Steve McQueen joue un concerto sans musiciens à la Dia Beacon
À la Dia Beacon, l’artiste et cinéaste oscarisé Steve McQueen présente jusqu’au 26 mai l’une des installations les plus abstraites et saisissantes de sa carrière : un concerto de basses, joué par un ensemble de panneaux lumineux et de hauts-parleurs.
Par Cyrus Goberville.

Le concerto de Steve McQueen à la Dia Beacon
Arrivé à la Fondation Dia Beacon, temple paisible du minimalisme américain dans la vallée de l’Hudson (État de New York), on est accueilli par un bourdonnement inhabituel : des fréquences basses nous appellent de son antre. Difficile de les éviter, le spectre de ces dernières étant si bas qu’elles sont plus souvent ressenties qu’écoutées. En faisant un tour dans les collections, le son semble avoir disparu, mais les vibrations ne tarderont pas à refaire surface.
Pour aller à la recherche de la source de ces grondements, on descend un escalier de service pour y découvrir l’une des œuvres les plus abstraites du réalisateur oscarisé et artiste britannique Steve McQueen : un immense sous-sol vide de 2 800 m², composé de soixante panneaux lumineux au plafond modifiant le spectre colorimétrique si discrètement qu’il est impossible d’en ressentir le changement, et de trois stacks d’enceintes Meyer 900-LFC. Subtilement disposées, celles-ci livrent ici un concerto de basses qui progresse pour atteindre des sommets en quelques minutes.

Un artiste passionné par le son
Le son a toujours été au cœur du travail de Steve McQueen – on pense à Girls, Tricky, portrait vibrant du fondateur de Massive Attack en 2001 ou, plus récemment, à l’ode au genre reggae Lovers Rock dans sa série Small Axe pour la BBC en 2020 –, mais l’artiste va plus loin avec Bass. Cinq bassistes d’exception ont été réunis dans le sous-sol du Dia pour des sessions d’improvisation dirigées par l’artiste.
Devenu chef d’orchestre, il les guide par son désir d’explorer les sonorités d’un instrument qui retrace le voyage forcé des personnes réduites en esclavage à travers le “Passage du milieu” [traversée de l’Atlantique subie par les esclaves enlevés de force en Afrique et destinés à être exploités aux Amériques]. Le grand bassiste américain Marcus Miller (né en 1959) croise les rythmes entraînants de la basse ancestrale n’goni de Mamadou Kouyaté (mort en 1991), venu du Mali pour ces enregistrements in situ. La basse électrique du Jamaïcain Aston Barrett Jr. (né en 1990) dénote avec celle, acoustique, de la jeune Laura Simone Martin (née en 2005), avant de se marier aux improvisations de l’une des étoiles montantes de la neo soul américaine, Meshell Ndegeocello (née en 1968).

Cette installation, sans réel commencement ni fin, où les musiciens ont été remplacés à leur position exacte dans l’espace par des haut-parleurs, rend possible l’impossible : un accord harmonique entre cinq basses différentes, où les visiteurs, baignés dans la lumière, procèdent à une méditation vibrante sur l’histoire traumatique d’un instrument légendaire, devenu métaphore matérielle du passé et du présent.
Steve McQueen, exposition jusqu’au 26 mai 2025 à la Fondation Dia Beacon, États-Unis.
La Galerie Marian Goodman Paris consacre une exposition à Steve McQueen du 24 mai au 25 juillet 2025.
