14 fév 2023

Nathalie Du Pasquier, Memphis Group’ cofounder who became a painting star

Née en France en 1957, Nathalie Du Pasquier cofonda en 1981 le célèbre groupe Memphis, qui a marqué l’histoire du design, avant de se tourner vers la peinture, portée par le désir constant de s’aventurer hors des sentiers battus.

Son exposition Speed Limit l’an passé à la Galerie Anton Kern, New York, et la carte blanche qui lui fut donnée pendant tout l’été à la villa Savoye à Poissy, en banlieue parisienne (après sa grande rétrospective au musée d’Art contemporain de Rome), ont une fois encore montré la qualité particulière de son œuvre, et sa magistrale capacité à la mettre en scène. Cofondatrice au tout début des années 80 du groupe de designers Memphis, qu’elle perfusa d’influences africaines, cette Italienne d’adoption installée à Milan, née en France en 1957, a sans cesse su se réinventer et faire de l’audace le principe de son œuvre, qu’elle orienta finalement vers la peinture. À 65 ans, Nathalie Du Pasquier a assurément effectué une traversée héroïque des modes et des fluctuations esthétiques de plusieurs décennies, cherchant résolument la liberté.

 

 

Nathalie du Pasquier : une artiste avide de voyage et d’aventures

 

 

C’est son éclatant sourire qui s’impose tout d’abord, puis son regard bleu azur. “Je peins par plaisir, pas pour finir dans les journaux”, déclare-t-elle pour signifier que les interviews la rebutent et qu’en général elle les évite. Elle n’assiste pas non plus toujours aux vernissages de ses propres expositions, pas par coquetterie ni parce qu’elle se voit comme une diva, mais tout simplement parce qu’elle n’y prend aucun plaisir et, probablement, s’ennuie. L’ennui, les chemins tracés d’avance, elle leur tourna le dos dès ses 18 ans. Ses études terminées, elle dit au revoir à sa mère, historienne de l’art, et à son père, virologue (“Il regardait des trucs de très près, au microscope”, dit-elle), laissa derrière elle la ville de Bordeaux où elle avait grandi, et partit en Afrique, au Gabon, avec un groupe d’amis. “C’était le début de la vie : il est toujours différent de ce que vous attendiez”, souligne-t-elle. Elle voyagea aussi en Inde, en Australie, mit finalement le cap sur Rome, puis Milan où, en 1979, elle trouva un job au Salon du meuble sur un stand de mobilier tyrolien. Elle y rencontra par hasard la designer Martine Bedin, avec qui elle était à l’école à Bordeaux, et George Sowden – qui deviendra son compagnon.

Nathalie Du Pasquier, “Untitled” (2019). Huile sur toile, 100 x 150 cm. image courtesy of the artist and Anton Kern Gallery, New York.

La fondation de Memphis, groupe de designers phare des années 80

 

 

Ce designer britannique travaillait avec Ettore Sottsass (1917-2007), designer d’une autre génération, qui, en 1981, rassembla un groupe de créateurs qui entendaient bien ruer dans les brancards du modernisme et donner au design fantaisie, couleurs et formes incongrues. “Je suis entrée dans ce groupe de manière tout à fait classique : j’étais la petite amie de l’un des designers”, commente-t-elle. Elle participa ainsi à l’aventure extraordinaire de ce groupe, Memphis, qui changea assurément les habitudes du design et de l’architecture – même si, elle le rappelle, Memphis fut rapidement, “détesté par les institutions liées à l’architecture, très mal vu par les gens importants, et très bien vu par Karl Lagerfeld et le monde de la mode”. Parce qu’elle pratiquait le dessin, elle fut chargée du “dessin des surfaces” : celles des meubles (qui – sacrilège ! – combinaient hardiment le marbre, le laminé plastique et le chrome) ou celles des tissus. C’est elle qui instilla les touches africaines et pop qui caractérisent les motifs du style Memphis, souvenir de cultures pour lesquelles elle ne perdit jamais sa fascination. On peut encore aujourd’hui vérifier leur implacable efficacité dans l’exposition consacrée aux années 80 au musée des Arts décoratifs à Paris (jusqu’au 16 avril).

 

Elle douta, dès le milieu des années 80, de la convergence de son destin avec le design (“Je n’avais pas choisi de faire du design et m’étais laissé entraîner dans tout ça. J’étais un peu énervée par le personnage que l’on avait construit de moi, de fille un peu mignonne, française”) et lorsque le groupe prit fin en 1987, choisit la peinture. Elle inventa peu à peu les formes de son travail futur, peignant des natures mortes, représentant des compositions d’objets dans son studio. “Je peignais des choses incroyablement normales. Les relations qui se créaient entre ces choses m’intéressaient. J’aménageais des ‘territoires’ sur des tables, dans une démarche qui avait un peu à voir avec l’architecture.” Dans ses peintures, on repère la trace des compositions méticuleuses de Giorgio Morandi – et une palette colorée qui  trouve manifestement ses origines ailleurs. Dans le texte “My Influences” signé de sa plume et publié en septembre 2015, elle énumère les sources de son travail : “Les miniatures persanes, Ingres, Giotto, Piero della Francesca, les temples indiens, Sánchez Cotán, Sottsass, El Lissitzky, Morandi, Giorgio De Chirico et Savinio, les miniatures françaises du Moyen Âge, Le Corbusier, la forme des fleurs, les couleurs des poissons exotiques, la beauté du monde animal, les imprimés japonais, les albums de Tintin et Milou…”, et, se hâte-t-elle d’ajouter, “bien d’autres choses.

 

 

Des débuts discrets dans la peinture

 

 

Sa peinture ne connut pas le succès en France : “Je n’intéressais personne du milieu de l’art, et le milieu de l’art de m’intéressait pas spécialement”, note-t-elle. Elle put toutefois la développer sans urgence, et dans une certaine forme de tranquillité et de concentration, rencontrant dès la fin des années 80 un marchand de Hong Kong qui s’éprit de son œuvre, la diffusa et la vendit loin de Paris. “À l’époque, Hong Kong n’était pas du tout un endroit à la mode, et ce marchand n’avait pour clients que des Chinois riches qui aimaient la peinture pour des raisons traditionnelles. Hong Kong est une ville pleine de bruit, pleine d’argent ; les gens aimaient le calme qu’il y avait dans mes tableaux. L’un des collectionneurs qui m’a acheté beaucoup de peintures là-bas s’était fait conseiller par un expert du feng shui. On était totalement dans un autre domaine.

Nathalie Du Pasquier, “Untitled” (2021). Huile sur toile, 100 x 150 cm. image courtesy of the artist and Anton Kern Gallery, New York.

À la fin des années 2000, elle entreprit la création de constructions en bois, en trois dimensions, dans lesquelles elle disposait des objets et des formes, qui servirent de modèles à ses peintures. Ces “formes” sont comme des objets de design dépourvus de fonction, libérés de l’usage, livrés à leur simple enveloppe formelle et à leur densité. Les peintures qui en découlent sont abstraites, mais aussi figuratives puisqu’elles sont des natures mortes  – mettant en scène des objets inconnus, aux contours étranges et sans fonction autre que d’être représentés. Toutefois, une peinture n’est jamais uniquement ce qu’elle représente, et  celles de Du Pasquier ont cette chose en plus, que rien n’explique, et qui finit par obséder celui qui les regarde.

 

 

La rétrospective à la Kunsthalle de Vienne : l’exposition de la consécration

 

 

Cette exposition a changé ma vie”, assure-t-elle en évoquant la rétrospective que le commissaire Luca Lo Pinto lui consacra à la Kunsthalle de Vienne en 2016. Plus d’une centaine d’œuvres, de la période Memphis à la période contemporaine, y furent rassemblées, mettant au jour la formidable inventivité et la cohérence de son œuvre. Elle marqua aussi, semble-t-il, le point de départ d’une véritable science de la mise en scène, cette fois appliquée à l’exposition elle-même, et qui fait aujourd’hui la grande singularité de son travail. “Je pense toujours aux relations entre les choses, qui sont pour moi beaucoup plus importantes que la mise en valeur d’un seul objet”, explique-t-elle, résumant parfaitement le sentiment suscité par ses expositions. Elle y construit parfois des sortes de boîtes habitables, peintes comme des tableaux géométriques, et sait comme personne découper les espaces : ceux – en deux dimensions – des murs, qu’elle flanque de motifs, comme ceux, en trois dimensions, entre lesquels circule le spectateur. En effet, ses scénographies ne semblent pas répondre à l’unique préoccupation de mettre en valeur des objets, mais aussi à celle de créer des “moments”, des situations complexes et sans mode d’emploi. Elles s’opposent clairement aux habitudes de la société de consommation, elles sont des expériences dont on ne sort pas indemne et dont la liberté reste en mémoire longtemps après qu’on les a quittées.

 

L’exposition viennoise, qui voyagea ensuite à l’Institute of Contemporary Art de Philadelphie, attira sur cette œuvre, qui s’était développée dans une certaine discrétion, l’attention de grandes galeries aux quatre coins du monde, qui donnent désormais à son œuvre une visibilité qu’elle ne connut jamais avec autant d’éclat. Nathalie Du Pasquier, qui n’en demandait pas tant, s’en réjouit et s’en amuse : “C’est fabuleux, à 60 ans, d’avoir été découverte comme ça. En vieillissant, on devient de plus en plus ambitieux…

 

 

Nathalie Du Pasquier est représentée par la Pace Gallery, la Anton Kern Gallery et la galerie Greta Meert.

Nathalie Du Pasquier, « Untitled” (2021). Huile sur toile, 100 x 150 cm. Nathalie Du Pasquier, image courtesy of the artist and Anton Kern Gallery, New York.
Nathalie Du Pasquier, « Untitled” (2021). Nathalie Du Pasquier, image courtesy of the artist and Anton Kern Gallery, New York.

Her 2022 show Speed Limit at New York’s Anton Kern Gallery and her carte blanche last summer at Le Corbusier’s Villa Savoye outside Paris (which came in the wake of a big retrospective at the MACRO in Rome) once more demonstrated the particular quality of her oeuvre and her genius in staging it. Cofounder, in the early 80s, of the design group Memphis, which she perfused with African influences, this naturalized Italian who was born in France, in 1957, has constantly reinvented herself and made audacity the guiding principle of her work, which has primarily been a question of painting. Before finding fame, Nathalie Du Pasquier, today aged 65, heroically traversed changing fashions and aesthetic tendencies with a constant goal: artistic freedom.

 

 

Nathalie du Pasquier : an artist thriving on pleasure and new adventures

 

 

Her dazzling smile gets you first, then her deep-blue gaze. “I paint for pleasure,” she declares, “not to get myself in the press,” immediately making clear her dislike of inter- views, which she usually avoids. She doesn’t always show up to her openings either, not through false modesty or because she thinks she’s a diva but simply because she doesn’t enjoy them and, most likely, is bored. Indeed boredom, and the paths of conformism, were options she rejected very young: on leaving school at 18 she bade farewell to her art-historian mother and virologist father (“He looked at things really close up in a microscope,” she says), as well as Bordeaux where she had grown up, and sailed to Gabon with a group of friends. “That was when life began,” she recalls. “It never turns out how you imagined it.”

 

She also travelled to India and Australia, then lived briefly in Rome, before moving to Milan, in 1979, where she found work at the Salone du Mobile on a Tyrolean furniture stand. There, by chance, she ran into the designer Martine Bedin, who she’d been at school with in Bordeaux, and another designer, Georges Sowden, who would become her romantic partner. Sowden had moved from his native England to work with Ettore Sottsass (1917–2007), a designer from another generation who, in 1981, launched a group that sought to upset the apple carts of Modernism and introduce fun, fantasy and colour to Italian furniture design.

Nathalie Du Pasquier, “Untitled” (2019). Huile sur toile, 100 x 150 cm. image courtesy of the artist and Anton Kern Gallery, New York.

Founding Memphis, major design group from the eighties

 

 

“I joined the group in a classic way – I was the girlfriend of one of the designers,” she says dryly of the extraordinary Memphis adventure, which had a lasting impact on design and architecture, even if, as she reminds us, the group and its work were “hated by architectural institutions and appealed very little to important people and a lot to Karl Lagerfeld and the fashion world.” Because she drew, she was assigned pattern design for the furniture – which (shocking!) blithely combined marble, laminate and chrome – and the fabrics, and it was therefore she who introduced the signature African motifs and Pop touches that characterize the Memphis style, her homage to cultures that still fascinate her today. The implacable impact of her motifs can clearly be seen in the show of 1980s work currently on view at Paris’s Musée des Arts décoratifs (until 16 April).

 

In the mid-80s, doubting she was destined for design (“I hadn’t chosen design and let myself get dragged into it. I was annoyed by the character I’d been turned into, the pretty French Memphis girl”), she turned to painting after Memphis fell apart, in 1987. Little by little she invented the forms of her future oeuvre, painting still lifes of everyday objects she found in her studio. “I painted things that were extremely quotidian. What interested me were the relationships between things. I created ‘territories’ on table tops, in a way that has something to do with architecture.” While her compositions bear the meticulous trace of Giorgio Morandi, her colours clearly come from elsewhere. In “My Influences,” published in September 2015, she lists her sources: “Persian miniatures, Ingres, Giotto, Piero della Francesca, Indian temples, Sánchez Cotán, Sottsass, El Lissitzky, Morandi, Giorgio de Chirico and Savinio, French medieval miniatures, Le Corbusier, the form of flowers, the colours of exotic fish, the beauty of the animal world, Japanese prints, Tintin and Milou, and,” she immediately adds, “many other things.”

 

 

The artist’s understated beginnings into painting

 

 

Her painting made no impact in either Italy or France. “No one in the art world was interested in me, and the art world didn’t particularly interest me either,” she recalls, which is no doubt what allowed her to develop her work in her own time, within a space of tranquility and concentration. She was helped by a Hong Kong dealer who, seduced by her paintings in the late 80s, sold them far from the chatter of Paris and Milan. “At the time, Hong Kong was distinctly unfashionable, and his only clients were rich Chinese who appreciated painting for traditional reasons. Hong Kong is a noisy commercial city; people liked the quiet they found in my pictures. One client who bought a lot of my work had taken advice from a feng shui expert. It was a whole other world.”

Nathalie Du Pasquier, “Untitled” (2021). image courtesy of the artist and Anton Kern Gallery, New York.

In the late noughties, she begun making wooden constructions, receptacles for objects and forms, which she then took as a subject for her paintings. Like design objects, but freed from function and use, these creations become pure form, all surface and density. The paintings they engender are at once abstract and figurative, since they are still lifes of strange, unfamiliar objects whose only function is to be represented. Nonetheless, a painting is never just what it represents, and Du Pasquier’s work has that something extra which can’t be explained and which ends up obsessing the viewer.

 

 

Nathalie Du Pasquier’s retrospective at Vienna’s Kunsthalle: a worldwide recognition

 

“That show changed my life,” she says of the retrospective that Italian curator Luca Lo Pinto offered her at Vienna’s Kunsthalle in 2016. Over 100 works, from the Memphis period to the present day, were brought together, showcasing the fantastic inventiveness and coherence of her oeuvre. The exhibition also seemed to be the departure point for an extraordinary science of staging and mise en scène, this time applied to the show itself, which today has become the defining characteristic of her work. “I always think about the relationships between things, which for me are much more important than showcasing a single object,” she explains, perfectly encapsulating the sensation one takes away from her exhibitions.

 

Sometimes she builds small cabins, painted like geometric pictures, and is a master at organizing space, both two-dimensional – the walls, which she decorates with motifs – and the three dimensions in which the gallery-goer moves about. Indeed these staged environments are not just a question of highlighting the relationship between objects but are also about creating “moments,” complex situations for which there is no instruction booklet. They clearly go against the habits of consumer society and are experiences that durably mark the viewer, their freedom reverberating in the memory for a long while after.

 

The Vienna show, which afterwards travelled to Philadelphia’s Institute of Contemporary Art, garnered interest from big commercial galleries all over the world, bringing Du Pasquier’s oeuvre, which she had developed away from the limelight, a visibility and an éclat it had hitherto been denied. The artist, who never expected as much, is both delighted and amused. “It’s fabulous to be discovered like that at 60. As you get older, you become more and more ambitious…”

 

 

Nathalie Du Pasquier est représentée par la Pace Gallery, la Anton Kern Gallery et la galerie Greta Meert.