22 nov 2023

Pourquoi un Picasso a-t-il encore battu un record aux enchères ?

Le 8 novembre dernier, un nouveau tableau de Pablo Picasso dépassait des records d’enchères chez Sotheby’s New York. Adjugée 139,4 millions de dollars, Femme à la montre (1932) est devenue à cette occasion la seconde toile la plus chère jamais vendue du maître espagnol. Décryptage de ce succès, éclairé par Aurélie Vandevoorde, commissaire-priseuse et Head of Department Impressionist & Modern Art.

Femme à la montre de Pablo Picasso : un tableau émouvant aux couleurs électriques


Sur un fond bleu intense, une silhouette féminine se tient de profil, le regard azuré et une montre dorée à son poignet droit. Intitulée Femme à la montre, cette toile réalisée par Pablo Picasso en 1932 détonne au sein de son œuvre, tant par ses couleurs électriques que son abondance de détails. Modèle récurrent de ses tableaux de cette même année, l’amante du peintre espagnol Marie-Thérèse Walter est ici représentée par des lignes courbes et des formes cubiques dont émane une “sensualité émouvante”, selon Aurélie Vandevoorde, la commissaire-priseuse de la vente du mercredi 8 novembre chez Sotheby’s, New York, où l’œuvre a atteint la somme astronomique de 139,4 millions de dollars – soit environ 130 millions d’euros. Une certaine tendresse qui contraste avec le bleu roi du second plan, et rapproche le modèle des Madones de la Renaissance italienne. 

 

Surnommée la “muse dorée” par les spécialistes du peintre catalan, Marie-Thérèse Walter est au centre de nombreuses peintures de Pablo Picasso réalisées en 1932, telles que Le rêve ou La lecture, dont l’intensité n’égale pas, toutefois, celle de la palette chromatique de La Femme à la montre. Ni même la précision dont fait preuve le maître espagnol, qui apporte au décor de cette peinture une attention toute particulière, de l’enroulement de l’accoudoir aux clous du dossier en passant par les ongles de son amante ou encore par la montre, symbole de leur liaison que Picasso lui avait offerte cette année-là. Un tableau surprenant qui, selon la spécialiste de Sotheby’s, concentre “toute l’essence de l’art de Picasso”, de la déconstruction cubiste du corps à son sujet, directement lié à sa vie intime.

1932 “annus mirabilis”  pour Pablo Picasso

 

Chef-d’œuvre incontestable par ses qualités stylistiques, La Femme à la montre voit le jour lors d’une année charnière pour le maître espagnol : en 1932, Pablo Picasso est au sommet de sa carrière, célèbre notamment pour son Autoportrait en bleu (1901) et ses Demoiselles d’Avignon (1907), depuis considérée comme un manifeste cubiste. À cette période, il acquiert le château de Boisgeloup, entre Paris et Rouen, où il installe son atelier et abrite sa liaison avec la jeune Marie-Thérèse Walter, qui posera donc pour nombre de ses toiles.

 

Du fait de cette accumulation de portraits chargés de sensualité, 1932 sera surnommée “année érotique” pour l’artiste lors d’une exposition organisée en 2017 à la Tate Modern de Londres. Mais cette année représente aussi une période marquante pour la carrière de l’artiste, qui organise alors sa première rétrospective à la galerie Georges Petit puis à la Kunsthaus de Zurich, et signe la première édition d’un catalogue raisonné de son œuvre. Un succès inédit qui amènera les critiques de l’époque à qualifier cette année d’“annus mirabilis” (année des miracles) pour le peintre, offrant ainsi à La Femme à la montre une importance toute particulière dans sa trajectoire artistique.

Picasso, maître des records d’enchères d’art moderne

 

Selon Aurélie Vandevoorde, le format de La Femme à la montre, particulièrement imposant pour un portrait – 1,30 mètres de haut et 97 centimètres de large –, son contexte biographique et le “perfectionnisme rare” avec lequel elle a été peinte font de la mise aux enchères de l’œuvre un évènement majeur dans l’histoire posthume de l’artiste. 

 

La réapparition de la toile sur le marché, cinquante-cinq ans après son achat par la collectionneuse d’art américaine Emily Fisher Landau en 1968, fait également de cette vente un moment historique. Adjugé 139 millions de dollars, le portrait de Marie-Thérèse Walter devient donc la seconde œuvre la plus chère du maître espagnol, après Les Femmes d’Alger (Version « O ») (1955), partie à 179 millions de dollars – 165 millions d’euros – en 2015, et se hisse devant la Femme au béret et à la robe quadrillée, un autre portrait de l’amante de Picasso réalisée à cette période (dans lequel se cache d’ailleurs Dora Maar), qui atteignait en 2018 les 50 millions d’euros (40 millions d’euros).