29 avr 2022

Avec le Mucem, un podcast important rappelle les enjeux de la lutte contre le sida

Depuis décembre, le Mucem à Marseille consacre la première rétrospective d’une telle envergure à l’histoire politique et sociale du VIH/sida, réunissant des centaines d’objets et traces matérielles de quarante années d’épidémie. En marge de cette exposition qui fermera ses portes ce lundi 2 mai, le média culturel Manifesto XXI s’est associé au musée marseillais pour réaliser un podcast en cinq épisodes, revenant avec sa dizaine d’intervenants sur les enjeux contemporains liés à la lutte contre le sida, de ses mutations et ses progrès à sa patrimonalisation et au devoir de mémoire.

Act Up-Amsterdam, affiche, 2000-2013. Mucem. © Act up-Paris ; photo : Mucem

5 juin 1981 : les centres pour le contrôle et la prévention des maladies américains publient dans leur Morbidity and Mortality Weekly Report un article scientifique évoquant les cas de cinq jeunes Californiens souffrant des mêmes symptômes préoccupants, une infection rare des poumons sella à une pneumonie. L’année suivante, face à l’augmentation massive de cas similaires et de nombreux décès, la maladie mortelle découlant de ce nouveau virus est baptisée sida, pour “syndrome d’immunodéficience acquise”. Quarante ans après le début reconnu d’une véritable épidémie, on estime à 80 millions le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde, dont plus de 40% ont perdu la vie des suites de la maladie. Avec ces pertes multiples, la propagation massive et mondiale du virus, mais également la stigmatisation violente des homosexuels et personnes LGBTQ+, toxicomanes ou encore travailleurs du sexe, l’épidémie a marqué les quatre dernières décennies et provoqué des changements majeurs, aussi bien sur le plan scientifique que politique et sociétal. Un héritage dense, complexe et souvent douloureux qui a conduit en décembre 2021 le Mucem à inaugurer une exposition à l’histoire sociale et politique de la pandémie et de la lutte, en réunissant ses objets et traces matérielles collectées attentivement par le musée depuis plusieurs décennies. En parallèle de cette exposition, première de cette envergure sur le sujet, l’institution marseillaise s’est associée au média culturel Manifesto XXI dans la production d’une série de podcasts revenant sur plusieurs aspects de la pandémie intitulée, comme l’exposition, “VIH/Sida, L’épidémie n’est pas finie !”.

 

“Je suis indétectable : mon but, ce n’est pas de vivre le VIH. Mon but, c’est de vivre la vie”, déclare Abderrezak dès les premières secondes du premier épisode. Atteint du VIH, le Marseillais invité dans l’émission exprime une réalité optimiste qui déjoue les préjugés historiques, souvent stigmatisants et misérabilistes : grâce aux traitements, on peut aujourd’hui vivre avec le virus sans le transmettre lorsque sa charge virale s’est suffisamment affaiblie. Car si 700 000 personnes dans le monde meurent chaque année du sida en France et plus de 6000 personnes se contaminent chaque année, si les recherches doivent continuer pour trouver de nouveaux traitements, il est capital d’informer également sur les progrès majeurs et les traitements existants, aujourd’hui beaucoup plus accessibles, tels que la PrEP. En cinq épisodes d’environ une demi-heure chacun, le podcast revient sur l’histoire politique et sociale de la lutte contre le sida, en miroir du corpus matériel, artistique et théorique de l’exposition, tout en explorant ses actualités et les coulisses du projet. En effet, depuis des années, les chercheurs et anthropologues Stéphane Abriol et Françoise Loux ont collecté 12 000 objets provenant de 49 pays pour raconter cette histoire et la patrimonialiser pour le Mucem – anciennement musée national des Arts et Traditions Populaires –, en attendant le moment propice pour les dévoiler au public. Affiches, tee-shirts et flyers préventifs et militants, comme la très marquante image “Silence = Mort” de l’association Act Up-Paris, coupures de presse et œuvres réalisés par des artistes séropositifs, distributeurs de préservatifs ou même flacons de poppers font ainsi partie du corpus riche et varié exposé dans le musée jusqu’au 2 mai.

Affiche « Fières d’être gouines, fières de lutter contre le sida. », 1994. Archives nationales, Paris, fonds Act Up-Paris, 1989- 2014 © Act Up-Paris ; photo : Archives nationales, France
Jean-Marc Armani, Encapotage de l’Obélisque place de la Concorde par Act Up-Paris, Paris, 1er décembre 1993 © Jean-Marc Armani / PINK / Saif Images

Devant le micro tendu par Manifesto XXI, ce sont aussi bien des personnes atteintes du virus que des activistes et membres d’associations, des professionnels de santé que des historiens et chercheurs en sciences humaines qui se succèdent pour prendre la parole, parmi lesquels plusieurs des huit commissaires réunis pour monter l’exposition et quelques uns des quarante membres de son comité de suivi. Pourquoi avoir réuni autant de personnes sur ce projet ?, s’interroge-t-on. Une volonté de faire converger les objets et les points de vue, répond un intervenant, mais aussi de tout faire pour que le musée évite l’écueil de “parler de”, pour préférer l’approche de “parler avec” les concernés. Au fil des épisodes, plusieurs réalités sont mises en avant par les participants : l’écart entre les progrès scientifiques dans la lutte contre le sida et ses représentations – qui restent encore souvent bloquées sur les années 90 –, la question de la légitimité des études et témoignages des personnes atteintes – qui excluent les paroles de nombreuses personnes isolées et marginales, comme les migrants –, mais aussi les changements dans la médiatisation de la lutte dès le moment où les séropositifs ont commencé à pouvoir vivre normalement en Occident.

 

“On assiste à un nouveau passage sous silence”, affirme Elisabeth Lebovici, critique d’art et autrice de l’ouvrage Ce que le sida m’a fait. Évoquant aussi bien l’évolution de l’activisme contre le VIH/sida que sa muséification, qui divise encore aujourd’hui les personnes concernées, l’émission passe en revue les nombreux enjeux liés à la considération de l’épidémie en 2021, jusqu’au récent combat – toujours en cours – des militants pour obtenir de la mairie de Paris la création du premier centre d’archives LGBTQ+ en France, et contribuer à étoffer et transmettre cette histoire. “L’archive est politique”, signale Roméo Isarte, confondateur de l’association Mémoire Minoritaire, tandis que l’art-thérapeute Isabelle Sentis rappelle, à travers sa création collective d’un patchwork inscrivant sur les métrages de tissus les noms des disparus, combien l’art peut également opérer ce devoir de mémoire. En proposant cette réactualisation riche et salutaire du sujet, gageons que l’exposition et l’émission parviendront à rappeler son importance contemporaine à l’heure de son absence croissante de l’espace public et médiatique – notamment depuis qu’une nouvelle pandémie l’y a massivement supplanté depuis deux ans.

 

 

“VIH/Sida. L’épidémie n’est pas finie”, jusqu’au 2 mai au Mucem, Marseille.

Les cinq épisodes du podcast réalisé par Manifesto XXI sont disponibles sur toutes les plateformes de streaming.