6 étonnants objets design consacrés par l’État français
Depuis 2020, face à la crise sanitaire, l’État français soutient les jeunes designers de l’Hexagone en organisant chaque année l’acquisition d’une cinquantaine de pièces contemporaines au Mobilier national, administration chargée de meubler les bâtiments officiels de l’État français. Ces créations innovantes – qui doivent déjà exister mais avoir été éditées en huit exemplaires maximum – seront réparties dans de hauts lieux de la République, des ministères à l’Élysée en passant par les mairies. Alors que l’établissement vient d’ouvrir les candidatures pour sa troisième campagne d’acquisition, découvrez 6 des 53 nouvelles pièces de design entrées au Mobilier national pour l’année 2021.
Par Matthieu Jacquet.
1. La plus minimaliste : le guéridon néobrutaliste du studio Figures
Des lignes pures et perpendiculaires, une symétrie sur quatre côtés, une forme ergonomique et harmonieuse… Dans le guéridon en chêne massif imaginé par le studio Figures, tout se joue sur l’équilibre et la verticalité. Basé entre Paris et la Bretagne, le jeune duo composé de Claire Cousseau, designer produit, et Gabriela Loirat, architecte de formation, décline dans une série d’objets des systèmes de construction très inspirés par le brutalisme, ses principes architecturaux de répétition, son épurement maximal et ses jeux sur les vides et les pleins. Formant un T, les planches de bois sont de même épaisseur que leurs interstices pour composer un objet aéré contrasté par les ombres et la lumière.
2. La plus insolite : le divan en papier bulles de Mr.&Mr.
Installé à Montpellier, le studio de création et d’édition Mr.&Mr. détourne les fonctions, techniques et matériaux du quotidien pour créer des objets étonnants. Un jour, Alexis Lautier et Pierre Talagrand ont l’idée farfelue de créer des sièges à partir des chutes de papier bulles qui encombrent leur atelier. Sur une structure rectangulaire en acier perforé, le duo empile une soixantaine de feuilles à bulles, intercalées avec du papier cristal pour les stabiliser et les alourdir – un principe d’empilement par couches qu’il pourra décliner sur commande avec du coton ou d’autres matériaux textiles. Ici, le tout est maintenu par des sangles et une couverture en velours bleu pour composer un divan qui porte bien son nom : “mille feuilles”.
3. La plus naturelle : la banquette en lin de Pauline Esparon
Adolescente, Pauline Esparon traverse un jour un champ de lin et récolte, instinctivement, des fils de la plante. Fascinée par leur texture proche des cheveux, la jeune Française en fera plus tard le cœur de sa pratique de designer textile. Des tapis aux canapés à franges, elle exploite les qualités de la fibre brute, qu’elle fait travailler localement, dans des ateliers de Normandie, non loin des champs de lin et des usines de teillage [qui trient les fibres utilisables de la plante], sans la filer ni la teindre industriellement. Afin de créer une banquette et un pouf, la designer utilise d’abord l’étoupe [les résidus du traitement des fibres] du lin pour rembourrer une structure en contreplaqué tapissée traditionnellement. Puis, elle tresse la fibre de lin sous forme de corde épaisse pour recouvrir cette structure. En résultent des objets moelleux blancs écrus, dont l’aspect et le toucher évoquent ceux d’un animal laineux.
4. La plus modulable : la chaise-paravent d’Anthony Guerrée
Lecteur assidu de Marcel Proust, Anthony Guerrée imagine en 2019 une série de dix sièges inspirées par La Recherche du temps perdu. À chacun, l’artiste affuble les caractéristiques d’un personnage du roman-fleuve. À la fois chaise et paravent, “Verdurin” s’inspire de Sidonie Verdurin, vieille bourgeoise parisienne qui tient salon : comme un clin d’œil au fauteuil de Beauvais sur lequel elle accueille ses convives, le designer imagine un siège modulable en cèdre massif à laquelle deux autres cadres sont rattachés par des lacets en cuir, dessinant une structure orthogonale. Son propriétaire peut ainsi l’ouvrir à sa convenance voire l’utiliser comme valet de pied pour poser ses vêtements, tandis que des boules en laiton martelé fixées sur le bois pourront être agrippées comme des poignées.
5. La plus écoresponsable : l’étagère 100% emboîtable de Lauriane Baumier et Aurélien Veyrat
Aujourd’hui, un designer écoresponsable doit réfléchir aux déchets produits par ses techniques et au caractère durable de ses matériaux. Mais à l’heure d’une production mondialisée, une autre donnée pèse lourd dans la balance : les modalités de transport et de montage. C’est justement ce qui motive la démarche d’Aurélien Veyrat, qui explore les possibilités d’optimisation des objets afin que leur déplacement demande le moins d’espace et d’outils possibles. Avec Lauriane Baunier, le designer imagine une étagère faite de deux plaques identiques percée d’ouvertures répétitives, qui peuvent s’emboîter comme un puzzle et se fixer sans clous ni vis. Pour la réaliser, les deux designers utilisent un “drop cake”, solide surcyclé à partir de chutes de papier, que la directrice artistique teinte pour obtenir un décor dégradé, du clair jusqu’au sombre.
6. La plus sensuelle : le bureau en bois sculpté des Ateliers BdM
Comment évoquer les courbes d’un corps dans la forme d’une table sans tomber dans le littéral ? Avec son bureau Lyrique produit par les Ateliers BdM, qu’il a fondés il y a dix ans, Bruno de Maistre apporte à ce défi une réponse subtile. Cet ébéniste d’art, appliqué à donner au bois une dimension sculpturale, est parvenu à couper dans le chêne des pieds effilés et des lignes sinueuses pour instiller dans l’objet volupté et légèreté, avant d’en peindre une partie en noir. Cet habillage partiel de la table semble y dessiner une robe qui dévoilerait quelques parties de corps, incarnées par l’apparition du bois clair. Touche d’exception de ce bureau, un de ses quatre coins est relevé, comme une feuille de papier en pleine envolée.