Bianca Bondi, la magicienne de l’art qui envoûte la Fondation Louis Vuitton
Du 22 septembre au 24 janvier, Bianca Bondi investit l’un des Open Spaces de la Fondation Louis Vuitton, lieux d’exposition dédiés à la création émergente. Elle crée un somptueux jardin d’intérieur où se dresse une fontaine en sel. Au sein de l’architecture de Frank Gehry, l’œuvre évolutive, nommée “DayDream“, se transforme au fil des saisons.
Par Mathilde Cassan.
Un havre de paix se cache au cœur du bois de Boulogne. À la Fondation Louis Vuitton, dans l’immense architecture de Frank Gehry, Bianca Bondi a transformé une salle, perchée au dernier étage, en un somptueux jardin d’intérieur aux murs roses. Au centre de la pièce, l’artiste a dressé une fontaine blanche composée d’une dizaine de vasques, jonchées de plumes et de coquillages, contenant de l’eau de plusieurs teintes tandis qu’une branche de mousse est suspendue au dessus de la fontaine. Les fleurs et une dense végétation prolifèrent aux quatre coins de l’espace répandant une odeur délicatement boisée. Un doux cocon où l’on déambule dans une sensation de flottement au son d’une mélopée captivante. Un rêve éveillé projetant le visiteur dans une atmosphère brumeuse et délicate invitant au repos et à la paix. “Ma première introduction à l’art a été la nature” déclare l’artiste originaire d’Afrique du Sud. Depuis lors, Bianca Bondi – âgée aujourd’hui de 35 ans – n’a cessé de créer des œuvres évolutives, dans lesquelles éléments organiques comme artificiels subissent une lente transformation.
La jeune femme a l’habitude de convoquer les cinq sens. À Tarbes, l’an dernier, dans l’immense espace du centre d’art Le Parvis, l’artiste avait reproduit quatorze mares salées au sol éclairées par une tendre lumière rose, tandis que des chants d’oiseaux résonnaient dans cette exposition aux allures de jungle où la végétation proliférait. Inspirée par une pratique occulte issue du Moyen Âge, elle métamorphosait le centre d’art en un lieu de divination apaisant et méditatif. C’est dans la continuité de cette précédente exposition, nommée “Still Waters”, que Bianca Bondi a conçu son installation à la Fondation Louis Vuitton. Elle désirait en faire le versant lumineux de ce voyage ésotérique. Tandis qu’une musique grave et enveloppante prend possession de ses oreilles, une odeur terreuse aux accents floraux captive le nez du visiteur. Chaque paramètre est minutieusement étudié, de la température de la pièce à son exposition à la lumière du soleil, car l’artiste a tiré parti des précieux avantages de l’espace de la Fondation, doté d’une belle hauteur sous plafond et d’un puits de lumière naturelle. Bianca Bondi crée ainsi une expérience poétique où le souvenir de l’œuvre compte davantage que l’œuvre elle-même : la synesthésie renforce l’aura symbolique de l’installation, rendant chaque instant plus palpable et l’inscrivant dans notre mémoire émotionnelle. L’artiste reproduit des biotopes où se mêlent la flore et la faune, l’inerte et le minéral, le vivant et le non-vivant au sein de capsules où elle fait proliférer la vie tels que ses Blooms, des boîtes en Plexiglas sous lesquelles elle conserve des objets domestiques rongés par le sel.
À la manière d’une artiste-alchimiste, comme le Franco-Marocain Hicham Berrada, qui filme des réactions chimiques sous verre ou la Française Mimosa Echard dont les œuvres relèvent d’une contamination entre objets personnels et divers liquides fermentés, Bianca Bondi laisse la chimie amener sa part d’imprévisible dans ses œuvres. À son arrivée à Paris, lors de ses études d’art à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, la jeune femme s’essaie à de nombreuses expériences scientifiques, et découvre, par hasard, le sel. Fascinée par ce matériau capable de mille métamorphoses, elle en a fait l’ingrédient central de sa pratique. Entre oxydation, cristallisation, solidification, elle réalise réactions chimiques de toutes sortes, guidée par son instinct et ses connaissances en chimie, qu’elle a acquises en autodidacte au cours de toutes ces années de pratique. Avec cet outil naturel et ultra-sensible, elle réalise une réaction chimique, dont elle ne contrôle pas les conséquences, à l’instar des vasques colorées de la Fondation Louis Vuitton, entièrement recouvertes de sel et dont les teintes évoluent chaque seconde, au rythme de l’absorption de l’eau de pluie. Bien loin de se considérer comme la propriétaire de ses œuvres, Bianca Bondi conçoit la création comme un don de la matière où ce n’est pas à l’artiste de décider ce que doivent devenir ses productions mais bien les matériaux organiques qui déterminent leur futur. La pratique de Bianca Bondi témoigne ainsi de son respect et sa confiance profonde dans le vivant et ses mutations. Telle une scientifique, l’artiste se contente de déterminer un protocole où elle donne naissance à ses sculptures, qu’elle traite comme des entités douées de sensibilité, nécessitant un soin particulier.
Ainsi, à quelques heures du vernissage à la Fondation Louis Vuitton, la jeune femme s’empresse de ‘nourrir’ sa sculpture, tout en constatant, surprise, ses dernières évolutions. Adepte de botanique et de magie, la jeune femme se passionne très jeune pour ces sujets : à l’âge de sept ans, elle lit avec attention manuels et romans et fonde même une bande de sorcières avec ses amies où elles préparent filtres d’amour et potions. C’est bien son art, désormais, qu’elle utilise comme une forme de magie. Si la jeune artiste nomme ses idoles – comme l’écrivaine américaine Rebecca Solnit – des “geeks de la nature”, elle-même semble en être une tant la jeune plasticienne, fascinée par les rites mystiques pré-modernes et extra-orientaux, renoue avec la spiritualité païenne pré-chrétienne des druides et des chamans. Ainsi, au Parvis à Tarbes, la scénographie évoquait la forme des marguerites Wicca, symboles de protection. À la Fondation Louis Vuitton, elle fait de l’espace une chapelle en l’honneur de la nature et de ses possibilités inouïes. Si les connaissances de l’artiste sont dignes d’une prêtresse des temps modernes, la jeune femme ne se perçoit pas comme une sorcière contemporaine, terme avec lequel elle préfère conserver ses distances. Profondément ancrée dans une tradition non-occidentale, la pratique de l’artiste témoigne aussi de son expérience en Afrique du Sud où elle s’est initiée, très jeune, aux expériences métaphysiques. À la Fondation Louis Vuitton, c’est à une expérience similaire que l’artiste convie le visiteur, baigné dans une douce lumière, l’invitant à se laisser porter, le temps d’un rêve éveillé, dans l’univers onirique d’une artiste magicienne.
Avec la participation de Jenn Hutt (son), Tara Msellati (compositions florales) et Yann Vasnier (parfums).
Bianca Bondi, “DayDream”, jusqu’au 24 janvier 2022 à la Fondation Louis Vuitton, Paris 16e.