5 films scandinaves ultra angoissants à découvrir
The Innocents, le somptueux et terrifiant chef d’œuvre du réalisateur norvégien Eskil Vogt, (scénariste de Julie en 12 chapitres, primé à Cannes), débarque dans les salles obscures le 9 février. Frissons garantis dans ce film qui s’impose aux côtés des plus grands chefs d’œuvre du cinéma scandinave. À l’occasion, retour sur cinq films marquants et ultra-angoissants du cinéma nordique, d’Ingmar Bergman à Lars von Trier.
Par Chloé Bergeret.
1. Haine familiale dans le huis clos oppressant dans Cris et chuchotements du Suédois Ingmar Bergman, (1972)
Cris et chuchotements, film central de la filmographie de Bergman, livre une exploration troublante des méandres de la souffrance humaine. Agnes se meurt d’un cancer de l’utérus dans une riche demeure suédoise. Elle est accompagnée dans son agonie par ses deux sœurs, Maria et Karin, ainsi que par sa domestique Anna. Centré sur la souffrance, le film explore toute les formes que celle-ci peut revêtir. Mais on ne voit rien de cette souffrance. Loin d’être un film rempli de violences physiques et de corps sanguinolents, Cris et chuchotements terrifie par l’angoisse psychologique. On découvre avec effroi, l’ampleur de la souffrance spirituelle des trois soeurs, puisqu’on assiste, par l’intermédiaire de flashbacks, aux événements de leur passé traumatique. On découvre ainsi l’amour d’Agnes pour une mère distante, la relation adultère entre Maria et le docteur de famille, suivie par la tentative de suicide de son mari et la résolution extrême avec laquelle Karin, refusant toute forme de relations érotiques, se mutile le sexe pour échapper à ses “devoirs conjugaux”. Ingmar Bergman, grand maître dans l’exploration de la psychologie humaine, s’intéresse ici à la souffrance charnelle et aux désirs inassouvis et tabous. Ce n’est pas un hasard si Agnes souffre d’un cancer de l’utérus, l’appareil génital féminin est le lieu de l’intériorité féminine, de ces douleurs que le cinéaste explore. Dans une pièce aux tentures rouges, les trois femmes vêtues de blancs se jaugent, s’observent et se détestent. Un climat anxiogène règne, et le spectateur est entraîné dans l’agonie des personnages, confronté à leurs cris et à leur violence. Dans une esthétique digne des plus grands tableaux, l’étau se resserre sur ces femmes. La mort rôde, dans cette atmosphère bourgeoise, calme et feutrée, mais qu’on sent prête à basculer à tout instant. Ingmar Bergman explore la complexité de la condition féminine, pendant que le spectateur cherche une issue dans ce huis clos étouffant.
Cris et chuchotements (1972), d’Ingmar Berman. A voir sur myCanal.
2. Angoisse psychologique et soupçon de fin du monde dans Melancholia, (2011) du Danois Lars von Trier
Dans le long-métrage onirique du cinéaste danois Lars von Trier (Nymphomaniac, Antechrist), maître incontesté du film dérangeant, pas de mise en scène sanglante ou de torture physique, l’angoisse se situe ailleurs. Le film est une plongée dans la psyché d’une femme en dépression, Justine, interprétée par Kirsten Dunst. Alors qu’elle vient de se marier, elle s’échappe de la cérémonie, comme poussée par une force mystérieuse. Une planète s’approche dangereusement de la Terre, faisant planer l’apocalypse sur les personnages. La mort semble inéluctable et la tension les envahit peu à peu. L’atmosphère anxiogène se répand au fil du film et les images surréalistes créent des tableaux effrayants : la mariée court, retenue par des racines imaginaires. Kirsten Dunst s’offre au ciel, nue, sur le bord d’une rivière. Charlotte Gainsbourg peine à s’extirper du sol pareil à des sables mouvants. Des oiseaux morts tombent du ciel, entourant le visage dévasté de Kirsten Dunst. La fin du monde se rapproche tandis que les secrets et les rancœurs enfouis accablent les personnages. Sur la musique lancinante du prélude de Tristan et Yseult de Wagner, les peurs irrationnelles des personnages progressent, et le spectateur sent la tension croître. Chef d’œuvre du film d’angoisse psychologique, Melancholia offre à Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg des rôles profonds et intenses, qui dévoilent toute leur palette d’émotions. C’est sur leurs visages que se lisent toutes les traces de terreur, et l’apocalypse, vécue individuellement n’est finalement qu’un prétexte à l’exploration des angoisses et des mal-êtres intérieurs.
Melancholia, (2011), Lars von Trier. Danemark. A voir sur Canal VOD.
3. Les enfants vampires de la nuit suédoise, dans Morse de Tomas Alfredson (2008)
Oskar, 12 ans, aime Eli, elle aussi âgée de 12 ans… depuis des millénaires. Car Elie est un vampire. Elle est nouvellement arrivée en ville, dans le même immeuble froid et sordide qu’Oskar, en banlieue de Stockholm. Deux enfants que tout oppose, l’un blond diaphane, apeuré et harcelé au collège, l’une brune, créature de la nuit, bestiale et étrange. Deux jeunes amants maudits. Adapté du roman horrifique Laisse moi entrer de l’auteur suédois John Ajvide Lindqvist, cet ovni cinématographique salué par la critique, a remporté de nombreux prix. Le froid et la glace envahissent le film et les longues nuits suédoises. La neige se tache de sang dans ce film de vampires cru et envoûtant qui, tout en conservant la mythologie gousse d’ail-miroir-crucifix, apporte une dimension plus profonde au film du genre. Victime idéale de ses camarades qui le pensent faible et maladif, Oskar est le bouc émissaire du collège et ses rares moments de répit sont toujours le prélude au pire. Typiquement nordique, blafarde et aride, l’épouvante nous prend aux tripes, et la communication non-verbale (ils utilisent le morse), qui s’installe entre les deux protagonistes, renforce le silence assourdissant et terrifiant. C’est un film lent et contemplatif, à l’image des flocons de neige qui tombe du ciel, traversé par des fulgurances. Des fulgurances d’horreur, les attaques d’Eli qui rompent avec le calme que la mise en scène avait brillamment installé. Le jeu d’acteurs énigmatique et inquiétant, l’esthétique sombre et violente font de ce film un chef d’œuvre horrifique, à mille lieux des films de vampires qu’on a l’habitude de voir. Morse s’empare d’un thème fantastique, les vampires, pour parler finalement de l’homme. Ainsi c’est la violence humaine qui devient finalement insoutenable, Eli tue, mais elle n’est pas humaine, mais Oskar si. Le besoin d’humilier l’autre, de le rabaisser, de lui faire du mal, est un besoin premier, une absolue nécessité pour l’homme, dans le film. La terreur se situe justement là : le film fait ressortir nos plus bas instincts.
Morse, (2008), Tomas Alfredson. Suède. Disponible en VOD.
4. Thelma, sorcellerie moderne et homosexualité latente chez le Norvégien Joachim Trier (2017)
Cinéaste encensé après le succès d’Oslo, 31 août (2011), Joachim Trier s’essaie à un genre plus fantastique. Thelma est un film sur le coming-of-age version drame réaliste et le film d’horreur. Au cœur d’un paysage enneigé, un homme met en joue avec un fusil de chasse une petite fille. C’est l’entrée en matière particulièrement inquiétante et mystérieuse de Thelma. Ensute, des essaims de corbeaux survolent un bâtiment universitaire. Une jeune fille, Thelma, venue de province pour étudier la biologie et les sciences naturelles, est soudain prise de convulsions spectaculaires qui laissent perplexe le corps médical. Elle s’inquiète et en parle à ses parents rigides et sévères, extrêmement moralistes et religieux. Lorsque Thelma commence à ressentir une attirance pour une de ses camarades, l’effroi l’envahit et ses crises deviennent incontrôlables. Pieuse depuis son enfance difficile, ses traumatismes d’enfance sont dévoilés petit à petit dans le film, et on comprend que Thelma doit affronter ses convictions chrétiennes face à son homosexualité naissante. Extrêmement travaillée, l’esthétique de Thelma est vénéneuse et ténébreuse et les moments de transe de la jeune femme, qui surgissent par surprise, font attendre le spectateur. Désir et émancipation s’entremêlent dans la tête de la jeune fille, tandis que ce récit initiatique prend une dimension surnaturelle.
Thelma, (2017), Joachim Trier. Norvège. A voir sur myCanal.
5. L’innocence démoniaque dans The Innocents du Norvégien Eskil Vogt (2021)
Véritable film coup de poing du dernier Festival de Cannes, The Innocents, en salle le 9 février, a séduit le public et la critique au festival international du film fantastique de Gérardmer. Un groupe de quatre enfants, qui vivent dans la même cité en Norvège, se voit dotés de pouvoirs surnaturels de manière inexplicable. Ils peuvent communiquer par la pensée, faire bouger des objets et contrôler d’autres êtres humains. Seule Ida, personnage principal du film, petite fille au visage criblée de taches de rousseur, ne possède aucun pouvoir et observe en spectatrice la montée en puissance de ces super-héros miniatures. Le film provoque chez le spectateur des émotions ambivalentes : il est tenté de protéger ces enfants, si jeunes et livré à eux-mêmes pendant ces interminables vacances d’été, mais il est rapidement terrifié par leurs accès de violence. Ce qui n’était d’abord qu’un jeu innocent : la télékinésie et la télépathie, se retournent contre eux, lorsque l’appétit de puissance de l’un deux, devient sans limite. C’est le début d’un jeu du chat et de la souris, qui se transforme en chasse à l’homme dans les immenses tours de la cité. À mi-chemin entre le thriller psychologique, le film d’horreur – dans les séquences où les adultes sont possédés notamment – et le cinéma fantastique, ce film brouille les pistes et fait trembler le spectateur. La violence enfantine se déchaîne et se manifeste par soubresauts, comme les crises et les sanglots convulsifs des enfants. Ces derniers sont dépassés par leurs pouvoirs qui deviennent un fardeau trop lourd pour eux. Le minimalisme et le silence qu’instaurent la mise en scène créent un monde à part entière, un microcosme étrange, aux frontières du fantastique, presque hypnotisant. On pense ici au film culte le Village des Damnés, du cinéaste britannique Wolf Rilla, sorti en 1960, qui mettait déjà en scène des enfants tueurs, dotés de pouvoirs malveillants.
The Innocents, (2021), Eskil Vogt. Norvège, en salle le 9 février 2022.