Paris Gallery Weekend : la critique d’art Ingrid Luquet-Gad dévoile son parcours artistique dans la capitale
En 2014, la galeriste Marion Papillon initie le Paris Gallery Weekend, un parcours sur plusieurs jours guidant les visiteurs au sein des galeries d’art parisiennes. Le projet se renouvelle plusieurs fois par an et propose désormais 7 parcours originaux par quartiers et animés par des rencontres, vernissages, goûters et autres événements conviviaux. Pour sa nouvelle édition du 3 au 6 juin prochains, le Paris Gallery Weekend invite des acteurs du monde de l’art à raconter au fil d’un texte leur parcours personnel au sein de cette nouvelle programmation, publié chaque jour par Numéro jusqu’à l’événement. Aujourd’hui, découvrez la visite de la critique d’art Ingrid Luquet-Gad.
Par Ingrid Luquet-Gad.
Autant l’avouer d’entrée de jeu : je n’avais, avant d’être invitée à m’y pencher, jamais foulé le sol du 8e arrondissement. Ou alors, par effraction, comme un civil franchissant, à son insu, le tracé d’une zone frontière. Il s’agira alors, en premier lieu, d’un exercice de psychogéographie et d’une investigation guidée par ce questionnement : est-il possible d’arpenter un territoire avec la carte mentale d’un autre ? Et plus précisément, dans le cas qui nous concerne : comment le milieu géographique urbain, ses espaces, ses ambiances et ses variantes affectives, influent-ils sur la perception ? Car il en va bien, à l’échelle du parcours, d’une typologie singulière de lieux de monstration, mobilisant différemment le corps dans l’espace tout autant que l’attention dans le temps.
Certaines galeries du parcours, celles qui possèdent plusieurs lieux, auront déjà été arpentées ailleurs en d’autres contextes. C’est le cas de la Galerie Perrotin, qui présente un ensemble de petits formats au mur ou en volume (dont Alain Jacquet, Gregor Hildebrandt, Hans Hartung ou Xavier Veilhan), ou encore de la Galerie Almine Rech qui consacre son exposition solo “More Days” au peintre post-pop – ou “zombie figuratif ”, pour le dire avec un terme d’époque – Brian Calvin. Là, la décélération opère. Dans ces lieux plus intimistes et pour ainsi dire confinés, les échos du dehors filtrent moins. Alors, pour regarder les œuvres, on s’assoit. Le brouhaha conversationnel des trottoirs bondés, l’arpentage à grandes enjambées de salles d’expositions décloisonnées ont été laissés derrière nous. S’impose également un parallèle avec un second “espèce d’espaces”, pour sa part plus contextuel et moins attendu. Si la Galerie Applicat-Prazan présente à la fois dans son espace et en ligne (dans le cadre de la section OVR : Pioneers d’Art Basel) Jean Fautrier, figure de l’art informel, c’est aussi, de manière générale, un certain paradigme virtuel, fréquenté ces derniers mois, que l’on y retrouve matérialisé : l’esprit des salles de présentation en ligne – ou “online viewing rooms” –, qui incrustent invariablement un banc vide face aux œuvres, prend ici forme physique. Voilà que la contemplation domestique, seul·e à seul·e devant son écran, perdure en l’absence même de wifi.
Dans le cas de la Galerie White Cube, nichée depuis février 2020 au troisième étage d’un appartement cossu, le format fait mouche. Celle-ci présente une sélection d’œuvres sur papier de Julie Mehretu, actuellement à l’honneur au Whitney Museum à New York. Connue pour ses peintures monumentales, qui déclinent un dédale de lignes chorales rhizomiques, l’américaine-éthiopienne présente un ensemble de dessins récents, ses “états de rêve”, mis en regard de ses aquatintes ainsi qu’une série dessins sur papier calque de ses débuts, ces derniers recontextualisant les sources cartographiques (on y revient) de ses compositions abstraites plus récentes. La matérialité en sourd, la sensualité également. Il en va de même pour l’exposition monographique “From Inside” de Kiki Smith à la Galerie Lelong &co. Deux œuvres des années 90, une figure masculine sombre, une autre féminine translucide, scandent l’espace et rappellent la tonalité de sa récente présentation à la Monnaie de Paris en 2019. Mais ce sont les dessins, issus du mitan de la même décennie, que l’on remarque particulièrement, et dont on s’approche tout près afin d’en percevoir le souffle infime : déclinaisons frêles à peine esquissées de parties du corps féminin, nervurées comme le sont les tissus anatomiques.
Enfin, et en guise de point d’orgue à cette dérive partielle et partiale, la trop rare Carla Accardi est mise en regard avec une autre consœur souvent passée sous silence, Dadamaino à la Galerie Tornabuoni Art. Dans “Entre signe et transparence. Deux artistes italiennes aux frontières de l’abstraction”, un cheminement autour du signe décliné dans l’espace à la manière de lignes d’écriture – ou de proto-code –, les deux peintres italiennes continuent ici un dialogue confidentiel, amorcé au sein de l’exposition “Elles font l’abstraction” qui se tient simultanément au Centre Pompidou. Ici aussi, les œuvres, resserrées autour du corpus des années 50 à 70, s’offrent sous un jour doucement feutré, tout en faisant déjà signe vers ces salles muséales, où l’on renoue avec le regard panoramique usuel. Ce qui mène, en ouvrant vers ces horizons familiers traversés des échos de l’extérieur, également vers la clôture du parcours : le nôtre, parsemé de ces quelques points de chute ainsi esquissés, comme autant de repères cartographiques placés à pointe levée sur un papier calque mental.
La nouvelle édition du Paris Gallery Week-end aura lieu du 3 au 6 juin 2021 dans les galeries parisiennes.