Liz Johnson Artur, la photographe qui capture la beauté de la diaspora africaine
Succédant à Susan Meiselas et Sabine Weiss, la photographe russo-ghanéenne Liz Johnson Artur a remporté cette année le prix “Women in Motion”, la distinction créée en 2019 par Kering et les Rencontres d’Arles visant à saluer le travail des femmes photographes. L’occasion de revenir sur le parcours d’une artiste au regard authentique sur les visages d’une diaspora africaine flamboyante, en pleine reconquête de sa représentation.
Par Alice Pouhier.
Liz Johnson Artur se définit souvent comme un produit de la migration : celle des peuples, qui a eu lieu peu après sa naissance en pleine guerre froide. Née en 1964 en Bulgarie d’un père ghanéen et d’une mère russe, elle réside dans trois pays différents avant l’âge de dix ans. D’abord, c’est à Londres qu’elle pose bagage avec sa mère, puis en Allemagne de l’Est avant de s’installer en Allemagne de l’Ouest, où elle vivote grâce à un visa de tourisme, jusqu’à son expiration, et que la mère et la fille basculent dans l’illégalité. Alors, la sensation de vertige d’une situation précaire se mue en une relation puissante qu’elle noue avec la rue, et la jeune fille commence à rencontrer ceux qui l’habitent et la font vivre.“Ce dont je me souviens le plus à propos de cette période est le plaisir que j’ai eu à rencontrer des inconnus dans la rue, et je pense que ça m’a impacté en tant que photographe”, avait-elle confié en 2018. L’intimité qu’elle développe dans les lieux publics forge sa vision, qui ne cessera jamais de mêler la familiarité avec l’inconnu. En 1985, en voyage à New York, elle découvre un quartier noir à Brooklyn, le premier qu’elle voit de ses yeux. Liz Johnson Artur étrenne son appareil argentique flambant neuf en immortalisant frénétiquement ces scènes de vies fugaces qui la fascinent : mariages, fêtes, sorties de messe, enfants joueurs, travestis… dont elle s’efforce de graver l’image. “Ce qui m’intéresse, ce sont les gens, déclare-t-elle dans un communiqué, des gens que je ne vois représentés nulle part.”
Suite à cette première impulsion créative qui fait naître en elle l’étincelle d’une vocation, la jeune femme décide de se former en photographie. En 1991, elle entame des études au prestigieux Royal College of Art de Londres, puis devient photojournaliste. Mais si ces études lui permettront plus tard de couvrir des concerts – entre les tournées d’Amy Winehouse et de M.I.A. – et de réaliser des photos éditoriales pour les magazines The Fader et i-D, Liz Johnson Artur n’a pas oublié sa fascination pour la diaspora africaine dont elle est issue, mais avec laquelle elle a eu si peu de contact durant son enfance. En parallèle de son quotidien mouvementé de photographe freelance, elle entame alors l’œuvre de sa vie, encore en cours aujourd’hui : un corpus photographique intitulé Black Ballon Archive – d’après la chanson Black Balloons du musicien américain Syl Johnson – capturant les visages et les esthétiques innombrables d’une diaspora africaine mondiale, riche du métissage des corps et des cultures. À ce projet colossal, la photographe donne un sens politique : celui d’encourager les membres de cette diaspora à prendre possession de leur histoire, et de la façon dont ils sont représentés.
Alors, la photographe se met à écumer les rues des grandes métropoles pour immortaliser les membres de la communauté noire, avec un naturel saisissant. La méthode est brusque, hâtive : la Russo-Ghanéenne capture, presque avec avidité, des instants volés au dynamisme figé et brûlés par le flash, traduisant son besoin viscéral d’authenticité. Enfants hilares, mains sur les côtes et le regard froncé par le soleil côtoient la liesse de femmes apprêtées et dansantes ; tandis que le portrait du visage maquillé d’un jeune travesti se mêle au visage paisible d’une mère assise derrière son fils devenu homme, conduisant une mobylette. Sensible aux racines sans cesse bousculées par les mouvements migratoires, la photographe s’est aussi intéressée à sa propre histoire. Lorsqu’en 2010, elle renoue avec son père qu’elle avait perdu de vue, elle décide de s’intéresser au sort des descendants d’africains vivant en Russie. Dès lors, Liz Johnson Artur s’associe à la journaliste Sarah Bentley pour créer la série Russians of Color en 2017, un projet rendant hommage à celles et ceux qui se définissent comme Afro-Russes. Dans un esprit similaire à celui d’Humans of New York [une page Facebook qui allie photographie de rue et journalisme de récit], la série photographique montre et raconte les vies de ces personnes au destin mal connu. Récompensée cette année par le prix “Women in Motion” des Rencontres d’Arles pour l’ensemble de son œuvre, son auteure en présentera quelques extraits dans l’exposition “Masculinités” du festival photographique international cet été.
Rencontres photographiques d’Arles, du 4 juillet au 26 septembre 2021 en Arles.