27 oct 2021

Festival de Hyères : qui sont les lauréats du prix du Jury de la Photographie ?

Cette année, à Hyères, c’est un duo d’artistes du sud de la France, Emma Charrin et Olivier Muller, qui a décroché le Grand Prix du jury de la photographie, présidé par Dominique Issermann. Pour Numéro, les lauréats sont revenus sur leur fascination pour les territoires balnéaires en mutation, leur goût pour les chimères et leur désir de capter le caractère éphémère de toute chose.

Depuis les hauteurs de la Villa Noailles, à Hyères, on voit à travers les ouvertures de l’édifice de béton, joyau de l’architecture moderne, scintiller le bleu profond de la mer Méditerranée. Au sein de l’espace d’exposition, comme un clin d’œil à ce qui se joue déjà à l’extérieur, les photographies d’Emma Charrin et Olivier Muller évoquent elles aussi ce contraste, et toute la poésie qu’il convoque. Leur exploration du littoral méditerranéen et leur fascination pour le balnéaire, éléments constitutifs de leur travail photographique, ne pouvaient passer inaperçus en un pareil contexte. Récompensés de la plus haute distinction dans leur catégorie, au terme de cette 36e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode, Emma Charrin et Olivier Muller sont revenus pour Numéro sur les sources de leur inspiration et l’origine de leur collaboration.

 

Emma Charrin, 34 ans, et Olivier Muller, 36 ans, forment un duo créatif de longue date. Ils se rencontrent il y a un peu plus de dix ans à la faculté d’Aix-en-Provence, et intègrent tous deux l’École des beaux-arts de Marseille en 2010, où naissent les prémices de leur collaboration artistique. Elle étudie alors la photographie, lui, l’expression plastique et la performance. Ce qui, déjà, les lie, est leur profond attachement au littoral méditerranéen, à son architecture et à ses mutations. En 2015, ils entament ainsi un projet au long court, intitulé Des Rives – Provisoire, présenté au Festival de Hyères, qui les conduit à explorer différents territoires du pourtour méditerranéen, de La Grande-Motte à Tanger. Là, ils mettent en scène des théâtres, où corps et installations se mêlent et, en même temps, s’opposent à l’architecture et à la nature. Ils inventent des rituels, comme cette « ode à la rosée du matin » dans les zones non urbanisées de la périphérie de Tanger, où le land art acquière une dimension spirituelle : “Tanger, explique Olivier Muller, est une ville qui s’est développée très vite ces vingt dernières années. Quand nous avons exploré sa périphérie, nous avons découvert ces zones de campagne qui semblaient être comme en sursis. Nous avons installé des installations de land art, semblables à des amulettes de protection, avant que la ville ne vienne dévorer ces espaces…” Ces amulettes, réalisées à partir de matériaux de chantiers liés à l’univers de la construction et du BTP, annoncent l’urbanisation prochaine du lieu tout en le réinvestissant – peut-être une dernière fois – d’un souffle poétique et onirique.

À Tanger, à Marseille ou à La Grande-Motte, le duo s’intéresse au devenir béton du sable, à l’opposition entre l’architecture brutaliste et l’instable fragilité des paysages naturels. Dans un aller-retour entre performance et photographie, ils fixent et figent l’impermanence des choses, leurs métamorphoses, tout en réinsufflant du mouvement à la rigidité des blocs de béton. Tous deux ont ce qu’ils appellent “la mélancolie du balnéaire”, sentiment de fascination empreint de tristesse pour les territoires littoraux en mutation, qu’ils s’emploient à traduire dans le premier chapitre de Des Rives – Provisoire, “Le Tropique du Yucca”, à La Grande-Motte. Sur ces images, les corps anonymisés de danseurs, comme emprisonnés dans des bâches de plastique peintes, opposent rondeur et mollesse aux lignes anguleuses du bâtiment du Point Zéro, immeuble emblématique de l’architecture de Jean Balladur, adossé à la très haute dune de 5 mètres qui a inspiré le nom de “La Grande-Motte”. C’est cette série de photographies qui a particulièrement séduit Dominique Issermann, présidente du jury photo de la 36e édition du Festival de Hyères. La photographe de mode, collaboratrice de longue date de Numéro récemment élue à l’Académie des beaux-arts, explique avoir été bluffée par cette série qui “ne montre pas de visage, pas d’émotion, et n’incite pas à se plonger dans la contemplation ou l’émerveillement de l’énigmatique beauté”. Ce qu’elle y a vu, c’est “un théâtre, où se joue un drame peut-être, des tensions en tout cas ; théâtralité du cadre, avec ses personnages installés, comme en attente d’être transportés dans un autre monde.” Là est bien l’essentiel : théâtraliser, “mettre en fiction” – pour reprendre l’expression du duo – des territoires populaires et globalisés, pour mettre en péril l’uniformisation du paysage en y introduisant mystère et chimères.

Pour chacun des chapitres de leur projet Des Rives – Provisoire, Emma Charrin et Olivier Muller procèdent en deux temps. Tout commence par une importante recherche – documentaire (archives, témoignages) et artistique – sur l’espace qu’ils ont choisi d’investir, qui leur sert de moteur et de source d’inspiration. S’il reste des traces de cette documentation dans le résultat final, celui-ci n’a pas vocation à être descriptif. Au contraire, il s’agit avant tout, à travers le travail de mise en scène (deuxième temps de leur création), de transformer le territoire en un décor, d’en proposer une réécriture, à la manière d’un conte ou d’un mythe. Un geste que Dominique Issermann interprète comme “un dernier effort de chorégraphier à tout prix, dans une mise en scène qui tente de contrôler le passage en barque vers le nouveau monde, au bord de la Méditerranée (…), s’éloignant de la tragédie pour entrer dans le brutalisme de la contestation écologique”.

 

L’écrin moderne et bétonné de la Villa Noailles, où sont exposées leurs images, semble avoir été fait pour les accueillir. Le jour de notre visite, un arc-en-ciel impromptu vient traverser l’une des photographies de la série Baltellala, où se superposent déjà lignes et couleurs, comme pour en souligner le caractère fantasmagorique. Pour le duo, Hyères est un rêve devenu réalité : “C’est drôle parce que lorsqu’on faisait les photos à La Grande-Motte, on pensait déjà à un dialogue possible entre le brutalisme du Point Zéro et l’architecture de Robert Mallet-Stevens [l’architecte de la Villa Noailles], qui nous anime aussi beaucoup. On se disait que la Villa serait un lieu d’exposition judicieux et pertinent pour cette série, alors on est vraiment contents d’être là aujourd’hui”. Lauréats du Grand Prix du jury de la photographie, le duo se voit ainsi doté d’une bourse de 20 000€, qui leur permettra de réaliser dans les meilleures conditions possibles le quatrième chapitre du projet Des Rives – Provisoire : “Il s’agira d’une sorte de faux documentaire, qui se déroulera soit en Italie, soit en Grèce, nous ne savons pas encore. Ce qui est sûr c’est que nous travailleront encore sur le littoral méditerranéen parce que c’est une région qui nous touche et nous parle beaucoup.” En attendant, leur travail et celui des autres finalistes de la 36e édition du Festival de Hyères est à découvrir à la Villa Noailles jusqu’au 28 novembre 2021.


Exposition des finalistes Photographie, Villa Noailles, Hyères, jusqu’au 28 novembre 2021.

From « Baltellala » © Emma Charrin et Olivier Muller
From « Le tropique du Yucca » © Emma Charrin et Olivier Muller