Portfolio: Neil Krug et les femmes extraterrestres
Souvent sollicité par les musiciens pour qu’il signe la pochette de leur album – Tame Impala, Lana Del Rey ou encore Justice – le photographe et vidéaste américain Neil Krug s’amuse à propulser des femmes sur des planètes mystérieuses et les transforme en étranges héroines de science-fiction.
Par Alexis Thibault.
Ne vous attendez pas à reconnaitre des visages dans ce portfolio consacré au travail de Neil Krug. Les images – pour la plupart extraites de sa série Phantom: Stage One, 2019 – consacrent des femmes anonymes égarées dans des paysages désertiques et multicolores. Enfermées dans un tableau anachronique, elle habitent une sorte de décor de science-fiction. Toutes sont nues. Certaines dévalent des pentes abruptes sous une lueur bleue, d’autres se cambrent en écrasant leur joue sur une plaque écarlate. Les unes se dressent entre des dunes de sable aux reflets verts, les autres se figent telles de bêtes aux aguets dans des cavernes étincelantes tandis que des lucioles fourmillent sur leurs corps.
Leur peau translucide est aussi celle de la chanteuse Lana Del Rey que Neil Krug a capturé à plusieurs reprises. Car le Californien signe de nombreuses pochettes d’album : le Social Cues (2019) des rockeurs de Cage the Elephant – Stetson blanc, combinaison en latex rouge et cagoule-collant transparente –, un shoot pour la formation psyché Unknow Mortal Orchestra – des créatures holographiques à la Blade Runner – et la jaquette de l’album The Slow Rush de Tame Impala : une image somptueuse du village Kolmanskop (Namibie) partiellement enseveli par le sable.
Cette conquête d’un Ouest futuriste puise sans doute ses origines dans la fascination de Neil Krug pour le cinéma d’Alejandro Jodororowsky…
Neil Krug n’est pas vraiment nostalgique des années 70. Pourtant sa photographie reflette tout ce avec quoi il n’a pas grandi, souvent des pin-up bigarrées armées jusqu’au dents et des femmes élégantes au regard morose. Des réminiscences de la sexploitation des années 60 et des films de série B de la décennie suivante. Les chevelures, les fleurs et le feu, les hauts en latex, le vernis à ongle et la terre rouge… tous ses modèles participent au même jeu de chromie absurde qui consiste à se perdre entre le orange et les pourpres. En filigrane, la fascination du photographe pour les westerns spaghetti, la jaquette du Bitches Brew (1970) de Miles Davis et la BO du film italien Escalation (1968) composée par un certain Ennio Morricone.
Cette conquête d’un Ouest futuriste puise sans doute ses origines dans la fascination de Neil Krug pour le cinéma d’Alejandro Jodrorowsky, cinéaste du psychédélisme expérimental et fanatique de bande-dessinée de SF. On doit au réalisateur différentes collaborations avec Mœbius, une version inachevée de Dune et surtout La Montagne sacrée (1974), ovni inclassable et chef d’œuvre halluciné qui suit le pèlerinage d’un voleur vagabond. Les photographies de Neil Krug sont autant d’odyssées à travers des paysages fantastiques, comme des cartes postales envoyées depuis des lieux imaginaires, d’autres planètes ténébreuses et, paradoxalement, multicolores.