21 avr 2020

“Betty” sur OCS: skate, sexe et psychotropes

Après avoir remporté le Grand Prix du jury au Festival du Sundance en 2015 pour son documentaire “The Wolfpack”, l'Américaine Crystal Moselle a porté à l'écran l'histoire d'un groupe de jeunes skateuses dans son film “Skate Kitchen”, sorti en 2018. Adapté cette année pour le petit écran, le long-métrage a donné naissance à une mini-série de six épisodes, “Betty”, disponible le 2 mai sur OCS.

L’univers d’HBO est si vaste qu’il nous embarque parfois dans des contrées jamais explorées (Game of Thrones), qu’il fait se côtoyer l’Amérique du Far West et celle du futur (Westworld) ou qu’il nous plonge dans les méandres de la criminalité (The Wire). De façon plus légère mais non moins appréciable, la plupart des séries de la chaîne câblée nous plongent dans l’intimité de leurs personnages: à New York, on a pu suivre le quotidien d’une bande de jeunes filles à la sexualité décomplexée (Girls), les questionnements de working girls plus âgées et aux dressings bien remplis (Sex and the City), on a aussi baroudé dans les artères de Brooklyn sous cannabis (High Maintenance)… Le plus souvent, la chaîne câblée américaine diffuse des séries captant à merveille leur époque et l’ambiance des villes américaines, accordant une grande importance à l’écriture et au développement de chaque personnage. C’est le cas de Betty. 

 

 

Mini-série deviendra grande

 

 

En empruntant à High Maintenance ses personnages de citadins new-yorkais hétéroclites et attachants – on suit les aventures de cinq filles, dont la plupart sont lesbiennes et noires –, à Girls ses hommages multiples à la féminité et en axant son histoire autour du quotidien d’un skate park de la Grosse Pomme – qui rappelle le cultisme Kids (1995) de Larry Clark (dénué de sa noirceur) et les vidéos de skate des débuts de Spike Jonze (Fully Flared, Video Days) – Crystal Moselle a su créer tout un monde: le sien. Il est fait d'adolescentes, de vols planés, de descentes magistrales sur des rampes, de sororité, d’usage de psychotropes et de questions sur la sexualité. Il est également fait de rencontres, car Betty est écrite d’après l’histoire vraie de ces bébés skateuses, que la cinéaste a rencontrées dans le métro. Avec elles, Crystal Moselle se pose une question: dans le milieu ultra masculin qu’est le skate, comment exister en tant que groupe de filles?

 

https://youtu.be/WZJDvp8is2w

D’un film à une série

 

Tandis que certains des grands succès de la chaîne américaine ont donné naissance à des sequels sous forme de longs-métrages, dont les deux Sex and the City (pas vraiment nécessaires) et plus récemment, la préparation d'un film sur les Soprano – avec en tête d’affiche le fils de la star décédée du show, James Gandolfini – Betty, à l’inverse, est née d’un film indépendant américain. Sorti en 2018, Skate Kitchen, du nom du collectif de skateuses, a transformé en fiction lumineuse le quotidien répétitif de filles dans un skate park new-yorkais majoriatirement cotoyé par des hommes. Pour parler de féminité dans cet univers ultra masculin, l’Américaine de bientôt 40 ans a imaginé une histoire où Camille (Rachel Vinberg) s’ennuie et rejoint une clique d’adolescentes repérée sur les réseaux sociaux. Grâce au skate et au groupe, la jeune femme s’émancipe et trouve enfin sa place dans un monde qui, lorsqu’elle était seule, la rejetait. 

 

 

Betty, avec ses six épisodes de trente minutes, va encore plus loin: même si ce sont les mêmes que dans le film original, les personnages principaux (Camille, Janay, Kirt, Honeybear et Indigo) sont mieux écrits, plus profonds et attachants – notamment celui d’Indigo, une jeune fille pommée, accro à la weed et initiée au skate dès le premier épisode –, les intrigues s’enchainent et s’axent principalement sur la difficulté pour le groupe de penser à l’unisson. Les émois sexuels, eux, sont abordés en filigrane par Crystal Moselle qui a dit s’être inspirée du premier film de Céline Sciamma pour écrire le sien. On retrouve alors un peu de Naissance des pieuvres (2007) – où Adèle Haenel connaît ses premiers émois amoureux, pas tout à fait sûre de son choix entre filles et garçons – dans Betty. En resulte une série tendre et lumineuse, éclairée par une vision sincère de la féminité.

 

Betty (2020) de Crystal Moselle, disponible le 2 mai sur OCS.