Qui se cache derrière Nendo, l’influent studio de design japonais invité de Colette ?
Le studio japonais Nendo a créé avec les artisans de la manufacture de Sèvres le vase Sakura en biscuit de porcelaine, une pièce d’exception exposée dans les vitrines du magasin Colette jusqu’au 15 avril. L’occasion pour Numéro de revenir sur son interview exclusive avec Oki Sato, fondateur du studio Nendo.
Par Thibaut Wychowanok.
L’ascension du studio Nendo a été fulgurante. Il n’a pas fallu plus de dix ans à son fondateur, Oki Sato, pour réaliser une entrée fracassante dans le club des designers les plus influents au monde. Le prolifique Japonais, à la formation d’architecte, n’en a pourtant pas changé sa manière d’appréhender son métier. Ses créations poétiques et minimales n’ont de cesse d’évoquer, là, le mouvement du vent, ici, des formes organiques incertaines… Marqué par sa culture, Oki Sato envisage le design comme un haïku, poème dont un seul vers peut contenir toute la magie d’une saison. Autant dire que le designer s’attèle à résoudre les problèmes toujours de la manière la plus simple, concentrant ses efforts et ses idées à l’extrême. Cette recherche de pureté n’en fait pas pour autant un adepte de l’abstraction. Car c’est dans l’ordinaire et le quotidien qu’il puise son inspiration, révélant l’extraordinaire dans le banal, l’immatériel dans le matériel, et la rêverie dans le familier.
Numéro : Pour mieux appréhender votre travail, nous pourrions commencer par le vocabulaire. Vous usez souvent, par exemple, de la notion “d’entre-deux”. Qu’entendez-vous par là ?
Oki Sato : Avez-vous déjà regardé le ciel étoilé une nuit d’été ? La plupart des designers, face à ce spectacle, réfléchiraient sans doute à la meilleure manière de rendre les étoiles plus brillantes encore. Pour ma part, je préférerais m’interroger sur la meilleure manière de rendre l’obscurité plus obscure. Bien sûr, cela aboutirait au même résultat, à ce que les étoiles brillent plus… Mais mon approche se distingue par l’intérêt porté à l’espace entre les objets, cet “entre-deux” que les gens ont tendance à ignorer parce qu’ils pensent qu’il n’est constitué de rien. Or, c’est dans cet “entre-deux”, je pense, que se cachent les meilleures idées.
Pour vous, l’idée d’un objet ne naît-elle donc jamais d’une rencontre avec un matériau, une forme ou une couleur ?
Tout commence toujours par une histoire. Prenons la chaise que j’ai conçue à l’occasion de ma collaboration avec COS, je l’ai imaginée en pensant à un yakitori [petite brochette japonaise traditionnelle]. Ma première idée a été de la percer à l’arrière d’un morceau de bois, comme la viande sur la brochette. Cette tige se transformait alors en pied, et créait aussi une courbe parfaite pour le dossier. J’avais en tête cette sensation de viande transpercée, une sensation naturelle et confortable qui a guidé la création de cette chaise. Je ne me suis inquiété du matériau ou de la couleur que bien plus tard, afin qu’ils s’adaptent au mieux à l’histoire que je souhaitais raconter.
Faut-il sans cesse épurer, ôter le superflu ?
Je ne le pense pas. Le minimalisme poussé à l’extrême est trop froid. L’essentiel n’est d’ailleurs pas d’enlever mais bien d’ajouter le bon ingrédient. Prenez le sashimi, il s’agit juste de poisson cru, il faut y adjoindre le wasabi pour que la magie opère. Cette épice, dans le design, est le plus souvent l’humour ou des émotions comme la joie ou le bonheur.
L’humour ?
Vous connaissez sans doute cet axiome moderniste : form follows function [la forme suit la fonction]. Eh bien je pense que le mot “fun” s’y cache. Je suis très attaché à l’aspect ludique du design. Nendo pourrait d’ailleurs être traduit par “Play-Doh”, une pâte à modeler colorée dont on s’amuse à modifier les formes.
Votre approche est-elle toujours aussi triviale ?
Elle s’élabore à partir de la vie quotidienne. Les gens ont tendance à rejeter ce qu’ils ne connaissent pas. La meilleure manière de se faire comprendre, en tant que designer, est d’imaginer des objets en pensant à une sensation dont chacun a déjà fait l’expérience. Le mouvement apaisant de la flamme d’une bougie, par exemple. Cette sensation, rejouée par un objet et fondée sur une expérience universelle et quotidienne, permet de créer un lien avec les gens. Le design ne changera pas le monde ni la société, mais il peut créer des liens, de belles émotions, et rendre la vie plus agréable. Et c’est déjà beaucoup.