4 sep 2020

Venice Biennale: Kris Lemsalu, the shamanic artist from Estonia

L’artiste estonienne Kris Lemsalu représente l’Estonie à la Biennale de Venise. Sa pratique reflète le même bricolage de références et de matériaux que celui qui irrigue son personnage polymorphe, interrespèce, transgenre et punk.

L’artiste Kris Lemsalu représente l’Estonie à la Biennale de Venise.

Il serait trop facile d’épiloguer sur Kris Lemsalu, artiste chamane venue des forêts profondes estoniennes. Personne ne peut nier la force incantatoire d’une pratique infusée d’obscures et fascinantes énergies. Et il n’y a qu’à la regarder. Créature aux sourcils lourdement ponctués de virgules noires, elle a le teint de porcelaine d’une poupée russe tandis que son rouge à lèvres se fait invariablement la malle sur la moitié du visage. Fantasque et insaisissable, elle disparaît dans un tourbillon de gaze fleurie d’où dépasse à peine une paire de baskets fluo, se fait une seconde peau d’un costume en nylon couleur chair d’où émergent mille et une protubérances qui font d’elle une nouvelle Vénus paléolithique, ou alors se promène le plus naturellement du monde affublée d’un chapeau-gants de ménage dont les doigts palpitent doucement à la manière d’une anémone de mer. En son absence, ses œuvres font tout aussi forte impression. Sa pratique reflète le même bricolage de références et de matériaux que celui qui irrigue son personnage polymorphe, interrespèce, transgenre et punk.

 

Kris Lemsalu, née en 1985 en Estonie, se forme en céramique à l’Estonian Academy of Arts de Tallinn et en design à la Danmarks Designskole de Copenhague. De ce parcours au plus proche de la fonctionnalité, elle tire une approche presque “politique” de ses œuvres, centrées autour de l’intégration plus harmonieuse de l’individu à son milieu. Dans ses sculptures, les parties en céramique finement ciselées et les drapés cousus à la main se mêlent à tous les rebuts que la société de consommation a laissés derrière elle : CD, fleurs artificielles, baskets et bottes en plastique, ballons, portes d’automobile, piécettes – la liste pourrait se prolonger à l’infini. Kris Lemsalu en tire des saynètes hantées par la présence passée d’un corps.

 

 

“Gently Down The Stream” (2017), Kris Lemsalu. Vue de l’exposition à la Fondation Cartier.

Dans Gently Down the Stream (2017), une barque à moitié recouverte de végétation gît sur un lit de ballons, deux paires de baskets pendant par-dessus bord. L’image est poétique, mais elle annonce surtout la catastrophe écologique imminente. L’humain s’est déjà absenté, ou alors il a muté, il a fait corps avec la nature, les animaux et les déchets synthétiques qui désormais se mêlent irréversiblement. Ici et là, un accessoire dérisoire rappelle sa présence évanouie, comme les squelettes de mains qui habitent des chemises repassées de frais (Angels Gone Missing, 2017). Ou alors, il ne reste qu’une pâle sirène de l’apocalypse, hoodie de céramique dotée de longues jambes bringuebalantes, perchée sur la coque d’une embarcation échouée (So Let Us Melt And Make Noise, 2017). Choisie pour représenter l’Estonie à la Biennale de Venise, Kris Lemsalu révélera à partir de mai son projet collaboratif Funtain. Une installation qui, promet-elle, délaissera les thèmes de mort et de fin du monde pour inviter à pousser les portes d’un monde “réel et enchanté”.

Artist Kris Lemsalu represents Estonia at the Venice Biennale.

It would be all too easy to bang on about a shamanic artist from the depths of the Estonian forest, but no one can deny the incantatory force of a practice infused with dark and fascinating energies. You just have to look at her. A creature with eyebrows painted on like black commas, she has the porcelain complexion of a Russian doll with lipstick invariably smudged over half of her face. Whimsical and elusive, she moves in a swirl of floral gauze with a pair of neon sneakers peeking out, or hides under a second skin of flesh-coloured nylon with countless protuberances that makes of her a new Palaeolithic Venus, or nonchalantly strolls through the world in a washing-up-glove hat whose fingers softly palpitate like a sea anemone. When she’s not physically present, her works make an equally strong impression. Her practice reflects the same bricolage of references and materials as her polymorphous, interspecies, transgender punk personnage. 

 

Born in 1985, Kris Lemsalu initially studied ceramics at the Estonian Academy of Arts in Tallinn before moving on to design at the Danmarks Designskole in Copenhagen. From this rather practical education she has developed an almost “political” approach centred around the harmonious integration of the individual with their surroundings. Her objects mix finely sculpted ceramic parts and hand-sewn draping with all the detritus of consumer society: CDs, fake flowers, plastic baskets, rubber boots, balloons, car doors, small change – the list is endless. Each of her pieces is a narrative haunted by the past presence of a body.

“Gently Down The Stream” (2017), Kris Lemsalu. View from the exhibition at the Fondation Cartier.

In Gently Down the Stream (2017), a rowboat half-covered in vegetation lies on a bed of balloons, with two pairs of sneakers hanging limply overboard – a poetic image that announces imminent ecological disaster, since humanity is already absent, or has mutated, becoming one with nature, where animals and synthetic waste now irreversibly mingle. Here and there, a derisory object reminds us of man’s evaporated presence, like the skeleton hands hanging from freshly ironed shirts in Angels Gone Missing, or the ghostly siren of the apocalypse, formed by a ceramic hoodie with long dangling legs, that perches on the hull of a stranded boat in So Let Us Melt And Make Noise (both 2017). For the Venice Biennale, where she’s representing Estonia, Lemsalu is preparing Funtain, a collaborative installation which, she promises, will abandon death and the apocalypse to celebrate a “real and enchanted” fantastical world.