1 juin 2021

L’Amazonie de Sebastião Salgado envahit la Philharmonie de Paris

Jusqu’au 31 octobre, la Philharmonie de Paris accueille l’exposition “Amazônia”, un voyage en terre inconnue sublimant les paysages et les peuples de l’Amazonie. Résultat de la collaboration de deux grands artistes, le photographe brésilien Sebastião Salgado et le musicien culte Jean-Michel Jarre, l’exposition recrée en son et lumière l’impression saisissante d’une terre mystérieuse.

Archipel fluvial de Mariuá, Rio Negro, État d’Amazonas, Brésil, 2019 © Sebastião Salgado

Des kilomètres de jungle dense, des pluies dévastatrices, des centaines d’espèces mystérieuses… Depuis la colonisation du Brésil par le Portugal au XVe siècle, l’Amazonie a souvent été surnommée l’“enfer vert” en raison de son impraticabilité. À l’ère de la crise climatique, cette terre gorgée de richesses exceptionnelles est aujourd’hui surnommée “paradis vert”. Pourtant, c’est sans ses mille nuances de vert que Sebastião Salgado a capturé le “poumon du monde”. De 2013 à 2019, le photographe brésilien né à l’orée de cette vaste région parcourt son immense forêt – qui traverse neuf pays – et produit un corpus de centaines d’images en noir et blanc, dévoilant chacune un fragment de l’énigme d’un lieu indomptable. Plongé dans sa faune et sa flore sauvages, il s’émeut de paysages à couper le souffle et rencontre les autochtones qui la peuplent, dont le mode de vie, si éloigné du nôtre, posent la question du savoir être au monde. Alors, afin d’alerter le monde occidental sur les dangers de la déforestation et interroger la place de l’homme au sein de la nature, la Philharmonie de Paris accueille jusqu’au 31 octobre l’exposition “Amazonia”, fruit de la collaboration entre le photographe et le compositeur Jean-Michel Jarre. Entre scénographie troublante, images splendides et musique immersive, voici trois raisons de découvrir ce projet multisensoriel.

Rio Jutaí, État d’Amazonas, Brésil, 2017 © Sebastião Salgado

1. Se perdre au cœur d’une terre vierge 

 

 

Surnommée enfer ou paradis, l’Amazonie n’a cessé d’inspirer le mysticisme chez les mortels. Et pour cause : son abondance se mêle à une telle hostilité que beaucoup s’en remettent à une autorité supérieure pour espérer y survivre. En cherchant l’El Dorado – une terre  utopique où l’or coulerait à flots –, bon nombre d’explorateurs ne sont jamais sortis des griffes luxuriantes de la jungle amazonienne. Paradoxalement, la forêt possède un pouvoir bienfaiteur : ses arbres absorbent les gaz à effet de serre et rejettent de l’oxygène. Cette dimension mystérieuse et salvatrice du lieu est au cœur du travail de Sebastião Salgado. Durant six ans, il pénètre et survole les espaces grandioses de l’Amazonie, capturant les montagnes imposantes, les rivières sinueuses et les nuages voluptueux qui la composent. L’usage du noir et blanc, s’il lui permet de s’affranchir de l’omniprésence du vert, lui offre un sens troublant du contraste et de la composition, tandis qu’il se joue des échelles et des formes pour créer des tableaux visuellement saisissants. Ainsi, on s’élève au-dessus de la ligne sinueuse tracée par le fleuve Amazone au milieu des arbres, vue par le photographe depuis un hélicoptère, avant de replonger dans la jungle, où l’on discerne à peine un jeune garçon émergeant de l’eau, fondu dans les détails de la végétation foisonnante. Et pour rendre justice à ce travail colossal, l’exposition – qui parachève ces six années de voyage – s’est parée d’une scénographie inspirée de la forêt. Suspendus au plafond par un fil presque indétectable et plongés dans l’obscurité, les clichés sont disposés abondamment de sorte à brouiller les repères spatiaux. Le spectateur se retrouve alors cerné, comme happé par le vertige de l’immensité amazonienne. Puis, comme des oasis au milieu du chaos, se dressent des cabines ovoïdes inspirées des ocas – habitations indigènes –, dont les murs sont couverts des visages et des corps d’un peuple vivant en osmose avec la nature.  

Famille Korubo, État d’Amazonas, Brésil, 2017 © Sebastião Salgado

2. Admirer les visages de peuples millénaires

 

 

Si certains ne sont jamais ressortis du dédale de l’Amazonie, d’autres ont été recueillis par une communauté locale. Aujourd’hui, la forêt la plus impénétrable du monde compte des peuples qui n’ont aucun contact avec l’extérieur. Alors pour les rencontrer, il faut s’armer de patience. Depuis 1988, il est interdit d’approcher les tribus : “Les groupes isolés qui veulent contacter des personnes extérieures ont la possibilité de sortir de la forêt pour le faire, mais l’inverse est impossible”, explique Sebastião Salgado dans un communiqué. Durant vingt ans, le photographe a tissé des liens uniques avec près de dix communautés indigènes à l’histoire riche, dont la lignée remonte parfois jusqu’à l’époque des premiers colons portugais. Fasciné par un monde en tous points opposé au sien, il capture les autochtones à l’aide de mises en scène picturales et majestueuses, sublimant leur vie quotidienne. Un rite de passage spirituel, un groupe de femmes pêchant au détour d’une rivière scintillante sous les rayons du soleil, un portrait de famille posé dans un studio de fortune… Autant de scènes de vie que le photographe brésilien immortalise sans couleurs, de son œil bienveillant et humble. Comme beaucoup, l’artiste y retrouve l’humanité une fois retiré du monde. “Lorsqu’en pleine Amazonie, ceux qui vivent dans la forêt et ceux qui n’y vivent pas se rencontrent, nous nous rassemblons autour des mêmes valeurs humanistes, comme l’amour, la dignité… Arriver en Amazonie, c’est pénétrer dans notre propre espèce”, confie-t-il.

Indiens Marubo, Vallée de Javari, État d’Amazonas, Brésil, 1998 © Sebastião Salgado

3. Vibrer au son d’une création musicale organique

 

 

Pour accompagner les 200 photographies de l’exposition et en parfaire la scénographie immersive, la Philharmonie a demandé à l’incontournable musicien français Jean-Michel Jarre de composer une partition unique. Alors que les images de Sebastião Salgado semblent flotter dans l’air, la musique retentit et donne une dimension très immersive à l’exposition. À l’aide d’une quarantaine de sources sonores – entre chants religieux, cris d’oiseaux, et instruments de musique indigènes traditionnels –, le compositeur a créé un melting-pot musical troublant dont les notes profondes nous plongent dans le mystère millénaire de la forêt amazonienne, aussi dangereuse qu’enchanteresse. Pour mener à bien ce projet musical mystérieux mêlant sonorités électroniques, musique classique et bruits ambiants enregistrés au cœur de la forêt, Jean-Michel Jarre s’est muni d’une boîte à son contenant des éléments divers, laissant libre cours à son imagination : “J’ai choisi les éléments vocaux et sonores dans leur dimension évocatrice, plutôt que d’essayer d’être fidèle à tel groupe ethnique. Il me semblait intéressant de fantasmer la forêt. Elle charrie un puissant imaginaire ; tant pour les Occidentaux que pour les Amérindiens”, explique le musicien de 72 ans. Au delà de la diffusion de cette bande sonore dans l’espace de l’exposition, deux salles d’écoute accueillent deux grandes projections des clichés de Sebastião Salgado, accompagnées de musique brésilienne choisie par le photographe.

 

 

“Amazonia” de Sebastião Salgado, présentée à la Philharmonie de Paris jusqu’au 31 octobre 2021.