2 sept 2020

The day when Sylvie Fleury exhibited shopping bags

Le 17 décembre 1990, la galeriste Jacqueline Rivolta envoya ses cartes de voeux, disséminant l’image des premiers Shopping Bags que Sylvie Fleury exposait dans son espace à Lausanne…

Par Éric Troncy.

Illustration par Soufiane Ababri.

By Éric Troncy.

Illustration by Soufiane Ababri.

L’artiste participait à ce qui était sa première exposition “officielle”, c’est-à-dire sous son nom, et pas celui de Sylda von Braun (du nom du réacteur de la fusée Ariane, Sylda, et en référence au personnage de Natacha von Braun dans Alphaville de Jean-Luc Godard), sous lequel elle était connue. Partie à 20 ans à New York pour y apprendre l’anglais, la Genevoise avait fréquenté le milieu du cinéma underground durant deux ans avant de revenir dans sa ville natale. Elle avait ouvert dans la capitale suisse une galerie – “Lorsqu’on ne savait pas quoi montrer, on achetait des tableaux au marché aux puces et on faisait des accrochages sur les murs noirs de l’espace”, se souvient- elle en 2017. Personnage flamboyant de la scène “branchée” genevoise, elle en fréquentait les musiciens et les artistes, dont John M. Armleder et Olivier Mosset, invités en cette fin d’année 1990 à montrer leur travail à la galerie Rivolta. Trouvant l’idée d’exposer encore tous les deux un peu répétitive, ils avaient proposé au Suisse Christian Floquet de les rejoindre. Un titre fut trouvé pour l’exposition : AMF – pour Armleder, Mosset, Floquet – mais peu avant le vernissage Floquet jeta l’éponge, et les artistes demandèrent à une autre “F” (Sylvie Fleury) de faire office de remplaçante.

 

Plus personne ne se souvient de ce qu’exposèrent à cette occasion les deux grands artistes suisses, mais l’oeuvre de la jeune femme entra illico dans l’histoire des formes. Elle disposa au sol un ensemble de Shopping Bags colorés : Estée Lauder, Azzedine Alaïa, Polaroid, Fred Hayman (un Suisse de Beverly Hills), Elizabeth Taylor’s Passion, Christian Lacroix (dont le sac réalisé pour le parfum C’est la vie ! donna son nom à l’oeuvre)… Les sacs contenaient encore les objets achetés auxquels ils servaient de réceptacles. À une époque où l’art et la mode formaient deux territoires bien distincts avec peu de connexions, et tandis que le politically correct commençait à sévir, qu’une artiste femme expose ses sacs de shopping sema le trouble – d’autant que les qualités plastiques de l’installation sautaient aux yeux. Il s’agissait en effet d’une composition abstraite en forme de paysage coloré, saisissante actualisation du scatter art (où les éléments de l’oeuvre sont disséminés au sol) et troublant commentaire privé de jugement sur la société de consommation. Comme le système pictural de Mondrian fait de lignes noires et de carrés colorés, ces Shopping Bags offraient un système de composition inépuisable : au fil des années, Fleury en réalisa une cinquantaine – aujourd’hui encore, où l’art et la mode font si bon ménage, le caractère irrésolu de leur signification ambiguë et leur évidence formelle en font des oeuvres clé de l’histoire de “l’art contemporain”.

On 17 December 1990, gallerist Jacqueline Rivolta sent out Christmas cards printed with images of the first Shopping Bags that Swiss artist Sylvie Fleury was showing in Rivolta’s Lausanne space. It was Fleury’s first “official” show under her own name – rather than the pseudonym Sylda von Braun she had previously used – but she was not showing alone: the group exhibition also featured work by two other Swiss artists, John M. Armleder and Olivier Mosset. Today, however, no one remembers which pieces were shown by these two established figures, since they were completely eclipsed by Fleury, whose collection of coloured shopping bags immediately went down in the annals of form. Each one sported a brand logo – among them Estée Lauder, Azzedine Alaïa, Polaroid, Fred Hayman, Elizabeth Taylor’s Passion and Christian Lacroix (the latter bag having been made for his perfume C’est la vie!, which Fleury adopted as the title of her piece) – and still contained the items Fleury had purchased. At a time when fashion and art were separate spheres, and political correctness was beginning to bite, the fact that a female artist should tackle the subject of shopping caused rather a ruckus. Especially given the undeniable aesthetic qualities of C’est la vie! – a striking updating of scatter art – which opened up a rich seam for Fleury: she would go on to realize 50 odd such pieces, whose troubling ambiguity retains all its pertinence today.