Frida Kahlo, Gustav Klimt, Van Gogh : 3 œuvres explosent les records chez Sotheby’s

Par Camille Bois-Martin.

Trois records inédits en une seule soirée de vente chez Sotheby’s

La semaine dernière, Sotheby’s créait l’évènement. Au sein de l’iconique bâtiment Breuer, récemment rénové pour accueillir les headquarters new-yorkais de la maison, les commissaires-priseurs de l’institution frappaient de leur marteau des records de vente historiques. Ces sommes astronomiques dépassaient pour certaines les 230 millions de dollars pour une seule œuvre d’art – et signant ainsi la fin d’une année riche pour la maison d’enchères, dont le total des collections d’art moderne s’élève à 797,1 millions de dollars seulement pour la semaine passée.

“Si nous étions assez confiants quant au succès de ces ventes, nous ne nous attendions pas à une telle ampleur. En mes 25 années chez Sotheby’s, j’ai rarement vu des semaines comme celle-ci !”, s’enthousiasme Grégoire Billault, vice-président responsable de l’art contemporain de la maison.

Sotheby’s s’offre de nouveaux locaux sur la Madison Avenue

Parmi les facteurs qui ont propulsé les enchères de la semaine dernière, ce dernier évoque notamment l’emménagement récent de la maison au sein d’un emblématique bâtiment situé sur la Madison Avenue. “Nos nouveaux locaux ont ouvert un nouveau chapitre. J’avais l’habitude de faire des présentations dignes d’un musée : maintenant, nous en avons un ! Il y avait une file d’attente dans la rue pour découvrir les œuvres, une grande excitation qui a accompagné ces ventes… Et puis, tous nos clients vivent dans le quartier où séjournent dans les grands hôtels voisins”, ajoute-t-il.

Trois trésors de l’histoire de l’art ont, au cours de ces enchères, particulièrement enthousiasmé les enchérisseurs, chacun signés de Gustav Klimt, de Frida Kahlo et de Vincent Van Gogh. Cachés depuis plusieurs décennies au sein de trois prestigieuses et confidentielles collections – de la collection Laudeur (dont tous les lots ont trouvé acquéreur) à la collection Cindy et Jay Pritzker (qui a dépassé de 15 millions de dollars son estimation) et l‘Exquisite Corpus, dont le nom du propriétaire est resté anonyme –, ils refont ainsi surface avec fracas.

Un tableau de Klimt adjugé 236 millions de dollars

La première – et plus grande – surprise de ces enchères organisées par Sotheby’s à New York est la vente du Portrait d’Elisabeth Lederer de Gustav Klimt. Si les toiles du peintre autrichien font souvent grand bruit sur le marché de l’art (on pense au Portrait d’Adele Bloch-Bauer II, adjugé 87,9 millions de dollars en 2006), ce portrait dépasse désormais tous ses précédents records.

Estimé à 150 millions, le tableau réalisé entre 1914 et 1916 a en effet été adjugé 236,4 millions de dollars. Une somme vertigineuse, qui hisse l’œuvre comme la plus chère de Klimt, mais aussi au rang de seconde peinture la plus chère au monde après le Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, acquis pour 400 millions de dollars chez Christie’s en 2017. “C’est un tableau qu’on ne voit jamais, et qu’on ne reverra sans doute plus”, considère Grégoire Billault. Surtout, cette toile possède une importance toute particulière dans la carrière de Gustav Klimt, qui y dédia plus d’un an et demi afin de dresser le portrait de la femme de son plus grand collectionneur de l’époque.

La prestigieuse collection de Leonard Lauder

Une commande importante donc, parmi le nombre très restreint d’œuvres de l’artiste en circulation. “Il faut également noter qu’à la fin du 20e siècle, les peintres de la Sécession viennoise étaient délaissés au profit des mouvements impressionnistes ou cubistes, que l’on considérait alors comme plus radicaux et intéressants. Il a fallu du temps avant que Klimt ne s’impose sur le marché de l’art”, ajoute le vice-président et responsable de l’art contemporain de Sotheby’s.

Fidèle à l’esthétique du peintre viennois, cette peinture figure également au sein d’une collection extrêmement importante : celle de Léonard Lauder, disparu en juin dernier, à l’origine de l’empire cosmétique Estée Lauder. “Si son ensemble ne comporte que 23 œuvres, il fait rêver le marché de l’art avec des pièces de qualité muséale. Surtout, Lauder était un des plus grands donateurs de New York. Il a payé la construction du bâtiment du Whitney Museum et il a offert sa collection de tableaux cubistes au Metropolitan. Acheter une œuvre du collectionneur, c’est comme s’inscrire dans une partie de sa riche histoire”, ajoute Grégoire Billault.

Frida Kahlo devient l’artiste femme la plus chère au monde

Puis est arrivée la surprise du tableau de Frida Kahlo. “Les tableaux de Frida Kahlo sont rarissimes sur le marché de l’art”, nous rappelle d’emblée le spécialiste. “D’abord car l’artiste présente un petit corpus, mais aussi car ses tableaux sont interdits de sortie de territoire du Mexique et considérés comme des trésors nationaux. Le peu qui circule en dehors du pays se trouve dans de grands musées en Europe.” Une opportunité extraordinaire pour Sotheby’s, donc, de pouvoir présenter une œuvre de la peintre mexicaine au sein de ses enchères. Lévitant au milieu d’un ciel nuageux, l’artiste se représente allongée dans un lit, apparemment endormie et surplombée par un squelette, dont les membres sont entourés d’explosifs…

Réalisée en 1940, cette toile puissante fait, comme souvent dans son travail, référence au tragique accident de bus qui, en 1925, lui brise la colonne vertébrale et l’immobilise plusieurs mois. “C’est loin d’être l’œuvre la plus facile à appréhender de Frida Kahlo” nous glisse Grégoire Billault. “À la différence de son portrait que nous présentions en 2021, cette mise en scène s’adresse plutôt aux initiés de l’artiste.”

Un autoportrait saisissant

On ignore ici si la peintre est en train de rêver ou si elle s’imagine déjà morte, mais la beauté quasi surréaliste de ce tableau intitulé El sueño en fait une œuvre saisissante. Et surtout peu connue du grand public : elle était conservée depuis 45 ans au sein d’une seule et même collection…

D’ailleurs, la toile se trouve dans la collection dite “Exquisite Corpus” de Sotheby’s – un ensemble anonyme de peintures surréalistes, au sein desquelles le travail Frida Kahlo reste quelque peu anachronique. “Les enchères étaient folles !”, poursuit le vice-président du département art contemporain. “C’était une vraie bataille entre trois grands collectionneurs, dont deux qui sont restés accrochés jusqu’à la fin pour obtenir cette toile. Je ne sais pas quand je serai à nouveau témoin d’un tel évènement.” Une bataille qui a fait officiellement de Frida Kahlo l’artiste femme la plus chère au monde, avec un tableau adjugé 54,6 millions de dollars (estimé entre 40 et 60 millions de dollars). Un nouveau record.

Une nature morte de Vincent Van Gogh dépasse largement ses estimations

Dernier point d’orgue de cette impressionnante soirée de vente aux enchères Sotheby’s : une nature morte de Vincent Van Gogh, réalisée en 1887. Sur un fond bigarré et nourri de motifs, l’artiste dépeint des piles de livres, dont ni les titres, ni les auteurs, ni les phrases ne sont lisibles. “C’est l’objet qui intéresse Van Gogh ici”, estime Grégoire Billault. “De la même manière qu’il a peint des vases ou sa chambre, le livre devient ici son personnage principal. Selon moi, cette nature morte représente aussi sa passion pour la littérature et pour l’écriture. Je pense notamment aux sublimes lettres qu’il écrivait à son frère Théo…”

Immersif, le tableau attire surtout pour le nom du maître qui l’a signé, qui figure aujourd’hui parmi les peintres – si ce n’est le peintre – les plus célèbres de l’histoire de l’art. “Il nous plonge dans son quotidien, dans une composition extrêmement humble, mais tellement captivante” poursuit le spécialiste. Adjugée 62,7 millions de dollars, la peinture dépasse ainsi de 20 millions son estimation et s’érige comme la nature morte la plus chère du maître néerlandais, devant le Vase with Daisies and Poppies passé sous le marteau il y a onze ans, également chez Sotheby’s.

De même que pour le portrait signé par Klimt, la nature morte de Van Gogh fait partie d’une riche collection, mise en vente suite à la disparition récente de ses propriétaires, Cindy et Jay Pritzker (à l’origine du groupe Hyatt). Autant de noms illustres et des chefs-d’œuvre qui ont secoué le marché de l’art en réalisant, donc, ces nouveaux exploits. “Je n’ai jamais vu dans une même session un chef-d’œuvre de Frida Kahlo, un chef-d’œuvre de Van Gogh et un chef-d’œuvre de Klimt”, conclut ainsi Grégoire Billault, à l’issue de cette semaine riche en records.