9 nov 2018

Pourquoi faut-il aller voir l’exposition consacrée à Gio Ponti au musée des Arts décoratifs ?

Surnommé “Le Corbusier italien”, l’architecte-designer Gio Ponti (1891-1979) investit le musée des Arts décoratifs pour une première rétrospective en France retraçant six décennies de carrière à travers plus de 400 pièces, dont certaines inédites, magistralement mises en lumière par l’architecte français et académicien Jean-Michel Wilmotte, à l’origine du nouveau Lutetia. À découvrir sans plus attendre jusqu’au 10 février 2019.

Par Laura Catz.

Gio Ponti et Giulia Ponti, Via Dezza, Milan — 1957 © Gio Ponti Archives

À l’entrée principale de la nef, une dentelle de béton blanc rappelle la cathédrale italienne de Tarente (1970), œuvre monumentale de Gio Ponti, grand bâtisseur et esthète du XXe siècle aujourd’hui à l’honneur dans : Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer, première rétrospective jamais consacrée en France au créateur prolifique italien, organisée au musée des Arts décoratifs – MAD, à Paris, jusqu’au 10 février 2019. Une exposition à la hauteur du personnage honoré, dont la scénographie impeccable, imaginée par l’architecte français et académicien Jean-Michel Wilmotte, s’articule autour de trois séquences fortes invitant le spectateur à vivre une véritable immersion. 

 

Exposition 360 degrés pour une “œuvre-monde”

 

De lui sont surtout connus le gratte-ciel Pirelli de Milan, ville devenue son terrain de jeu favori, la villa Planchart à Caracas, le bureau Giordano Chiesa (1953) et la chaise SuperLeggera pour Cassina (1957), une des plus légères de son époque (1,7 kilo). Mais quarante ans après sa mort, Gio Ponti laisse un palmarès riche de plus de cent constructions et une cinquantaine de projets dans treize pays différents, des centaines d’objets, 2 500 lettres dessinées… À travers quelque 400 pièces – céramiques, verreries, mobilier, dessins, photos, journaux –, l’exposition esquisse l’œuvre immense d’un artiste transversal, capable de jongler avec tous les arts, curieux de nouveaux matériaux, de nouvelles façons de vivre et d’habiter. 

 

Seule manière de saisir l’œuvre de Gio Ponti dans sa globalité, l’exposition présente de façon chronologique la diversité des modes d’expression de ce maestro de l’art : architecture, design, décoration d’intérieur, céramique, mais aussi son attrait pour l’enseignement et l’écriture, qui s'est notamment traduit lorsqu’il dirigea la revue Domus, dépositaire de sa pensée. Un hommage qui se veut exhaustif sans être pour autant indigeste, et qui, en plus de montrer des pièces inédites, met en évidence la modernité d’un créateur qui a bouleversé le mobilier et l’architecture d’après-guerre à travers des perspectives ouvrant sur un nouvel art de vivre "made in Italy”. 

 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le succès arrive très tôt grâce aux arts de la table. Diplômé de l’École polytechnique de Milan, Giovanni Ponti, dit Gio, est nommé directeur artistique chez le porcelainier Richard Ginori en 1923 – deux ans après avoir ouvert son cabinet d’architecture à Milan. Il invente aussitôt de nouvelles formes, de nouveaux motifs et développe le mode de production en série à petits prix pour les grands magasins La Rinascente. Avec l’une de ses créations d’inspiration néoclassique, le vase Conversation classique, il remporte un grand prix lors de l’Exposition des arts décoratifs de Paris, en 1925. Une distinction qui lui ouvre alors les portes d’une carrière internationale. Dans les coulisses de la manifestation, il se lie d’amitié avec Tony Bouilhet, P-DG de la maison d’orfèvrerie française Christofle, qui lui offre de construire sa maison de campagne, baptisée l’Ange Volant, à Garches (Hauts-de-Seine). Un an plus tard, Ponti réalise alors sa première villa, la seule réalisée en France, pays avec lequel il gardera un lien privilégié.

Villa Planchart, Caracas, 1957 — Vue de la façade © Antoine Baralhé

“De la petite cuillère au gratte-ciel”

 

Fait rare pour un architecte, Ponti attache autant d’importance à l’extérieur du bâtiment qu’à l’intérieur. Outre le geste purement architectural, il anticipe les flux de circulation, les usages, le mobilier – qu’il veut élégant et fonctionnel – et la façon dont la lumière pénètre. Lumière naturelle qu’il “sculpte” avec brio, en perçant les façades de nombreuses fenêtres qui, grâce à ses interventions, semblent découpées au ciseau comme des feuilles de papier. Avec Ponti, le sol devient star. Pour recouvrir celui des locaux du journal autrichien Salzburger Nachtrichien, il déploie des dessins géométriques polychromes qui s’adaptent aux formes irrégulières des pièces. Ainsi, le sol vole la vedette à l’architecture et devient le véritable protagoniste de la construction.

 

À l’instar d’un Léonard de Vinci, cet artiste à la fibre humaniste prend en compte les dimensions techniques, philosophiques et esthétiques de son travail, considérant la maison non pas comme un espace de vie mais comme un art de vivre, reflet de sa vision holistique du monde. En ce sens, il établit systématiquement des passerelles entre l’architecture, l’ameublement et l’art, qu’il considère comme un élément essentiel dans le paysage domestique, non seulement parce qu’il peint, mais aussi parce qu’il croit à une beauté accessible à tous. Ainsi, il développe de nombreux petits meubles – vitrines, cabinets rétro-éclairés, caissons muraux habillés de miroirs – dédiés à la mise en valeur des œuvres d’art et des objets pour ses propres maisons et celles de ses clients. Certains de ses meubles sont d’ailleurs réédités par Molteni&C depuis 2012.

 

Si le slogan “de la petite cuillère au gratte-ciel” est initialement attribué à l’architecte italien Ernesto Nathan Rogers (1909-1969), il correspond parfaitement à Gio Ponti et à sa capacité à faire évoluer ses projets de l’infiniment petit à l’infiniment grand, avec le même souci du détail. Dans ses édifices, il dessine jusqu’aux rampes d’escalier et aux poignées de porte. Il invente les matériaux de surface qu’il fait réaliser sur mesure, tels les galets de céramique ornant les murs d’un hôtel de Sorrente, la terre mêlée de caoutchouc pour le salon Alitalia de New York ou encore les carreaux de céramique en pointe de diamants pour l’immeuble Montedoria, à Milan.

Gio Ponti, esquisse du sol du Salzburger Nachrichten. © Gio Ponti Archives
Gio Ponti, esquisse du sol du Salzburger Nachrichten. © Gio Ponti Archives
Chambre de l’Hôtel Parco dei principi, Sorrente, 1960 © Hôtel Parco dei principi Sorrento

Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer, jusqu’au 10 février 2019 au musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris Ier.