Audrey Tautou nous dit tout sur son expo photo aux Rencontres d’Arles
Depuis plus de quinze ans, l’iconique actrice d’Amélie Poulain réalise, dans le plus grand secret, des photographies, dont de nombreux autoportraits. Pour la toute première fois, elle dévoile ses clichés aux Rencontres d’Arles, cet été.
Par Thibaut Wychowanok.
NUMÉRO : Réaliser des autoportraits, est-ce une manière pour une actrice de redevenir maître de sa propre image ?
Audrey Tautou: Il y a peut-être une part de ça. Mais ce qui est sûr, c’est que je ne prends pas ce travail à la légère. Je peux mettre un mois à réaliser un autoportrait. Je fais tout, seule : le décor, les accessoires, la prise de vue… Parfois, je désespère ! Est-ce que je fais ça pour me réapproprier mon image ? [Silence.] Vous savez, on n’a pas de prise sur son image. C’est un combat vain. Chercher à la contrôler est un combat vain.
Avez-vous toujours été à l’aise avec le regard des autres ?
Je n’ai jamais cherché à être un objet de fantasmes. Être une image ne m’intéresse pas. Est-ce la raison pour laquelle je ne me suis jamais sentie “actrice” en dehors des plateaux de cinéma ? Je vivais dans une forme de compromis finalement, pendant des années. Mes photographies étaient reléguées dans un jardin secret. À l’abri des regards. Personne n’y avait accès. Je me suis cachée comme ça derrière mon image d’actrice pendant dix ans, sans m’y sentir forcément à l’aise, mais en m’y sentant au frais. Et puis est arrivé le moment où je ne pouvais plus continuer ainsi. Révéler ce “morceau” de ma personne est devenu une nécessité, une question de survie, même si ce terme peut paraître excessif.
Aviez-vous déjà montré vos photographies auparavant ? Non, jamais. Pas même à mon entourage. Pourtant je prends ces photos depuis plus de quinze ans. Il m’en a fallu plus de six pour franchir la porte d’un laboratoire professionnel. J’avais fini par tomber sur un forum en ligne où quelqu’un avait écrit : “Chez Publimod, ils sont aussi sympathiques avec les photographes amateurs qu’avec les professionnels.” Ça m’avait un peu rassurée. Il m’a fallu encore deux mois pour me décider. Je m’y suis même rendue avec ma sœur. J’ai développé mes images en un seul et petit exemplaire. Ce qui me paraissait déjà beaucoup trop !
Aux Rencontres d’Arles, vous présentez également plusieurs centaines de portraits de journalistes…
Avec Amélie Poulain, la célébrité a été tellement soudaine, radicale et puissante. J’étais au centre d’un vrai tourbillon médiatique. J’enchaînais les interviews – parfois limitées à quatre minutes seulement. J’avais besoin de donner un sens à tout ce temps passé, à toutes ces rencontres éphémères dont je ne gardais rien. Alors, pour la promotion d’Un long dimanche de fiançailles, j’ai commencé à prendre des photos de tous les journalistes qui m’interviewaient. Comme une anthropologue. Et je me suis retrouvée avec plus de 700 photos de journalistes.
Était-ce une manière d’inverser les rôles ? De tenir tout cela à distance devant l’objectif de l’appareil ?
J’avais surtout besoin d’humaniser ces moments, de garder un souvenir, un visage. Il y a quelque chose de tellement mécanique et abstrait dans les “press junkets” où les interviews se succèdent à la chaîne… Je voulais aussi témoigner de la façon dont on fabrique une image. Je rencontre les journalistes. Je leur demande si je peux les prendre en photo à la fin de l’interview. Ils me disent oui. Clap, c’est dans la boîte. Et voilà, l’image est créée et figée. C’est ce qui reste d’eux, que ça leur ressemble ou non.
Est-ce que vous allez me prendre en photo ?
J’ai bien peur que non. J’ai arrêté il y a quelques années. Quand Claude Miller est décédé, juste avant la sortie de Thérèse Desqueyroux, je me suis retrouvée à assurer la promotion du film sans mon metteur en scène. C’était très douloureux. Je n’avais plus le cœur à ça. De toute façon, ma petite manie devenait trop connue. Il n’y avait plus aucune spontanéité.
Pour vos autoportraits, la spontanéité est-elle aussi de rigueur ?
J’en réalise de deux sortes : des autoportraits, disons, “mis en scène”, même si je préfère dire “composés” – leur réalisation peut me prendre un mois – et des autoportraits pris dans mon quotidien. En travaillant pour cette exposition, j’ai d’ailleurs découvert que je me cherchais souvent dans un reflet ou dans un miroir…
Dans vos mises en scène, on vous découvre grimée, avec une moustache, ou bien au milieu des dizaines de sacs que des grandes marques de luxe vous ont offerts, ou nue en pleine forêt. Comment les réalisez-vous ?
Je me photographie toujours dans des lieux qui me sont intimes : mon appartement, un endroit où j’ai habité, une mare dans le jardin de mes parents, et uniquement avec des objets qui m’appartiennent. C’est moi qui m’adapte au lieu et non l’inverse. Je m’occupe de tout seule. Et je ne m’épargne rien ! Quand je prends une photo, je suis autant MacGyver qu’Audrey Tautou. Je m’oblige à la plus stricte économie. Je ne fais jamais appel à mes amis techniciens ou chefs opérateurs. Je ne me permets aucune retouche ni aucun recadrage par la suite. Et je shoote en argentique !
Incarnez-vous un personnage, comme au cinéma ?
Non, pas du tout. J’ai plutôt l’impression de photographier une personne qui se trouverait à l’intersection de ce que je suis et de ce que les gens peuvent fantasmer de moi. Ou peut-être que je photographie ce que je ressens quand un regard inconnu se pose sur moi.
L’humour est très présent…
C’est ma nature. Je me prends difficilement au sérieux, même si je fais les choses très sérieusement. L’autodérision est un sport que je pratique au quotidien. C’est peut-être aussi en cela que ces photos sont intimes. Je ne veux pas cacher mes défauts.
À Arles, vous présentez également une forme très spéciale de making of de ces photos mises en scène…
Oui, le public a envie d’en savoir toujours davantage sur les coulisses, l’intimité des célébrités. Lors des préparatifs et de la prise de vue, j’ai décidé d’installer deux caméras de surveillance à infrarouges destinées, à l’origine, aux bêtes sauvages, pour me photographier. Elles détectent mes mouvements et prennent des photos de manière très aléatoire mais en continu. Je propose une version paroxystique du making of !
Vous prenez-vous pour une bête sauvage ?
Sûrement. D’ailleurs j’ai prénommé ces caméras Joe et Jim. Mes deux chasseurs.