Bertrand Burgalat, le compositeur qui a mis en musique les parfums Chanel
Le producteur et compositeur Bertrand Burrgalat a conçu pour l’événement Le Grand Numéro de Chanel un album original édité sous la forme d’un vinyle, véritable voyage à travers l’imaginaire les mythiques parfums de la maison.
Propos recueillis par Delphine Roche.
Portraits par Patrick Swirc.
Ce n’est pas seulement en raison de son style de dandy intemporel que Bertrand Burgalat incarne la quintessence de l’élégance à la française. Avec son label Tricatel, le producteur, compositeur, chanteur et musicien démontre, à travers ses propres albums et ceux qu’il crée pour les autres, une sensibilité musicale d’une grande finesse, capable de tricoter intimement les sons, les mots et les textures à travers tous les genres musicaux, pour livrer au monde des propositions infiniment poétiques. Parmi ses exploits, on cite souvent l’album qu’il a réalisé avec l’écrivain Michel Houellebecq, ou son remix de Depeche Mode sur leur album Exciter… L’art des arrangements, celui des mélodies, les potentialités mystérieuses des instruments de toute époque font partie des multiples cordes qu’il possède à son arc. Avec sa maîtrise du langage secret des notes et des silences, Bertrand Burgalat excelle à ciseler des émotions subtiles et à suggérer, sans la formuler verbalement, une Weltanschauung, une vision du monde, une idée noble de la beauté… une quête essentielle. Si bien qu’on ne peut s’empêcher, à l’écoute de son travail, de songer à la phrase de Schopenhauer : “La musique est un exercice de métaphysique inconscient dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il fait de la philosophie.” Tels les effluves de parfum, ses notes planent, en suspension, oniriques et élégantes… Collaborateur régulier de la maison Chanel, Bertrand Burgalat a cette fois composé un album destiné à accompagner spécialement sa manifestation Le Grand Numéro de Chanel, qui sera matérialisé sous la forme d’un très beau vinyle.
Numéro : Le projet musical que vous avez imaginé pour Le Grand Numéro de Chanel esquisse un voyage à travers l’imaginaire des parfums Chanel, dont vous explorez différentes facettes, au gré des morceaux.
Bertrand Burgalat : J’ai essayé, effectivement, de transmettre quelque chose de l’esprit de cette maison. C’était passionnant et j’étais très heureux de pouvoir lui rendre justice. Qu’il s’agisse de la mode, de la beauté ou de la joaillerie, je trouve que Chanel possède une vraie singularité. Cela m’interpelle à plusieurs titres, car dans le monde de la musique pop, rien n’est plus banal que de vouloir être original. Philippe Manœuvre [critique de rock] m’avait raconté être allé à un concert de Marilyn Manson avec sa fille, et il était amusé de constater que tout le Zénith était rempli d’adolescents qui avaient tous adopté exactement le look et le maquillage du chanteur… ils se lançaient des regards obliques parce qu’ils étaient persuadés, jusque-là, d’être originaux. Je trouve donc qu’il est réconfortant de voir une marque rencontrer un vrai succès commercial sans jouer les recettes des autres. Thomas du Pré de Saint Maur m’a donné une sorte de carte blanche pour concevoir ce vinyle, et j’ai essayé de traduire l’esprit de Chanel sur mon disque. Un objet de luxe, pour moi, doit être conçu sur mesure. C’est ce que j’ai pu faire pour ce projet, unique en son genre.
Dans les notes qui accompagnent ce vinyle, vous évoquez le caractère immatériel de la musique et du parfum, qui les lie intrinsèquement.
La musique et les parfums éveillent fortement nos émotions. Dans son livre Kraftwerk – J’étais un robot, le percussionniste du groupe parle de l’odeur du kérosène et de celle des photocopieurs, qui convoque pour lui le souvenir des années 70. D’ailleurs, les instruments et les équipements de musique possèdent souvent eux aussi une senteur unique. Je pense notamment à certains amplis Fender, dont la colle exhale un parfum particulier.
Quelle fut la genèse des Mémoires d’une goutte de parfum ?
J’ai composé la musique, et le journaliste et écrivain Matthias Debureaux a écrit les paroles de cette chanson qui raconte le trajet d’une goutte de parfum, des champs de fleurs de Chanel jusqu’à une machine à laver ! La fille de Matthias, Suzanne, âgée de 16 ans, qui fait partie du chœur de la Maîtrise de Radio France, prête sa voix cristalline aux mots de son père. Je voulais que les harmonies soient comme des effluves, toujours en mouvement, apparaissant puis disparaissant comme si elles sortaient d’un orgue à parfums. Les accords devaient sembler flotter, en suspension. J’ai essayé plusieurs instruments, différentes couleurs, dans mon studio situé dans les Pyrénées : un vibraphone, un orgue… Cela a été un travail d’habillage avec des sons et des couleurs.
Dans les notes accompagnant cet album, vous citez également Claude Delay, une amie de Gabrielle Chanel que vous avez eu la chance de pouvoir rencontrer.
J’ai passé un moment merveilleux avec elle. Elle allie l’intelligence, la gentillesse et l’élégance. Cette dimension humaine fait partie intégrante de la maison Chanel, une marque soucieuse de l’apparence, mais qui ne fait rien pour apparaître, qui cultive une discrétion incroyable. Karl Lagerfeld en était certes un contre-exemple, de par sa stature d’icône, mais il était également adoré des ateliers, car fin technicien. Le parfumeur Olivier Polge est lui aussi un artiste d’une humilité absolue.
Le morceau de John Cale qui ouvre ce vinyle, Paris 1919, évoque l’époque à laquelle a vécu Gabrielle Chanel, à travers une sensibilité et une expressivité hors du temps. Il ne s’insère pas dans le langage musical des années 70, et tend donc à l’intemporalité, un mot très galvaudé dans l’univers du luxe…
J’ai pensé dès le début à ce morceau, car je trouvais important de ne pas évoquer le Paris de Gabrielle Chanel et de Stravinsky de façon trop littérale. Il parvient, à mes yeux, à synthétiser l’esprit d’une époque sans passer par une sorte de moodboard musical des années 1920.
Que souhaitez-vous nous dire au sujet des autres contributions qui émaillent ce vinyle ?
Il me semblait important d’y faire figurer des créateurs de différents styles.
Le morceau d’Ala.ni, Paris Theme (Memories of You), est fidèle à l’esprit d’un Paris international, une carte postale qui n’a rien d’un cliché. Le morceau de Karol Beffa, Rainbow, pour piano et orchestre à cordes, évoque la légèreté du parfum avec ses notes en apesanteur. Quant à Thierry Escaich, il est l’un des plus grands compositeurs français vivants, le plus joué dans le monde. Ses opéras sont interprétés dans les plus grandes salles du globe, et il est d’une humilité phénoménale. Je lui avais donné rendez-vous en studio à Paris, et, sur le chemin avant d’arriver, il avait écouté une chanson populaire associée à Gabrielle Chanel et à ses débuts à Moulins. Je lui ai proposé de nous inspirer des Ballets russes et des danses russes. Il a improvisé une prise au piano, sur laquelle nous avons ajouté de l’orgue et du synthétiseur. Le disque qui s’ouvre, avec le morceau de John Cale, sur l’évocation de l’époque de Coco, se clôt également avec Coco, dans ce Paris des années 20. Dans ce projet, c’est comme si l’auteur du disque était Chanel… l’imaginaire de la maison a inspiré, presque naturellement, chacun des artistes présents sur ce vinyle.
Le Grand Numéro de Bertrand Burgalat, disponible depuis le 13 décembre 2023 sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement. Vinyle en vente dans l’exposition Le Grand Numéro de Chanel.