Takashi Murakami, Daniel Arsham : les stars de l’art s’exposent sous le soleil de Turquie
Murakami, Arsham, Elmgreen & Dragset ou encore Othoniel : cet été, douze artistes de la galerie Perrotin présentent des sculptures au Bodrum Loft, hôtel haut de gamme situé dans la ville turque éponyme. L’occasion de découvrir une destination touristique idyllique s’ouvrant de plus en plus à l’art contemporain international.
Par Matthieu Jacquet.
Un étrange personnage orange vif se découpe dans les hauteurs de Bodrum. Perché sur un toit à flanc de colline, ce buste masculin dépourvu de visage semble surveiller, tel un gardien, la baie paradisiaque de cette ville balnéaire du sud-ouest de la Turquie. Devant les facettes polygonales qui définissent son volume, les connaisseurs d’art contemporain reconnaîtront immédiatement la signature de l’artiste français Xavier Veilhan, dont on peut régulièrement rencontrer les sculptures d’animaux et êtres humains géométries aux quatre coins du globe. Ici, son œuvre postée à l’entrée du Bodrum Loft, hôtel haut de gamme perché au-dessus de la Méditerranée, accueille ses visiteurs et sa clientèle, et introduit l’exposition “French Delights” qui s’y tient jusqu’à la mi-septembre. De Veilhan à Paola Pivi, en passant par Takashi Murakami et Elmgreen & Dragset, douze artistes contemporains présentent en effet tout l’été leurs sculptures dans les espaces extérieurs du domaine. Et ont tous la particularité d’être représentés par un grand nom du marché de l’art international : la galerie Perrotin.
Daniel Arsham, Jean-Michel Othoniel, Elmgreen & Dragset : douze sculpteurs exposent au Bodrum Loft
De la terrasse du restaurant au bar en contrebas, les œuvres des artistes se dévoilent comme dans une chasse aux œufs. Près des tables profitant d’une vue imprenable sur le littoral, les couleurs la mer baignée par le soleil éblouissant se mirent dans les boules miroitantes d’une œuvres de Jean-Michel Othoniel, tandis qu’apparaissent non loin une réplique de voiture miniature en bronze de l’Américain Daniel Arsham, criblée de cristaux, et un pion d’échec géant signé Gregor Hildebrandt. Lorsque l’on suit les chemins boisés pour descendre vers la mer, des tournesols de Laurent Grasso se discernent à peine de la végétation, tandis qu’une petite fille verte dotée d’immenses branches à la place des jambes s’y apparente à une nymphe des forêts, produit de l’imaginaire de la plasticienne Klara Kristalova. Jalonnant la route les visiteurs jusqu’à la plage privée, un poisson et un phoque en verre de Jean-Marie Appriou confirment le parti pris de cet accrochage : chaque pièce a été savamment agencée en résonance avec son environnement plutôt que composer un parcours thématique. “J’ai souhaité avant tout capter l’imagination des visiteurs en leur faisant appréhender différentes manières de faire de la sculpture, autant que de de l’exposer et en faire l’expérience”, annonce Selcan Atligan, fondatrice de l’agence Artsa Consultancy and Project à l’origine de cette proposition inédite. Réalisées ces dernières années et toutes en vente au sein de cette exposition, les dix-huit œuvres réunies ont été piochées dans la collection déjà existante de Perrotin – laissant parfois sur sa faim un public qui espérait y découvrir des productions et créations in situ.
Bodrum : une destination touristique propice à l’art contemporain
Jadis port des Grecs lors de l’Antiquité, Bodrum est devenue pendant la seconde moitié du 20e siècle une station balnéaire très appréciée pour ses paysages, son climat méditerranéen et sa vie nocturne, au point de se voir attribuer le surnom de “Saint-Tropez turque”. Il n’était donc qu’une question de temps avant que l’art fasse son entrée dans cet écosystème florissant entretenu par des touristes aisés, où se rencontrent aujourd’hui yachts, luxueuses résidences secondaires et hôtels cinq étoiles. Après avoir invité l’été dernier la Berlinoise et pointue König Galerie à présenter elle aussi des sculptures au Bodrum Loft, Artsa Consultancy and Project a vu plus grand avec Perrotin, mais aussi plus grand public. La galerie fondée à Paris, qui dispose aujourd’hui d’espaces à Hong Kong, Dubai, New York ou encore Shanghaï, a pu faire bénéficier la ville de son réseau international de collectionneurs et personnalités du monde de l’art. Car si l’exposition – en accès libre – a attiré depuis son ouverture plusieurs milliers de curieux, elle représente surtout une aubaine pour les acheteurs en quête de propositions artistiques originales. Avec un pop-up store installé par Perrotin pour l’occasion, mais aussi le restaurant de l’hôtel et sa plage, “French Delights” offre en effet une expérience complète et dépaysante – holistique, dirons certains – dans un cadre idyllique, bien loin du traditionnel white cube et du rythme parfois épuisant des grandes métropoles de l’art contemporain.
De Hauser & Wirth à Gagosian, un format très apprécié des collectionneurs
Ce type d’expérience a déjà prouvé son succès commercial chez les grands noms du marché : l’été dernier, la galerie White Cube présentait par exemple les sculptures d’une douzaine de ses artistes dans le vaste jardin d’une demeure historique du Cheshire, tandis que Gagosian a investi à plusieurs reprises la Casa Malaparte, superbe villa sise sur l’île de Capri, avec des expositions de Mark Grotjhan et Rudolf Stingel. Sur ce point, Hauser & Wirth s’impose en modèle : depuis sa création, la méga-galerie suisse a ouvert deux espaces à St. Moritz et Gstaad, stations de ski fréquentées par une clientèle haut de gamme qui peut désormais régulièrement y découvrir des sculptures à flanc de montagne, mais aussi une adresse dans le décor rural du comté du Somerset en Angleterre, ou encore, plus récemment, un immense espace sur l’une des petites îles de Minorque dont toute la surface est désormais exploitée pour ses expositions – autant d’adresses que la présence de librairies et restaurants transforme en véritables destinations. À leur image, Selcan Atligan espère que leur initiative annuelle fera des émules et participera à valoriser la ville turque : “l’art rassemble et nourrit intellectuellement, et des régions d’une taille similaire ont déjà été transformé par de grands événements artistiques, de Bâle à Maastricht”, explique-t-elle. Pour l’heure, l’intérêt pour Perrotin et ses artistes est déjà palpable : si la moitié des œuvres exposées au Bodrum Loft a déjà été vendue à ce jour, plusieurs visiteurs ont même réclamé que la galerie ouvre un espace en Turquie. On peut toujours compter sur son fondateur pour faire l’événement : à l’hôtel, lors d’une grande soirée d’ouverture comme il en a le secret, Emmanuel Perrotin a proposé aux invités des loukoums parfumés à l’odeur de son espace parisien. Le titre de l’exposition “French Delights” aura en tout cas été bien illustré.
“French Delights”, jusqu’au 10 septembre 2023 au Bodrum Loft, Bodrum, Turquie.