“Berlin Alexanderplatz” : plongée dans les bas-fonds du Berlin mafieux
En salle mercredi 11 août, cette nouvelle adaptation de l’ouvrage sombre d’Alfred Döblin revisite le classique de la littérature à travers les codes du film de gangster. Le film nous embarque dans le Berlin des clubs privés, des soirées sous ecstasy, des règlements de compte au couteau, du deal dans les parcs et de la prostitution de luxe 2.0…
Par Chloé Sarraméa.
Berlin Alexanderplatz est de ces films dont la longueur – 185 min – peut rebuter mais qui, finalement, nous laissent médusés, subjugués par leur beauté plastique et même scotchés par leur intensité. Ces films qui prennent leur temps, laissant à leur personnage l’occasion de dévoiler toute leur complexité et surtout, ici, de faire face à leurs démons. On y suit les aventures de Francis (Welket Bungué), un fils de marchand de Guinée-Bissau désargenté et sans famille qui débarque à Berlin. Cherchant à mener une vie paisible, il s’englue pourtant dans une quête absurde et exaltée du “rêve allemand”, et tombe sous le joug de Reinhold (Albrecht Schuch), un dealer psychopathe qui lui promet de régner sur la capitale.
Violent et cruel, le film de Burhan Qurbani est adapté d’un monument de la littérature allemande paru en 1929, de presque cinq cent pages, signé Alfred Döblin. Le livre suit Franz Biberkopf, un homme sorti du caniveau souhaitant faire partie de la bourgeoisie. À sa sortie de prison, en 1928, où il vient de passer quatre ans à pour le meurtre de sa compagne, dont il était aussi le proxénète, Franz jure de ne pas retomber dans le crime et le péché. Pendant dix-huit mois, tout va le conduire hors du chemin de la rédemption… Allègrement comparé au style de Céline, le roman avait déjà été mis en scène auparavant, pour la télévision, avec une série de 931 minutes que son auteur, le cinéaste Rainer Werner Fassbinder, qualifiait de “film en treize chapitres et un épilogue”. À l’époque, le réalisateur avait bénéficié d’un budget considérable, même inédit comparé à ceux alloués à ses longs-métrages. Cela avait donné un résultat obscène, loufoque et parfois difficile à suivre…
Cette nouvelle adaptation, elle, a conservé la noirceur de la précédente tout en modernisant l’ouvrage à l’extrême. Le personnage de Franz devient un immigré souhaitant plus que tout s’intégrer, puis carrément incarner l’Allemagne (il argue férocement, lors d’une scène marquante, “Je suis l’Allemagne !”). Le visage recouvert d’un masque de lapin, il commet des braquages avec son acolyte Reinhold et s’enfuit dans un SUV aux vitres teintées. Sorte d’Odyssée contemporaine vers la rédemption, le film de Burhan Qurbani – qui se révèle ici comme le cousin allemand de Nicolas Winding Refn –, nous embarque dans le Berlin des clubs privés, des soirées sous ecstasy, des règlements de compte au couteau, du deal dans les parcs et de la prostitution de luxe 2.0. À travers le format d’un film de gangster en cinq parties, Berlin Alexanderplatz aborde la question des migrants et de leur intégration, en Allemagne comme ailleurs, sans tomber dans l’aspect politique qui desservirait au film. Et s’il brille par sa raisonnance avec l’actualité et son aspect léché ultra moderne, on ne saurait lui reprocher que sa recherche effrénée de densité.
Berlin Alexanderplatz (2021) de Burhan Qurbani, en salle le 11 août 2021.