9 mar 2023

De Helen Levitt à Chris Killip, 3 photographes qui capturent l’énergie de l’après-guerre

Démocratisée au 20e siècle, la photographie est devenue le médium idéal pour prendre le pouls de l’époque, consacrant des artistes majeurs dont certains sont actuellement exposés à Paris. De l’entre-deux-guerres au Mexique, capturée par Helen Levitt et Henri Cartier-Bresson, à la fin des Trente Glorieuses sur l’île de Man, avec Chris Killip, retour en images sur un monde occidental en pleine mutation.

1. Henri Cartier‐Bresson et Helen Levitt : deux visions complémentaires du Mexique de l’entre-deux-guerres

 

À quelques pas du marché couvert des Enfants Rouges, l’héritage du célèbre photographe français Henri Cartier-Bresson rencontre les clichés de l’Américaine Helen Levittqui fut son assistante pendant l’année 1935. À travers une quarantaine d’images, exposées au sous-sol de la Fondation Henri Cartier-Bresson, naît un dialogue photographique autour d’un même objet d’étude : le Mexique de l’entre-deux-guerres. Si l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson, produite à l’occasion d’une mission ethnographique en 1934, se concentre particulièrement sur les détails, les visages et les expressions, celui de Helen Levitt, composé d’images prises en 1941 lors d’un de ses nombreux voyages en terre mexicaine, rend plutôt compte d’une atmosphère globale en montrant des scènes de la vie quotidienne – quitte à prendre un certain recul sur son sujet. Les photographes se distinguent également par le traitement de leurs images. Ainsi, chez Helen Levitt, la chaleur du Mexique est traduite par un noir et blanc virant presque au sépia, comme sur la photographie d’un désert aride, là où Henri Cartier-Bresson déploie une vision plus réaliste et embrasse pleinement le genre de la photographie documentaire à travers des portraits où contrastent la luminosité de ses clichés.

 

Henri Cartier‐Bresson et Helen Levitt, “Mexico”, jusqu’au 23 avril 2023 à la Fondation Henri Cartier‐Bresson, Paris 3e.

2. Leon Levinstein plonge dans le New York des Trente Glorieuses

 

À quelques encablures du canal Saint-Martin, la galerie Les Douches présente le travail du photographe américain Leon Levinstein (1910-1988). Véritable plongée en noir et blanc dans les rues d’un New York en pleine effervescence, ses œuvres mettent en valeur des personnalités et des corps de l’après-guerre aux États-Unis. Afin de mieux caractériser la société de cette période, marquée par un boom économique et des changements de modes de vie significatifs, le photographe met le vêtement au premier plan. Si les chapeaux melon et autres manteaux de fourrure évoquent devant l’objectif l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie, les classes plus populaires se manifestent quant à elles dans les uniformes d’ouvriers, qui deviendront bientôt les vestiges d’un secteur industriel en pleine transformation. Cette urbanisation du monde s’accompagne aussi à l’époque d’une volonté croissante de documentation. Figure du mouvement émergent de la street photography, très en vogue dans l’Amérique d’après-guerre, Leon Levinstein saisit dans les rues de la métropole des fragments de vie à la volée dont les sujets ne posent jamais – voire ignorent qu’ils sont photographiés. En résulte des images fortes sur lesquelles, parfois, les visages se tournent vers l’objectif pour découvrir l’appareil de celui qui les observe. À travers ses déambulations passionnées dans la Grosse Pomme, Leon Levinstein dresse le portrait d’une ville qui ne cesse de s’étendre, alors que ses structures métalliques et autres véhicules de chantier grignotent ses précieux espaces naturels.

 

Leon Levinstein, “La chorégraphie des corps”, jusqu’au 25 mars 2023 à la Galerie Les Douches, Paris 10e.

3. L’Angleterre des années 70 vue par Chris Killip

 

Pour clôturer cette balade photographique à travers les époques, les villes et les continents au 20e siècle, cap sur le onzième arrondissement parisien pour découvrir l’œuvre du britannique Chris Killip. À la Galerie Magnum, l’œuvre du natif de l’île de Man se dévoile à travers trois séries : Isle of Man (1970-73), Seacoal (1976-84) et Skinningrove (1982-84), balayant près de 15 années de son travail. Plongée dans une période de crises multiples (politique, sociale et économique) suite à la récession économique des années 1970, la Grande-Bretagne de l’après-guerre se dévoile dans toute sa fragilité sous l’œil du photographe. À travers une approche presque documentaire, ce dernier saisit des paysages où la nature se voit magnifiée dans toute sa fougue, notamment avec la présence d’une mer déchaînée sur bon nombre de ses clichés, mais aussi des scènes de vie insistant sur le prégnant sentiment de solitude de ses protagonistes. Capturés seuls face à l’immensité des paysages ou sur leur lieu de travail, les habitants de l’île de Man incarnent le portrait d’une société à bout de souffle tandis que le déclin de certaines industries essentielles à l’économie s’incarne dans la fumée qui s’échappe de la cheminée des usines.

 

Chris Killip, “An Anthology”, jusqu’au 6 mai 2023 à la Galerie Magnum, Paris 11e