haut et fort cette formule apparemment ironique se révèle assez réjouissant – ou réaliste, on ne sait pas encore très bien. Si le monde parait palpiter au rythme des films durant le rendez-vous cannois, les dernières années ont renforcé la spécificité et le rôle de Cannes comme rempart, bastion, on l’appellera comme on préfère, en faveur d’une conception artistique du cinéma qui tente justement de dire qu’elle sert à quelque chose. Contre vents et marées.
Au milieu des fêtes et des deals en coulisses, des montées des marches surlookées, quelques films pointent le bout de leur nez pour tenter d’éclairer nos lanternes. Cette année, rien que dans la compétition, quelques habitués (Jacques Audiard avec sa comédie musicale Emilia Perez, Yorgos Lanthimos pour Kinds of Kindness, David Cronenberg et son funèbre Les Linceuls, notamment) croiseront un revenant magnifique (Francis Ford Coppola qui, à 85 ans, présente son plus qu’attendu Megalopolis) et de jeunes cinéastes encore peu habituées aux honneurs (les françaises Agathe Riedinger et Coralie Fargeat, l’indienne Payal Kapadia).
Le réalisateur Quentin Dupieux, artiste bricolo devant l’éternel
On en passe et on y reviendra forcément : l’effet Cannes joue toujours à plein quand il s’agit de mettre en scène la puissance symbolique du cinéma. Cette puissance est mise à mal par la violence du monde – pourquoi s’occuper de beauté alors qu’il y a les guerres ? – mais aussi par des conceptions de plus en plus étroites de la culture, séparant un art élitiste et un autre populaire. Une notion qui s’effondre d’elle-même dans ce festival superbement contradictoire : si beaucoup de films montrés ici ne trouveront pas un large public (et encore, cela relève parfois du mythe : la palme 2023, Anatomie d’une chute de Justine Triet, a rassemblé des millions de paires d’yeux à travers la planète), la plupart font des peuples et des individus les plus en marges de nos sociétés des héros.
Si le film de Quentin Dupieux – son treizième alors qu’il vient tout juste de fêter ses cinquante ans ! – se révèle un excellent choix pour mettre en appétit, c’est d’abord grâce à la propension du cinéaste de Rubber et Yannick à absorber, avec son style singulier, les sujets du moment. En plus de sa drôle de saillie, presque punk, sur l’inutilité supposée du cinéma, Le Deuxième acte se déploie autour de plusieurs petits twists dont le plus important met en jeu l’intelligence artificielle, ce fameux avenir des images dont Hollywood et la Tech ne cessent de parler. Attention, spoiler ! Le tournage dont il est question dans le film est en fait confié à un avatar de réalisateur, totalement fictif. Cette pure « IA » aux méthodes radicalement étrangères à toute sensibilité artistique donne ses consignes via un ordinateur portable, dans des scènes hilarantes. Il incarne l’inverse de Quentin Dupieux, artiste bricolo devant l’éternel.
Léa Seydoux et Raphaël Quenard au casting
Comme souvent chez ce dernier, l’artificiel sera finalement dépassé par une version de la réalité. La violence des affects reprendra même ses droits. On rira bizarrement un peu jaune devant ce film qui a aussi ses limites : un certain systématisme dans les effets, inhérent au cinéma de son auteur, l’empêche parfois de décoller. Mais Quentin Dupieux déjoue aussi ses propres pièges en conservant une légèreté fondamentale. On peut voir Le Deuxième acte comme une relecture fantaisiste et cruelle d’un genre passé de mode : le drame made in France, aux relents années 1970 et années 1980.
Autour de Léa Seydoux, Vincent Lindon et Raphaël Quenard se rentrent gentiment dedans, sous le regard d’un Louis Garrel décidément parfait quand il s’agit de mélanger le comique et l’étrange. Tout cela ne tient qu’à un fil. Dupieux met moins en exergue la puissance du cinéma que sa fragilité, on pourrait dire sa belle faiblesse, pour laquelle il milite. Si le cinéma ne « sert à rien », c’est surtout de cette manière. On espère que toute la sélection cannoise fera preuve de la même envie d’en découdre avec les enjeux contemporains du cinéma, ce vieux rêve qui bouge.
Le Deuxième acte (2024) de Quentin Dupieux (Hors-compétition), avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard et Louis Garrel, actuellement au cinéma.