12 mai 2021

Les mystérieuses ruines du Soudan s’éclairent sous l’objectif de Juliette Agnel

Vestiges de cités perdues et ciels parsemés d’étoiles… il y a trois ans, Juliette Agnel a remonté le Nil pour capturer la poésie et le mystère des contrées reculées et arides du Soudan, de la cité antique de Méroé au sud l’Égypte. Pour Numéro, la photographe française revient sur ce projet déroutant, entre les heures brûlantes du jour et les profondeurs de la nuit.

Photos par Juliette Agnel.

Propos recueillis par Matthieu Jacquet.

Du sable jaune d’un désert aride émergent des pyramides de briques et des roches polies par le temps. Eclairées en clair-obscur, leurs formes se découpent distinctement devant des ciels parsemés d’étoiles scintillantes, aussi nets que leurs propres détails. Ces vestiges du temps, confrontés à l’immensité de la galaxie, racontent une histoire millénaire marquée par les traces d’un passage révolu de l’être humain. C’est précisément la puissance narrative de ces paysages soudanais qui a éveillé l’intérêt de Juliette Agnel. Captivée par les zones reculées et dépeuplées du monde où la nature se dévoile sous son jour le plus brut, la photographe française entend parler il y a trois ans de cette région du nord du Soudan alors qu’elle vient de naviguer au cœur des icebergs du Groenland. Par le biais d’associations soudanaises et de l’Union Européenne, la quadragénaire parvient à se rendre dans ce pays d’Afrique du Nord pour dix jours, durant lesquels elle longe le Nil depuis l’ancienne cité de Méroé jusqu’au sud de l’Égypte.

 

 

Au souvenir de ce voyage ses mots enthousiastes le confirment : Juliette Agnel a “dévoré” ses quelques jours sur place. Parcourant le désert à bord d’une 4×4 avec deux jeunes Soudanais, l’artiste s’immerge complètement dans le paysage pour mieux le photographier. “Plus on remonte le fleuve, plus on remonte dans l’histoire, se remémore-t-elle. C’est vraiment puissant.” La journée, elle explore – parfois en compagnie d’un archéologue – les ruines ensablées de l’Égypte antique enfoncées dans le creux des dunes : conservés presque telles quelles, avec leurs irrégularités et leurs fragments manquants avalés par les siècles, ces édifices lui rappellent des mondes engloutis comme l’Atlantide, qu’elle immortalise sous le soleil brûlant. La nuit, la photographe installe sa tente dans le désert avec ses compagnons de route et parcourt les mêmes sites qu’elle a sillonnés quelques heures auparavant, cette fois-ci bercés par la lumière des étoiles. Son appareil et son trépied à la main, elle s’arme de patience afin d’obtenir les vues le plus précises possibles du ciel, où toutes les étoiles brilleront avec une même intensité. De ces scènes, il est essentiel que l’être humain soit physiquement absent, précise l’artiste, “afin d’illustrer le mieux possible cette relation à l’univers.”

“Taharqa et la nuit” (2019) de Juliette Agnel, photographiée au Soudan. Tirage fine art mat, 80 x 120 cm. Juliette Agnel. Courtesy of Galerie Françoise Paviot

S’il émane une aura surnaturelle des clichés de Juliette Agnel, c’est parce que ses paysages sont en réalité le fruit d’un assemblage postérieur à la prise de vue. Deux images y sont réunies : les étendues arides capturées en plein jour, d’une part, et de l’autre les ciels étoilés que l’artiste a immortalisés tout au long de ses nuits soudanaises. En proie à un véritable casse-tête numérique, la Française étudie pendant des heures les ciels qui se marieront au mieux avec les vestiges et aboutiront vers la composition la plus percutante, avant de détourer leurs formes et de les fondre sous un même filtre sombre sur Photoshop – une technique qu’elle avait déjà appliquée aux paysages des Alpes suisses, du Maroc et de la frontière franco-espagnole. Impossibles à obtenir dans un seul et même cliché, leur netteté et leur lumière uniformes y créent alors une brillance étonnante proche d’un clair de lune qui “amène la réalité vers un autre monde”. Désormais, son observation acharnée de la voûte céleste nocturne permet même à la photographe de percevoir à l’œil nu le mouvement des étoiles et la rotation de la Terre.

 

 

“Je cherche toujours une aridité doublée d’un certain chaos pour mes images, et en cela le Soudan était assez proche du Groenland avec un climat opposé, conclut Juliette Agnel. Ce qui m’a beaucoup plu là-bas était de me rapprocher autant de l’humain grâce à l’archéologie.” Marquée par ce voyage et ce travail photographique, l’artiste en fait une série qu’elle baptise Taharqa et la nuit – “Taharqa” pour le nom d’un pharaon du VIIe siècle avant J.C. qui vécut non loin de Méroé dans la région de la Nubie. Quant au lien nocturne, il évoque une légende antique sur les pharaons qui, lors de leur mort, se transformeraient en étoile : poétique, l’image annonce combien l’humain s’incarne de manière à la fois discrète et omniprésente dans les paysages de l’artiste, de leurs ruines terrestres à leurs astres célestes. Depuis ce projet, la photographe n’a pas cessé d’explorer les recoins du monde : passée dans la ville d’Auroville en Inde, puis par le nord de la Suède en plein hiver, elle s’est plus récemment intéressée aux richesses du territoire français en allant explorer les grottes d’Arcy-sur-Cure, en Bourgogne, décorées de peintures rupestres. Une escapade au cœur du minéral qui, là aussi, promet un déroutant voyage visuel dans la Terre… et dans le temps.  
 

 


Retrouvez le travail de Juliette Agnel sur son site internet.