Mohamed Bourouissa fait parler les plantes à la galerie Kamel Mennour
Mettre en musique la respiration des acacias : tel était le projet de Mohamed Bourouissa, présenté jusqu’au 3 octobre à la galerie Kamel Mennour. Passionné par les propriétés curatives des plantes et la force poétique de leurs racines, l’artiste franco-algérien présente dans l’espace parisien une installation performative où le végétal prend vie, incarné par une bande sonore retransmise en direct ainsi que des séries d’aquarelles inédites.
Par Matthieu Jacquet.
Il faudra un léger temps d’adaptation pour comprendre ce qui se joue jusqu’au 3 octobre prochain à la galerie Kamel Mennour. Une fois passé l’étonnement de la moquette jaune poussin tendue sur l’intégralité du sol de l’espace parisien, que l’on foule à pas feutrés les pieds emballés dans des couvre-chaussures, une fois passées les plantes peintes à l’aquarelle qui jalonnent les murs et les cinq acacias en pot répartis dans les salles, vient le temps de comprendre le clou de cette nouvelle exposition de Mohamed Bourouissa. Sans surprise, on le trouve au beau milieu des arbustes feuillus. Dès l’instant où le silence gagne la pièce, leur fascinant spectacle peut commencer.
Des pulsations commencent à se faire entendre, tandis que des voix chantent et psalmodient des textes en anglais. Soudainement, les feuilles vertes des acacias semblent s’animer au rythme de ces pièces sonores. Du moins le croit-on alors que l’on discerne au plafond des enceintes blanches, chacune reliée à une plante par des fils électriques qui se fondent dans leur terre brune, où des micros invisibles vont chercher au plus près de leurs racines.
C’est alors que le mystère s’éclaire : la respiration des plantes, témoin inaudible de leur énergie vitale, se transpose ici en musique. Par le biais d’un Raspberry, nano-ordinateur sous forme de boitier qui capte les signaux électriques des plantes par des électrodes, et d’un algorithme informatique, Mohamed Bourouissa et son programmateur sont parvenus à changer les fréquences en sons qui, diffusé par les différents émetteurs de la galerie, improvisent une véritable symphonie végétale.
C’est il y a deux ans, pour la Biennale de Liverpool, que l’artiste franco-algérien commence à faire des plantes le cœur de ses projets. Après sa rencontre avec un ancien patient de l’écrivain et psychiatre Frantz Fanon, Mohamed Bourouissa a l’idée de créer un jardin communautaire dans la ville où cultiver des plantes à propriétés curatives ainsi que plusieurs espèces poussant dans son pays d’origine, l’Algérie.
Passionné par la possibilité de soigner et d’apaiser l’humain par le végétal, l’artiste cherche à manifester leur existence et développe ainsi ce système inédit qui retranscrit en direct les battements des acacias, arbres qui lui rappellent son enfance. Mis en scène au sein d’une “installation performative”, comme la qualifie l’artiste, le réseau électronique et technologique capte donc chaque moment de la vie de ces plantes, altérée par les variations de lumière, de température ou de qualité de l’air, et remet ainsi à l’honneur leur subjectivité.
Mais afin d’incarner encore davantage cette subjectivité, afin de donner corps à cette rencontre sensible et sensorielle entre vie humaine et vie végétale, Mohamed Bourouissa a une idée : diffuser également un poème scandé par le rappeur MC Kronic, membre de la nation aborigène des Yuin au sud-est de l’Australie, ainsi qu’un autre texte rappé par la chanteuse égypto-australienne Nordean, qu’il a tous deux rencontrés lors de sa participation à la Biennale de Sydney.
Avec fluidité et poésie, leurs voix se mêlent à la bande sonore végétale pour raconter l’histoire d’un déracinement et d’un rapport intime à la terre-mère. Ainsi, que cela passe par ces textes poétiques, ses dessins à l’aquarelle venant compléter un ancien herbier inachevé ou ses plantes rendues prolixes par la technologie, Mohamed Bourouissa laisse avec grâce parler la racine pendant qu’y croît silencieusement le souvenir habité de ses terres délaissées.
Mohamed Bourouissa, “Brutal Family Roots”, du 4 sepembre au 3 octobre 2020 à la galerie Kamel Mennour, Paris 6e.