Photoreportage: sur les traces de Diego Maradona à Buenos Aires
Le génie embarrasse la modernité car il ne coche aucun case de ses grilles d’évaluation des compétences. Voici qu’à l’aube des années 60 nous arrive un génie. Il s’appelle Diego et il tombe du ciel. Lorsqu’un journaliste, accouru auprès du phénomène demande à son petit frère Hugo de se comparer à lui, le petit frère répond : “Non, je ne serai jamais comme lui, mon frère c’est un martien.” Retour sur les traces de Diego Maradona, à Buenos Aires, dans un photoreportage exclusif.
Photos par Mauro Mongiello.
Texte François Bégaudeau.
LE SANCTUAIRE CONSACRÉ À DIEGO MARADONA
Un sanctuaire est consacré à Diego Maradona dans l’enceinte du stade de La Paternal où évolue le club Argentinos Junior, au sein duquel Die-go a fait ses premiers pas en tant que footballeur. 24 heures après la mort de l’idole intervenue le 25 novembre 2020, les trottoirs débor-daient de dons divers déposés par la population du quartier : maillots, fleurs, bougies, et même des jouets d’enfants. La décision fut donc prise de créer un sanctuaire permanent où les fans et les touristes pourront rendre leurs hommages à la star. Dans cette pièce aux allures de petite chapelle.
Le génie n’est pas proactif, le génie n’est pas motivé (il n’a pas besoin de l’être), le génie n’a pas l’esprit de cohésion, le génie n’optimise pas ses performances, le génie ne s’apprend ni ne se travaille, le génie au bout du compte n’en branle pas une. Le génie n’a aucun mérite.
Martien sonne comme un excès et pourtant c’est un euphémisme. Le petit Hugo, frère de Diego, dit martien mais il a un autre mot en tête. Devant le génie, le peuple des bidonvilles est beaucoup moins décontenancé que la modernité. Pour ces simples d’esprit, l’affaire est simple: puisque Diego fait avec un ballon des choses inexplicables, des choses que ni le travail, ni les gènes, ni rien, n’ont préparé ou conditionné, c’est qu’il est d’essence divine. Devant lui il n’y a qu’à s’agenouiller ou toucher sa tignasse quand il passe, sûr qu’elle guérit les lépreux et relève les paraplégiques.
Si un messie atterrissait dans ce monde balisé de technologie, si un messie ou un prophète ou un énergumène dans le genre venait à nous en se faufilant entre les ondes de la 5G, dans quel autre lieu pourrait-ce être que là, à Villa Fiorito, quartier populaire de Buenos Aires, gueux parmi les gueux? De qui d’autre pourrait-il naitre que d’une mère surnommée Dona Tota, et d’un père surnommé Don Diego, comme le héros de Zorro? À quoi ressemblerait-il sinon à ce petit sagouin chevelu et racé, pibe de oro, gamin en or.
Diego sait qu’il serait malvenu de se vanter de son divin pied gauche. Ce pied ne lui appartient pas. C’est tombé sur lui, voilà tout. Un doigt céleste a pointé son berceau, et a veillé par la suite à ce qu’il reste petit et bas du cul, le centre de gravité proche du pied et du ballon qui y colle. Diego ne doit pas se vanter mais remercier. Commencer chaque match par le signe de croix, et le reste suivra. Oui, contre l’Angleterre lors du Mondial 86, la main tricheuse est celle de Dieu, mais le pied aussi. Le pied qui fait des miracles est pied de Dieu.
En 1978 quand l’enfant d’or lui apparaît, la modernité n’a plus beaucoup de ressources d’extase. Comme elle ne sait pas prier, comme elle a oublié les gestes du culte, elle l’appréhende à sa manière à elle, prosaïque, nerveuse, manœuvrière, perverse, agressive, violente. L’or de l’enfant, elle ne sait que le convertir en billets. Elle ne contemple pas le “phénomène” mais l’exploite, le suce jusqu’à la moelle, le presse jour et nuit pour en tirer tout le jus, fût-ce du jus de poison. Autour de lui elle crée le scandale pour lui faire payer le scandale qu’il est. Son scandale ce n’est pas la cocaïne, ni les connivences avec la Camorra, ni les odes à Fidel Castro, ni l’enfant illégitime dont une poule de luxe prétend qu’il est le père ; c’est le génie. Le génie est insupportable et il faut le broyer, comme un joueur de l’Athletic Bilbao lui broie la cheville d’un tacle assassin et prémédité en 1984.
Et tandis que la modernité punit le génie, la foule de Boca Junior, club de cœur du martien des bidonvilles, club des pauvres, lui fait la fête le jour de son dernier match. Pleurant de joie comme au premier jour. Persistant à ne voir que l’enfant preste dans l’obèse en désintox. Acceptant ses turpitudes comme des marques d’élection. Pardonnant tout car au saint tout est pardonné. Clamant deux heures durant sa gratitude éternelle.
Martien sonne comme un excès et pourtant c’est un euphémisme. Le petit Hugo, frère de Diego, dit martien mais il a un autre mot en tête. Devant le génie, le peuple des bidonvilles est beaucoup moins décontenancé que la modernité. Pour ces simples d’esprit, l’affaire est simple: puisque Diego fait avec un ballon des choses inexplicables, des choses que ni le travail, ni les gènes, ni rien, n’ont préparé ou conditionné, c’est qu’il est d’essence divine. Devant lui il n’y a qu’à s’agenouiller ou toucher sa tignasse quand il passe, sûr qu’elle guérit les lépreux et relève les paraplégiques.
Si un messie atterrissait dans ce monde balisé de technologie, si un messie ou un prophète ou un énergumène dans le genre venait à nous en se faufilant entre les ondes de la 5G, dans quel autre lieu pourrait-ce être que là, à Villa Fiorito, quartier populaire de Buenos Aires, gueux parmi les gueux? De qui d’autre pourrait-il naitre que d’une mère surnommée Dona Tota, et d’un père surnommé Don Diego, comme le héros de Zorro? À quoi ressemblerait-il sinon à ce petit sagouin chevelu et racé, pibe de oro, gamin en or.
La foule de Boca Junior, club de cœur du martien des bidonvilles, club des pauvres, lui fait la fête le jour de son dernier match. Pleurant de joie comme au premier jour.
Diego sait qu’il serait malvenu de se vanter de son divin pied gauche. Ce pied ne lui appartient pas. C’est tombé sur lui, voilà tout. Un doigt céleste a pointé son berceau, et a veillé par la suite à ce qu’il reste petit et bas du cul, le centre de gravité proche du pied et du ballon qui y colle. Diego ne doit pas se vanter mais remercier. Commencer chaque match par le signe de croix, et le reste suivra. Oui, contre l’Angleterre lors du Mondial 86, la main tricheuse est celle de Dieu, mais le pied aussi. Le pied qui fait des miracles est pied de Dieu.
En 1978 quand l’enfant d’or lui apparaît, la modernité n’a plus beaucoup de ressources d’extase. Comme elle ne sait pas prier, comme elle a oublié les gestes du culte, elle l’appréhende à sa manière à elle, prosaïque, nerveuse, manœuvrière, perverse, agressive, violente. L’or de l’enfant, elle ne sait que le convertir en billets. Elle ne contemple pas le “phénomène” mais l’exploite, le suce jusqu’à la moelle, le presse jour et nuit pour en tirer tout le jus, fût-ce du jus de poison. Autour de lui elle crée le scandale pour lui faire payer le scandale qu’il est. Son scandale ce n’est pas la cocaïne, ni les connivences avec la Camorra, ni les odes à Fidel Castro, ni l’enfant illégitime dont une poule de luxe prétend qu’il est le père ; c’est le génie. Le génie est insupportable et il faut le broyer, comme un joueur de l’Athletic Bilbao lui broie la cheville d’un tacle assassin et prémédité en 1984.
Et tandis que la modernité punit le génie, la foule de Boca Junior, club de cœur du martien des bidonvilles, club des pauvres, lui fait la fête le jour de son dernier match. Pleurant de joie comme au premier jour. Persistant à ne voir que l’enfant preste dans l’obèse en désintox. Acceptant ses turpitudes comme des marques d’élection. Pardonnant tout car au saint tout est pardonné. Clamant deux heures durant sa gratitude éternelle.