La maison Cartier célèbre la richesse des arts de l’islam au musée des Arts décoratifs
Au musée des Arts décoratifs, une exposition magistrale s’attache à divulguer les influences de l’art islamique sur les créations de la maison Cartier. Un corpus exceptionnel de pièces et d’œuvres y sera présenté.
Par Delphine Roche.
Les associations de couleurs proches, tels le bleu et le vert, ou le fameux style Tutti Frutti – ligne de bijoux dont les pierres de couleur sont taillées en forme de végétaux et de fleurs –, sont aujourd’hui iconiques de la haute joaillerie de Cartier. Leur origine s’enracine dans la première moitié du XXe siècle. Jacques et Louis Cartier, puis Jeanne Toussaint, font alors souffler sur les créations un vent venu d’Inde. Bien plus qu’un simple goût pour l’exotisme, les inspirations stylistiques venues de l’art islamique permettent alors à la maison de révolutionner son rapport aux formes et aux couleurs, et de s’affirmer comme une véritable pionnière.
Au musée des Arts décoratifs, l’exposition “Cartier et les arts de l’Islam – Aux sources de la modernité” retrace l’origine de pièces d’une beauté fabuleuse, fruit d’une fertile collaboration menée avec le musée du Louvre (et son extraordinaire département d’art islamique) et le Dallas Museum of Art. Un éblouissant corpus de plus de cinq cents objets et bijoux de la maison Cartier, chefs-d’œuvre de l’art islamique, dessins, livres, photographies et documents d’archives, est ainsi présenté au visiteur de l’exposition.
Le nouveau répertoire stylistique des ateliers de la maison Cartier a notamment puisé sa source dans les nombreux ouvrages rapportés par Louis Cartier, ainsi que dans sa collection d’art islamique. À partir de 1911, Jacques Cartier revient de ses voyages en Inde – où il part rencontrer les maharadjahs – avec des bijoux anciens ou contemporains. “Outre l’apport de motifs ornementaux, les bijoux indiens entraînent une modification sur le plan de la structure même du bijou”, explique l’une des commissaires de l’exposition, Judith Henon-Raynaud, conservatrice du patrimoine et adjointe à la directrice du département des Arts de l’Islam du musée du Louvre. À partir des années 20, des pièces achetées en Iran, en Inde ou en Afrique du Nord sont démantelées et recomposées dans de nouvelles créations. “Une photo de Horst parue dans Vogue, en 1935, montre une parure faite pour Elsa Schiaparelli et portée avec sa robe sari”, poursuit une autre commissaire, Évelyne Possémé, conservatrice en chef du département des bijoux anciens et modernes au musée des Arts décoratifs à Paris. “Le bijou est de style indien, mais crédité Cartier. En le comparant avec les archives de la maison, nous avons pu déduire qu’il a été fait à partir d’une ceinture vendue par l’Aga Khan, qui a été démontée. Des bracelets conçus à partir de cette même ceinture figurent dans l’exposition.” À partir des années 60, l’influence berbère inspire, elle, des colliers-plastrons comme des résilles qui se posent sur la poitrine.
L’influence islamique sème aussi sur son passage une nouvelle palette et des associations chromatiques inattendues. Les bleus et verts des lapis-lazuli, des turquoises et du jade prédominent à l’époque de Louis Cartier, avant de se voir adjoindre à partir de 1933, sous la direction artistique de Jeanne Toussaint, le mauve des améthystes. Les pierres taillées en forme de fleurs et de feuilles, qui ornent les pièces d’orfèvrerie indienne, sont pour leur part reprises dans de nouvelles créations multicolores très novatrices qui connaîtront un grand succès et ne prendront que beaucoup plus tard leur nom de Tutti Frutti. Invitant à un passionnant parcours au sein du processus créatif de Cartier (notamment via les dessins de Charles Jacqueau, l’un des principaux dessinateurs de la maison), l’exposition engage à une découverte ou à une redécouverte précise de l’art islamique, loin des clichés orientalisants.