3 mar 2021

Scandale, érotisme et féminisme : une mini-série d’Arte révise les grands classiques de la peinture

Dans sa mini-série « Merci de ne pas toucher » diffusée actuellement sur Arte, l’historienne de l’art Hortense Belhôte pose en quelques minutes un nouveau regard, aussi amusant qu’érotique, queer et féministe, sur plusieurs chefs-d’oeuvre de la peinture classique.

Manet et Le Caravage, Rubens et Michel Ange… Les œuvres de ces grands artistes ont été si souvent vues et décryptées, scrutées au plus près par tant d’historiens de l’art pour en déceler les secrets, qu’il semblerait presque impensable de les admirer avec un regard neuf. C’est pourtant bien cette mission que s’est donnée l’historienne de l’art Hortense Belhôte dans sa mini-série en dix épisodes intitulée Merci de ne pas toucher et diffusée sur Arte depuis le 23 février dernier. Car en effet, le défi ne semble pas si impossible lorsque l’on considère que l’écrasante majorité des regards portés sur l’art ont été, des siècles durant, posés par des hommes, longtemps transmis par l’autorité des livres, des cours magistraux et conférences, jusqu’aux cartels d’expositions. On n’attendrait donc peut-être que ceux de jeunes historiennes portées par des formats inédits pour venir contrebalancer ces visions univoques.

 

 

Passant en revue dix chefs-d’oeuvres de la peinture classique, dont entre autres la Vénus à son Miroir de Diego Vélasquez, l’Olympia d’Édouard Manet, Léda et le Cygne de Véronèse et Le péché originel de Michel Ange, Hortense Belhôte offre une approche bien loin des lectures conventionnelles auxquelles nous a habitués l’histoire de l’art pendant des siècles : celle-ci n’est ni chronologique dans son fond, ni logique dans sa forme. Ainsi, pour nous délivrer son hypothèse selon laquelle l’Olympia de Manet – le plus souvent identifiée comme portrait d’ne courtisane – pourrait bien être finalement la représentation d’un couple de lesbiennes s’adonnant aux plaisirs charnels un dimanche après-midi, l’historienne choisit de se déguiser en entraîneuse de foot et de s’asseoir au beau milieu d’un terrain. Plus tard, maquillée de paillettes et habillée de sequins, Hortense Belhôte apparaît face à la glace dans les loges d’un cabaret pour commenter la Vénus à son Miroir de Diego Vélasquez. Au-delà de leur caractère amusant et loufoque, les mises en scènes pop et contemporaines imaginées par l’historienne cassent ainsi les codes d’une lecture souvent autoritaire et (trop) sérieuse de l’art pour l’appréhender de manière ludique et originale.

Hortense Belhôte dans « Merci de ne pas toucher »

On n’avait encore jamais vu quelqu’un analyser La Laitière de Johannes Vermeer, debout au milieu d’une salle d’escalade, sangles et cordes autour du bassin. Mais la mise en scène volontiers humoristique employée par l’historienne n’enlève rien au sérieux de ses arguments : dans ce décor pour le moins surprenant, Hortense Belhôte s’attarde sur le caractère érotique de cette célèbre huile sur toile de 1658, connu de tous à l’époque de sa réalisation mais peu à peu éclipsé par sa consécration puis sa réutilisation plus récente par une marque de yaourts lui empruntant jusqu’à son nom. La petite chauffeuse de bois peinte aux pieds de la laitière et utilisée jadis pour sécher les sous-vêtements, n’est alors rien d’autre qu’un indice évident de la chaleur ressentie par cette dernière, tandis que les carreaux de faïence, qui ornent le mur de la cuisine, représentent un pèlerin et Cupidon… soit un mari en déplacement et le feu d’un nouvel amour. Sans parler de la goutte de lait coulant délicatement de la cruche – illustration équivoque du liquide séminal.

« L’origine du monde » de Gustave Courbet revu par Hortense Belhôte dans « Merci de ne pas toucher »

Dans l’épisode sur L’origine du monde de Courbet, Hortense Belhôte se montre allongée dans un salon d’esthéticienne en train de se faire épiler les aisselles et le maillot, afin d’expliquer le tabou régnant traditionnellement en peinture autour de la représentation du sexe féminin dénudé et retracer l’histoire du tableau. Conservée depuis sa réalisation en 1866 au sein de collections privées, loin de tout regard public, la toile ne déclenche la polémique qu’en 1995, lorsque le psychanalyste Jacques Lacan en fait don au musée d’Orsay. Découverte par le grand public, l’œuvre fait le buzz “comme la dernière sex tape de Kim Kardashian” précise l’historienne, utilisant ainsi une analogie ultra-contemporaine à la pop culture pour expliciter son propos aux jeunes générations, avant de rappeler combien l’exposition publique du sexe féminin est encore largement débattue aujourd’hui. 

 

 

Au lieu d’adopter la posture clichée de l’historienne savante et pince-sans-rire, flânant dans les salles vides d’un musée et s’arrêtant devant quelques œuvres pour en délivrer des interprétation sans débord, Hortense Belhôte n’hésite pas à utiliser les codes et les références d’aujourd’hui pour faire d’un cours rébarbatif sur la peinture classique un objet ludique au format court – chaque épisode dure environ quatre minutes – plus proche de sketchs loufoques dont on ressortirait, comme par magie, un peu plus savant. Ni ennuyeuse, ni chronophage, la série de l’historienne prouve combien innover dans la forme et s’affranchir des conventions peut permettre au message de fond de laisser une empreinte plus durable.

 

 

« Merci de ne pas toucher » par Hortense Belhôte, diffusé sur Arte depuis le 23 février 2021.