19 nov 2025

Plongée dans l’univers envoûtant du célèbre parfumeur Francis Kurkdjian au Palais de Tokyo

Parfumeur français parmi les plus reconnus de notre époque, Francis Kurkdjian présente jusqu’au 23 novembre une exposition immersive et olfactive au Palais de Tokyo, à Paris. Une plongée multisensorielle dans trente années de carrière, rythmée par de nombreuses fragrances iconiques, mais aussi, et surtout, de prestigieuses collaborations artistiques.

  • Par Matthieu Jacquet.

  • Publié le 19 novembre 2025. Modifié le 21 novembre 2025.

    Francis Kurkdjian : 30 années de carrière retracées à Paris

    D’un bout à l’autre de la planète, les expositions célébrant les grands noms du vêtement ou de la joaillerie ne cessent d’emplir les musées. Pièces de haute couture, d’accessoires et bijoux d’exception, ou encore créations de design d’intérieur y brillent de toutes parts. Mais un domaine – pourtant primordial – du luxe reste encore bien discret dans les salles d’exposition : la parfumerie. Sans doute car rendre compte de la créativité d’une maison ou d’un parfumeur en plongeant parmi ses fragrances, tout en offrant l’immersion visuelle et matérielle dans l’univers d’une maison, représentent un défi curatorial auquel il reste difficile de se mesurer.

    C’est précisément ce défi que relève la Maison Francis Kurkdjian au Palais de Tokyo, alors que celle-ci présente jusqu’au 23 novembre une rétrospective de l’un des parfumeurs français les plus reconnus de notre époque. Créateur du fameux Mâle de Jean-Paul Gaultier (1995), best-seller qui a révélé ses talents à seulement 25 ans, mais aussi de For Her et For Him de Narciso Rodriguez, de Mr Burberry, et de nombreuses fragrances pour la maison Dior, dont il est depuis 2021 directeur de la Création Parfum, le Parisien est tout aussi célèbre pour ses projets audacieux dans sa propre maison, fondée en 2009. On compte parmi ses plus grands succès Aqua Universalis, OUD satin mood, ou encore Baccarat Rouge 540, créé pour les 250 ans de la cristallerie Baccarat.

    Une exposition multisensorielle au Palais de Tokyo

    Comment, alors, rendre compte de trente ans de création dans un domaine par essence immatériel ? “Faire un parfum, c’est assembler des corps invisibles”, déclarait en effet le Parisien, inspirant le titre de cette exposition : “Parfum, sculpture de l’invisible”. Au regard de l’histoire de Francis Kurkdjian, un angle s’est imposé à ce dernier, ainsi qu’à Marc Chaya, président et cofondateur de sa maison, et à Jérôme Neutres, commissaire de l’exposition : celui de la collaboration artistique. Toute sa carrière, le parfumeur désormais âgé de 56 ans n’a en effet cessé d’explorer les manières de faire exister ses créations au-delà du simple flacon vendu en boutique. Une démarche qu’incarne, dès l’entrée dans l’exposition, l’installation olfactive Éclats de roses (2024) : un champ de roses blanches émergeant d’un sol rocailleux en morceaux de kaolin. Sculptées en porcelaine de Sèvres et dressées sur des tiges dorées, ces fleurs factices aspergées de parfum nous saisissent immédiatement par leur fragrance conçue pour l’occasion.

    Pour mieux raconter la carrière de Francis Kurkdjian, “Parfum, sculpture de l’invisible” revient d’abord sur les premières amours du parfumeur : la musique et la danse. Enfant, le jeune homme se rêve danseur étoile et pratique la danse classique jusqu’à ses 25 ans. C’est notamment dans la Compagnie Versailles Soleil qu’il fait ses armes, se produisant dans des spectacles racontant le règne de Louis XIV. Nullement surprenant que les premières senteurs croisées dans l’exposition s’inspirent du roi Soleil et de son mondialement célèbre château, comme le parfum Le Roi Danse, imaginé d’après les bosquets des fameux jardins de Le Nôtre.

    Ou encore ses créations puisant dans la vie romanesque de Marie-Antoinette, comme Voir et être vu, installation olfactive que l’artiste avait conçue pour l’exposition d’Élisabeth Vigée Le Brun, célèbre portraitiste de la dernière reine de France, au Grand Palais en 2015. Plusieurs pièces musicales inspireront également des créations au parfumeur, comme une suite pour violoncelle de Bach ou l’opéra Salomé de Richard Strauss.

    De Sophie Calle à Wan Liya : un lien fort avec les artistes

    Si l’on y découvre la riche éducation artistique qui a façonné l’imaginaire de Francis Kurkdjian, l’exposition au Palais de Tokyo rend également compte de son goût pour la collaboration avec les artistes. Un tournant s’opère en 1999, lorsque le parfumeur est contacté par une certaine Sophie Calle, alors en pleine recherche pour un projet, qui l’invite à recréer une odeur plutôt inhabituelle : celle de l’argent. Il n’en faut pas plus pour motiver le créateur de fragrances, qui tentera de recomposer l’arôme d’un billet usagé en mêlant odeurs de riz cuit et de transpiration. Une odeur âcre qui contrecarre l’injonction principale à laquelle doivent répondre tous les parfumeurs : sentir bon.

    Depuis, Francis Kurkdjian repoussera les propres limites de son domaine en multipliant les collaborations avec des artistes de différents horizons, entre le performeur et chercheur Yann Toma (2012), le designer Felipe Ribon (2018) ou encore le metteur en scène Cyril Teste, entre pièces de théâtre et expérience en réalité virtuelle.

    L’exposition montre également comment le travail de Maison Francis Kurkdjian nourrit la pratique des artistes eux-mêmes. Il y a quelques années, la photographe suisso-canadienne Christelle Boulé réalise une série d’images à partir de gouttes de parfums du créateur déposées sur papier argentique. En résultent des compositions abstraites, quelque part entre le monde microscopique et macroscopique, dont les couleurs reflètent chaque fois l’esprit de la fragrance choisie.

    Spécialement pour l’exposition, le céramiste Wan Liya y dévoile une impressionnante fresque de onze mètres de long en porcelaine de Chine, où les paysages d’un tableau datant de la dynastie Song se dessinent en bleu sur des flacons blancs alignés, reprenant les formes des parfums de la maison.

    À mesure que l’on découvre la variété de projets du parfumeur, toute l’exposition semble tendre vers un objectif : celui de l’expérience synesthésique, tels qu’ont pu l’explorer des artistes comme Vassily Kandinsky ou Arnold Schönberg au début du siècle dernier. À l’expérience simultanée de l’ouïe et de la vue, Francis Kurkdjian souhaite ainsi ajouter celle de l’odorat, mais aussi du goût, dans une installation monumentale : un pavillon consacré à son fameux parfum Baccarat Rouge 540.

    Pour rimer avec cette fragrance puissante et généreuse, croisant les arômes du jasmin et du safran à des notes plus ambrées et boisées, le parfumeur a invité la cheffe étoilée Anne-Sophie Pic à créer un chocolat, le compositeur David Chalmin à écrire une pièce instrumentale, et l’artiste cinétique Elias Crespin à concevoir une œuvre cinétique en verre, suspendue au-dessus du flacon. Un projet ambitieux et complet qui parachève l’objectif d’un parfumeur ne cessant de repousser ses propres limites. Et que, comme il le résume lui-même, les collaborations artistiques invitent à “[s’]exprimer autrement, explorer un vaste répertoire d’émotions, et sortir des schémas traditionnels de pensée”.

    “Parfum, sculpture de l’invisible. 30 ans de créations de Francis Kurkdjian”, exposition jusqu’au 23 novembre 2025 au Palais de Tokyo, Paris 16e.