Paris Photo : 6 photographes émergents à suivre absolument
Investissant jusqu’au 10 novembre un Grand Palais fraîchement rénové, la foire Paris Photo présente cette année non moins de 240 exposants, galeries et maisons d’édition, et fait comme toujours la part belle aux jeunes photographes grâce à son secteur Émergences, installé sur les grands balcon du bâtiment. Parmi les vingt-trois projets exposés, Numéro a retenu 6 talents à suivre absolument.
Dorottya Vékony
Installée à Budapest, Dorottya Vékony s’intéresse au corps féminin et particulièrement au sujet de la fertilité. Au sein de plusieurs communautés de femmes, elle assiste à des rituels favorisant la grossesse, qu’elle tente de reproduire à l’identique avec ses amies. En témoignent des mises en scène où les torses, les jambes et les bras, nus ou couverts de draps noirs, s’entrelacent et se contorsionnent. Si les visages y demeurent volontairement cachés, baissés ou même découpés, les corps, eux, forment un ensemble presque indissociable – manière pour la photographe de délaisser l’individuel au profit du collectif.
Également exposée par la galerie Longtermhandstand, une autre série de l’artiste explore la manière dont le temps transforme le corps. À travers trois clichés de pommes de terre assemblées entre elles, dont la forme fait directement référence à la Vénus de Willendorf, Dorottya Vékony représente l’enfance, l’âge adulte et la vieillesse. Toujours animée par le désir d’évoquer non pas une femme, mais toutes les femmes.
Stand de la galerie Longtermhandstand.
Xiaoxiao Xu
Survivante d’un terrible typhon qui a, en 1994, balayé notamment sa ville natale de Wenzhou, la photographe chinoise Xiaoxiao Xu se passionne depuis pour ce qui disparaît et ce qui subsiste aux bouleversements de notre planète. Depuis quelques années, la photographe (basée aujourd’hui aux Pays-Bas) parcourt la région tibétaine du Ladakh, située au nord de l’Inde, fascinée par la relation symbiotique entre sa population et son environnement. Ki Ki So So, son projet – encore en cours – présenté à Paris Photo cherche à montrer les paysages et coutumes des Ladhakis mais surtout la façon dont ceux-ci se sont transformés, ou non, à travers l’impact des humains sur la nature et l’inévitable réchauffement climatique.
Qu’elle observe à travers l’objectif un jeune moine boudhiste, des travailleurs en plein effort, des fidèles qui se prosternent au moment de la prière ou encore un troupeau de yaks au soleil, Xiaoxiao Xu capture ses sujets avec pudeur et respect. Même lorsqu’apparaît, derrière eux, des glaciers qui ne cessent de diminuer au fil des années.
Stand de la galerie Madé Van Krimpen.
Vuyo Mabheka
Mêlant photographies et dessins colorés, les œuvres de Vuyo Mabheka évoquent à première vue un univers innocent, voire enfantin. Fixant le spectateur, le même portrait d’un petit garçon s’y multiplie dans des scènes banales de vie de quartier, et parfois de chaos… Un personnage récurrent qui n’est autre que l’artiste lui-même. Pour ce projet intitulé Popihuise (version vernaculaire hosa du mot afrikaans pour “maison de poupée”), Vuyo Mabheka découpe et décuple les rares photos qu’il possède de lui enfant, et les accole sur ces dessins pour raconter son histoire familiale dans la ville rurale de Libode, en Afrique du Sud.
Peu de temps après sa naissance, son père abandonne sa mère et ses frères et sœurs, et fonde une autre famille, rompant le contact avec lui. Contrainte à travailler comme domestique, sa mère ne revient qu’un week-end par mois. Une absence qu’il traduit ici par des silhouettes floues (représentant sa mère) et des visages vides ou des corps masculins fuyants (représentant son père). À travers ces illustrations fantasmées et colorées du bidonville qui le voit grandir depuis 1999, Vuyo Mabheka semble ainsi relater un récit difficile de ses mains de petit garçon.
Stand de la galerie Afronova.
Isabelle Wenzel
Ancienne acrobate, Isabelle Wenzel centre sa pratique sur le corps en mouvement. À travers des autoportraits très personnels dans lesquels elle se met en scène dans des postures incongrues et expressives, l’artiste allemande souhaite montrer combien le corps photographié est bien plus qu’un simple objet de désir. Son approche assez ludique du médium laisse ainsi apparaître ses jambes allongées sur des fonds très colorés, tandis que son visage reste habilement caché sur chacun de ses clichés.
En plus de présenter une partie de ce projet artistique, qu’elle apparente à de la performance, la photographe dévoile à Paris Photo certains de ses clichés publicitaires réalisés pour des marques de chaussures à talons, jouant du contraste entre ces deux volets de sa pratique. Qu’elle soit plus personnelle ou plus commerciale, la photographie d’Isabelle Wenzel reste en effet profondément intime, voire introspective : sans la mise en scène de son propre corps, marqué par son passé sportif, aucun de tous ces clichés n’aurait pu voir le jour.
Stand de la galerie Bart.
Alice Pallot
Du stand de la galerie Hangar à Paris Photo aux cimaises de la MEP dans l’exposition “Science/Fiction – Une histoire des plantes”, Alice Pallot dispose cette semaine d’une belle visibilité dans la capitale. Au premier étage du Grand Palais, la jeune photographe française présente son dernier projet à ce jour, Algues Maudites. Ce dernier nous ramène trois ans en arrière, lorsqu’elle se penche sur le scandale des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc en Bretagne. Accompagnée de l’Agence Spatiale Européenne et du CNRS, elle réalise sur site des clichés étranges, dont l’absence totale de retouche surprend immédiatement.
Grâce seulement à l’usage de déchets glanés sur les plages, comme des bouteilles plastiques ou encore des algues servant de filtres naturels, Alice Pallot parvient à produire ces teintes rouges et vertes si particulières et les effets de flou propres à la série. “J’ai cherché à mettre en image la notion d’invisible, à travers un projet qui réunit à la fois l’invisibilité politique et ce qu’on ne voit pas à l’oeil nu, nous confie l’artiste. Je documente cette réalité, tout en portant une certaine forme d’espoir.”
L’artiste dévoile également sur le stand une pratique plus expérimentale : des tirages photo d’écosystèmes menacés plongés dans des bains d’algues toxiques pendant trois à quatre semaines. La force esthétique de ces œuvres uniques, finalement altérées et rongées par une toxicité provoquée par notre espèce, illustre parfaitement les mots de l’artiste, qui parle de la “beauté malade de notre époque”.
Stand de la galerie Hangar.
Caroline Mauxion
Dans le stand immaculé occupé par la galerie Zalucky à Paris Photo, des images semblables à des radiographies de corps côtoient de petites sculptures pastel, analogues à des morceaux de squelettes ou de muscles, roses et violets comme la peau et ses hématomes. Première exposition à Paris du travail de Caroline Mauxion (basée à Montréal), cet accrochage introduit les visiteurs à l’œuvre charnelle et intime de l’artiste française. “Ma pratique puise dans ma propre histoire, celle de mon corps : je suis née avec une malformation à la naissance, qui a été traitée par de longs traitements orthopédiques”, confie-t-elle à Numéro. Scrutée, observée et objectifiée par les spécialistes, la plasticienne a longtemps vu son reflet à travers l’imagerie et les discours médicaux.
Des années plus tard, Caroline Mauxion décide de se réapproprier son image en photographiant son corps et celui de celles qu’elle aime. Afin d’augmenter l’image d’une dimension tactile, elle découpe ses clichés pour les rassembler puis les mêler à des sculptures en plâtre. “Je fais souvent le parallèle entre l’orthopédie, qui aide à redresser des corps et le mot ‘queer’, qui se traduit par ‘déviant‘, et que l’on a également cherché à ‘redresser’”, ajoute-t-elle. J’essaie de créer des frottements entre tout cet univers de contraintes médicales, intime mais aussi très charnel et sensuel.” Sur des photos, les corps s’arquent dans des postures de kinésithérapie ou dans des positions sexuelles, l’une se fondant dans l’autre, comme le miroir de sa propre vie.
Stand de la galerie Zalucky.
Paris Photo, du 7 au 10 novembre 2024 au Grand Palais, Paris 8e.