Ron Arad, an unusual designer
Ron Arad est sans aucun doute l’une des figures majeures du design art, cette pratique brouillant les pistes entre la fonctionnalité du design et l’esthétique pure de la sculpture qui a séduit le marché de l’art. Mais le designer sait tout aussi bien créer des objets en série, avec le même succès. Rencontre avec un créateur aussi atypique qu’exubérant.
Par Maïa Morgensztern.
Numéro: Une de vos premières pièces, la Rover Chair est née du mariage improbable entre le siège d’une Land Rover et des tubes de raccord en acier. Le canapé Matrizia est quant à lui inspiré d’un vieux matelas trouvé dans les rues de New York. Vous pensez que l’on peut encore trouver des merveilles dans la rue ?
Ron Arad: Il y a encore pas mal de jolies choses dehors. La plupart pourraient être accrochées dans une galerie et sont d’ailleurs bien plus belles que ce que l’on peut inventer dans un studio. Ce qui a changé est qu’on ne fait plus attention. Les designers nous ont habitués à tout transformer pour nous. Il n’y a plus d’innocence… on attend que ça nous tombe tout cuit dessus. Nous regardons les choses avec le fardeau et le privilège du savoir.
Vous avez créé du mobilier d’extérieur pour des éditeurs comme Magis, Moroso ou Vitra. Au-delà de la nécessité d’utiliser des matériaux adaptés aux saisons, il y a-t-il une différence d’approche entre une chaise pour la maison et une chaise pour le jardin ?
Pour être honnête je ne me préoccupe pas de ces questions. Je ne lis pas vraiment les briefs donnés par les marques non plus. Je suis par exemple ravi de découvrir de nouveaux tissus imperméables en tant que consommateur, mais dans mon travail je fini souvent par créer mon propre matériau. Ce qui compte au final, ça n’est pas la méthode mais le résultat. Dans mon cas, je dirais que marcher dehors sous la pluie produit de meilleurs résultats que de me demander de faire quelque chose en pensant à la pluie. Plus important encore, je ne veux pas recréer à l’extérieur ce qui existe déjà à l’intérieur. Avec le Tea Pavilion, on ne voulait surtout pas perdre le lien avec l’environnement. Même si la fonction première d’un abri est de protéger des éléments, il fallait que la forme finale soit assez fluide, que l’on sente que l’on est encore dehors, et pas dans une bulle isolée du reste.
Cette perméabilité de l’espace se retrouve chez d’autres architectes comme Norman Foster. C’est une obsession de notre époque ?
De notre époque je ne sais pas. Une des miennes, clairement ! Peu de gens le savent, mais ma plus grande fierté architecturale est le musée du Design de Holon, en Israël. Quelques semaines avant l’inauguration, un rabbin est venu accrocher une mezouzah pour bénir le bâtiment [dans le judaïsme, la mezouzah contient un texte biblique et sert à marquer le passage de l’extérieur à l’intérieur d’un lieu]. Tous les édifices publics du pays en ont une. Au-delà du fait que je ne suis pas religieux, j’ai tenté de lui expliquer que son geste allait ruiner le concept même de l’architecture, pensée exactement pour que l’on ne puisse pas délimiter de transition entre intérieur et extérieur. Il a cherché pendant deux heures un endroit où apposer la mezouzah, avant de baisser les bras. Le Musée du Design de Holon est donc le seul bâtiment public du pays qui n’en a pas… j’en suis très honoré !
Vous êtes architecte, designer de meubles de série, mais vous créez aussi des pièces de design de collection. Une chaise à plus de 10 000 euros, on évite de la mettre dehors… voire de s’asseoir dessus ?
Personnellement j’aime que les objets vieillissent, qu’ils s’oxydent avec le temps… mais c’est vrai que la plupart des collectionneurs vont éviter de mettre une pièce de valeur sous la neige, même si elle est faite pour ça. Les œuvres de design, surtout les éditions limitées, sont du surplus. Quand on a faim, on mange ce que l’on trouve. Quand on n’a pas faim, on commence à chercher des recettes, des épices, on travaille la texture. La culture est la définition même du luxe. Et la valeur augmente encore si ça ne marche pas. Un jour, Rolf Fehlbaum, fils des fondateurs de Vitra, est venu donner une conférence à mes élèves et leur a dit : “En tant qu’industriel, je suis intéressé par le succès. En tant que collectionneur, je suis intéressé par l’échec.”
Malheureusement pour vous, vos pièces sont plutôt un succès ! Le MT Rocker a fait un carton aux enchères de Hong Kong en début d’année, adjugé à plus de 135,000 Euros. Vous suivez le prix de vos œuvres ?
Pas vraiment. Le processus créatif des designers implique souvent de sérieux coûts de production et j’ai parfois une forte pression pour ne pas faire de choses qui coûtent trop cher, pour éviter de prendre trop de risques. Évidemment, je n’écoute pas.