Qui est Simon Johannin, jeune écrivain à succès et photographe de la littérature ?
Après le succès de ses deux premiers romans, L’Été des charognes (2017) puis Nino dans la nuit (2019), co-écrit avec sa compagne Capucine Johannin, Simon Johannin pourrait bien être prochainement récompensé pour son recueil de poésie, Nous sommes maintenant nos êtres chers. La pré-sélection du jeune Français pour la finale de la deuxième édition du prix de l’Instant, organisée par la libraire Sandrine Babu, offre l’occasion de revenir sur le parcours d’un écrivain novateur.
Par Alexandre Parodi.
La vie de Simon Johannin n’a pas été un long fleuve tranquille. Né dans le Tarn en 1993, au pied de la montagne Noire, celui qui deviendra plus tard écrivain quitte le domicile parental à 17 ans pour rejoindre l’Université de cinéma de Montpellier, où il rencontre Capucine Spineux, sa future épouse. Ensemble, ils désertent rapidement les bancs de la faculté et rejoignent la prestigieuse école d’art La Cambre à Bruxelles, où Simon Johannin fait parallèlement l’expérience de divers métiers alimentaires – caissier, vendeur de jouets, intérimaire… –, qui ne lui ôtent en rien sa vocation artistique. Au contraire, c’est finalement dans l’écriture que se concrétisent ses velléités créatives. De passage dans sa région natale pour y réaliser une série photographique, il prend conscience du potentiel romanesque de cette campagne reculée, presque exotique pour un lecteur citadin. En 2017, c’est ce décor même qu’il dépeint dans L’Été des charognes, roman publié à l’âge de 23 ans aux éditions Allia, et qui provoque un engouement médiatique rare pour un primo-romancier. Fort de ce succès, l’auteur ne tarde pas à écrire son second ouvrage Nino dans la nuit, cette fois-ci à quatre mains avec sa femme Capucine Johannin. Deux ans après la sortie de ce roman, c’est désormais pour son recueil de poésie Nous sommes nos êtres chers que concourt Simon Johannin, finaliste au prix de l’Instant, organisé pour la deuxième année consécutive par la libraire Sandrine Baudu. D’un livre à l’autre, de la prose au vers, Simon Johannin arpente explore une génération, la sienne, jeune et déjà précaire, pleine d’élan et déjà freinée, dans un langage juste où chaque mot convoque sa charge d’images et de sensations. Numéro revient sur la jeune carrière d’un écrivain prometteur.
1. L’Été des charognes, un premier roman bucolique et nauséabond
La fourrière évoque le point d’arrivée des voitures embarquées par les dépanneuses pour ne pas encombrer la voie publique. Mais La Fourrière, c’est aussi le nom – de mauvaise augure – du petit village où grandit le protagoniste de L’Été des charognes, premier roman de Simon Johannin paru en 2017 : “un bout de goudron qui finit en patte d’oie pleine de boue dans la forêt” sur lequel subsiste une poignée de maisons, dont la sienne. D’apparence simple et directe, l’écriture orale voire argotique de ce texte à la première personne nous projette dans l’esprit d’un gamin que l’ennui démange. Pour le briser, rien de tel que des bêtises plus ou moins graves, comme la lapidation d’un chien, décrite dès les premières pages : “ je divague et ça me fait faire des conneries ”, dit le garçon qui nous prête son regard et ses mots pour découvrir son monde, un territoire familier de l’auteur où la sauvagerie et la cruauté des animaux déteignent sur les humains. Un passage du roman met par exemple en scène les enfants s’amusant sur un tas de brebis mortes, que la chaleur fait gonfler jusqu’à exploser : “ C’était trop marrant on y passait des heures jusqu’à nous aussi être imprégnés de cette odeur de charogne ”. Les odeurs de putréfactions abondent, mais au milieu de cette pourriture, la joie jaillit. Loin de se faire misérabiliste, Simon Johannin montre comment ces personnages désœuvrés tuent la monotonie quotidienne en s’amusant de leurs conditions d’existences modestes.
2. Nino dans la nuit, une écriture à quatre mains
De l’adolescence rurale à la jeunesse citadine, Simon Johannin affronte avec son deuxième roman, Nino dans la nuit, d’autres puanteurs, celles de la ville parisienne et de ses inégalités. Dans ce texte énoncé lui aussi à la première personne, Nino Paradis, le protagoniste, raconte la période de galère où il toucha le fond. Sa vie est alors en dents de scie : les humiliations, dans des petits boulots où les petits chefs sont rois, contrastent avec les moments de fête explosifs où lui et ses amis s’oublient dans le vacarme des boîtes, une pastille colorée sur chaque langue. ‘‘J’ai la tête, les yeux et la bouche qui crament, j’ai avalé des braises qui me font des trous partout ”, décrit le personnage dans l’un de ces états d’ivresses où la vie semble provisoirement retrouvée. Heureusement, Nino n’est pas seul dans ce parcours. Sa copine Lale l’accompagne dans ce cycle de débrouilles et de trafics., et leurs corps sont tout ce qu’il y a de chaud dans le taudis officieusement loué à un marchand de sommeil, qu’ils occupent toute une partie du roman. Cette fois-ci, Simon Johannin écrit son livre à quatre mains avec sa femme, Capucine. Douée d’un sens du récit, cette dernière travaille à doter le roman d’une scénarisation effrénée, faisant du livre un véritable page-turner que l’on parcourt sans s’arrêter.
3. Renouveler l’image publique de l’écrivain
Invités à parler de ses romans dans différentes émissions culturelles télévisuelles, Simon Johannin est aussi capable de créer ses propres moyens de communication, renouvelant la représentation conventionnelle de l’intellectuel et de l’écrivain dans les médias. C’est ainsi que, pour faire la promotion de Nino dans la nuit, l’auteur lui-même endosse le costume son personnage Nino dans un clip vidéo signé par CONTREFAÇON, groupe de quatre musiciens et vidéastes, qui prolongent par leur proposition visuelle l’univers sous-terrain du roman. Aussi effréné que le roman, la courte vidéo suit le jeune homme – mannequin à ses heures perdues – dans une errance nocturne, prise entre les percussions rapides d’un beat techno psychédélique et les flashs saccadés de lumières.
4. Dresser le portrait des marges
Tandis que le protagoniste de L’Été des charognes évolue dans une campagne où l’on ne se lave pas pour économiser l’eau, en ville, Nino et Lale doivent fouiller dans les poubelles des grands magasins pour se nourrir. Avec ses deux ouvrages, Simon Johannin s’intéresse aux populations précaires et aux formes de marginalités contemporaines, qu’elles soient sociales ou géographiques, sujets qui connaissent par ailleurs un intérêt marqué dans la littérature française depuis les années 2010. Le succès de la trilogie Vernon Subutex de Virginie Despentes, entre 2015 et 2017 est symptomatique de ce déclic. A travers le déclassement d’un disquaire de Paris, ruiné par la dématérialisation de l’industrie de la musique, expulsé de son appartement, obligé de vivoter à travers les amis qui veulent bien l’héberger, l’auteure aborde le thème sensible de la précarité en ville. En 2018, le prix Goncourt est remis à Nicolas Mathieu pour son roman Leur enfants après eux, s’installant cette fois-ci dans le paysage rural d’une vallée désindustriallisée de Moselle dans les années 90, où se forge la jeunesse d’Anthony. Le roman social trouve ainsi de nouveaux échos chez ces écrivains, qui profitent pleinement de la fiction pour enregistrer une partie du réel invisible et donner une place à tous les destins “infâmes” – littéralement sans gloire, du latin fama. Incivilisés voire incultes, vagabonds sans perspective d’insertion, ces personnages sont souvent le contraire de de ceux qui les liront, et c’est sans doute pour cette raison qu’ils passionnent autant ceux qui les inventent.
5. De la prose au vers
Déjà récompensé en 2017 pour son premier roman par le prix littéraire de la Vocation accordé à L’Été des charognes, Simon Johannin concoute aujourd’hui à la deuxième édition du prix de l’Instant pour son premier recueil de poésies. Écrit en vers libre – vers ne respectant pas un nombre de syllabes régulier –, Nous sommes maintenant nos êtres chers prolonge les travaux romanesques de Simon Johannin en continuant à piocher dans le thème inépuisable de l’adolescence et de la jeunesse. Griffonnés sporadiquement sur une période de presque dix années, ces poèmes exaltent l’une des caractéristiques essentielles de son style : depuis le projet photographique à l’origine de son premier roman, le jeune homme n’écrit pas sans images. Ici, l’image fait la narration : “Le vertige / Quand il pisse du haut des dix étages / Une autre fois je l’ai arrêté / Alors qu’il enjambait la fenêtre”. Dans une situation pittoresque, un personnage irrévérencieux préfère, plutôt que de se jeter dans le vide, y jeter sa “pisse”. Ce vers pourrait à lui seul résumer l’une des lignes de conduite défendues par Simon Johannin : en prise avec l’existence, préférer l’effronterie à l’abattement.
La remise du prix de l’Instant aura lieu 17 juin 2021, à l’hôtel Le Swann, à Paris.