21 déc 2018

Marrakech, nouvelle place forte de l’art contemporain ?

Fraîchement désignée “Capitale africaine de la culture 2020” dans le cadre du sommet Africités 2018, la ville de Marrakech accueillera la première édition de la Marrakech Art Week (MAW) du 26 décembre 2018 au 5 janvier 2019 initiée par la maison française de vente aux enchères Artcurial. À cette occasion, plusieurs musées, fondations et galeries d'art proposeront une programmation spéciale pour mettre en avant des artistes de la scène locale. 

 

 

Par Laura Catz.

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Exposition “Les Marocains” de Leila Alaoui.

Le musée Yves Saint Laurent  

 

Au cœur du musée berbère du Jardin de Majorelle sera présentée l’exposition “Les Marocains”, l’un des derniers projets de la photographe franco-marocaine Leila Alaoui, décédée à l’âge de 33 ans des suites de ses blessures après l’attentat de Ouagadougou le 15 janvier 2016. L’artiste met en valeur la pluralité culturelle marocaine à travers une trentaine de portraits de marocains, et parmi eux des inédits. “Puisant dans mon propre héritage, j’ai séjourné au sein de diverses communautés et utilisé le filtre de ma position intime de Marocaine de naissance pour révéler, dans ces portraits, la subjectivité des personnes que j’ai photographiées”, expliquait-elle à propos de cette série. Ces images avaient d’ailleurs fait l’objet d’exposition à la Maison européenne de la photographie à Paris entre novembre 2015 et janvier 2016.

 

Trois ans après sa mort, le musée Yves Saint Laurent et la Fondation Leila Alaoui célèbrent celle qui a grandi à Marrakech et côtoyé enfant Yves Saint Laurent. Après un diplôme en photographie obtenu à l’Université de New York, Leila Alaoui parcourt l’Europe et les États-Unis avant de se réinstaller au Maroc en 2008 et d’effectuer régulièrement des allers-retours entre Paris, Marrakech et Beyrouth (Liban) où elle a ouvert, avec son compagnon Nabil Canaan, “la Station”, un centre artistique pluridisciplinaire dans une usine désaffectée. 

Les objets exposés et issus des voyages de Patti Birch.

Le musée Dar El Bacha

 

Le musée Dar El Bacha présente l’exposition “Voyages de Patti Birch” dédiée à cette philanthrope américaine et citoyenne du monde qui a enrichi la scène culturelle de Marrakech. 200 objets issus de la collection, que Patti Birch a constituée au fur et à mesure de ses voyages jusqu’à son décès en 2007, seront exposés. Six sections permettront de classer ces œuvres : “introduction”, “morceaux choisis de l’art islamique”, “l’art asiatique”, “l’art précolombien”, “regards sur le patrimoine judéo-marocain” et “l'art africain”.

 

C’est au département d’art islamique au Metropolitan Museum of Art de New York que l’Américaine Patti Birch a fait ses classes. Elle a ensuite réalisé une véritable campagne de restauration du minbar (chaire à prêcher) de la mosquée  Koutoubia exposé en ce moment au Palais Badii à Marrakech puis s’est intéressée à Dar El Bacha (demeure seigneuriale construite au début du 20e siècle) et lieu dans lequel elle souhaitait créer un musée des arts avec des collections à caractère universel.  

L’exposition à la Fondation Farid Belkahia.

La Fondation Farid Belkahia

 

Une exposition sur l’artiste contemporain Farid Belkahia et l’École des beaux-arts de Casablanca sera présentée à la Fondation Farid Belkahia. Elle mettra en lumière la quête d’une modernité artistique au Maroc de l’artiste, pionnier de l’art contemporain maghrébin et directeur de l’École des beaux-arts de Casablanca de 1962 à 1974. S’il a fréquenté l’école des Beaux-arts de Paris de 1954 à 1959, c’est à Milan et Prague qu’il poursuit sa formation jusqu’en 1966. L’artiste met en valeur l’art populaire berbère et cherche à présenter les liens entre l’artisanat et un nouveau style de peinture marocaine.

 

Décédé en 2014, celui qui est connu pour ses œuvres peintes sur les cuirs (peau d’agneau­) et ses compositions parsemées de symboles traditionnels et de pigments naturels reste une figure de proue de l’art contemporain maghrébin. La Fondation compte également réaliser un catalogue raisonné de l’artiste – qui consiste à répertorier toutes ses œuvres – et dont la publication sera prévue pour 2020 aux éditions Skira à Paris. 

Sans titre 1958 par Seydou-Keita.

Artcurial 

 

En clôture de cette semaine de l’art, la ville ocre accueille la 3e vente aux enchères de la prestigieuse maison française, qui se déroulera le 30 décembre prochain. Une vente exceptionnelle en quatre vacations. La création contemporaine africaine est mise à l’honneur dans la première, African Spirit, où sont exposées une quarantaine d’œuvres emblématiques de l’art contemporain africain, tels les clichés en noir et blanc du Malien Seydou Keïta, les toiles surréalistes et colorées du Congolais Chéri Samba, les fontes en bronze du sculpteur sénégalais Ousmane Sow ou encore les œuvres murales composites d’Ibrahim Mahama.

 

En parallèle, Artcurial offre un voyage autour de la Méditerranée, avec la section De Constantinople à Tanger, une collection privée italienne portant un regard rare sur l’orientalisme italien. Un hommage au courant emblématique du 19e siècle, dont la peinture aux tons chauds s’attache aussi bien à représenter l’exotisme de la vie intime des harems que les guerriers héroïques ou encore les villes d’un monde mythique fantasmé. L’exposition regroupe ainsi une quarantaine de tableaux orientalistes de maîtres italiens mais aussi français, tels que Hermann Corrodi, Alberto Pasini, Théodore Frère, Eugène Girardet ou encore Étienne Dinet.

 

À côté des œuvres orientalistes, la section Majorelle et ses contemporains, regroupant une dizaine d’œuvres de l’artiste français qui avait élu domicile à Marrakech, mais aussi d’autres artistes tels Henri Emilien Rousseau, Rodolf Ernst et Antoine-Louis Barye. La maison de vente a également voulu rendre hommage, pour la première fois, à l’art marocain en proposant la section Made in Morocco, qui met en lumière les artistes modernes marocain Chaïbia, Gharbaoui, Glaoui et Farid Belkahia.  

La série “Je ne t’oublierai jamais” de Carolle Benitah.

Galerie 127 de Marrakech

 

Prodigieuse vitrine de la photographie contemporaine,  la galerie 127 présente “Portrait(s) de femme(s)”, une exposition 100% féminine qui regroupe les œuvres réalisées par des femmes photographes. Parmi elles, l’artiste Carolle Benitah, qui se mue en archéologue pour exhumer des photos d’albums de famille dénichées dans les brocantes ou les marchés. Des clichés qu’elle numérise et imprime ensuite pour y ajouter des feuilles d’or à l’image de sa série Je ne t’oublierai jamais. Un travail de fouille lié au souvenir et à la perte qui réinvente l’identité des visages sur les photos.

 

À découvrir aussi, l’artiste Fatima Mazmouz et sa série Casablanca mon amour. Photographe, plasticienne et performeuse, elle crée de véritables passerelles entre l’intime et le champ politico-culturel notamment grâce à ses recherches sur les notions de genre, de corps et d’identité. Si le ventre de Casablanca l’a vu naître, elle interroge le corps de la grossesse et de la femme avec celui de la mère patrie depuis 2009.  

Sans titre 2009 par Mahi Binebine.

Musée national du Tissage et du Tapis

 

Élément emblématique de la culture marocaine, le tapis s’expose au musée national du Tissage et du Tapis, anciennement baptisé musée Dar Si Said dans “Créations d’hier et d’aujourd’hui”. Une exposition qui met en relief la richesse et la diversité du tissage marocain pour finalement l’envisager en tant que véritable jalon social et historique. On y découvre ainsi les tapis artistiques réalisés par la Manufacture Tuftart (1re maison de tapis marocains faits main), qui s’inspirent des toiles colorées de Mohamed Melehi, l’un des fondateur de l’École de Casablanca, des silhouettes claires presque fantomatiques de Mahi Binebine, des peintures végétales de Yamou, de l’art naïf de Chaabia, des matériaux naturels mis en beauté par Farid Belkahia, des sculptures polychromes d’Abdelkrim Ouazzani ou encore l’abstraction lyrique de  Mohamed Bennani. Objet de décoration, le tapis se mue alors en véritable objet d’art.

 

Rural ou citadin, l’authenticité de ce savoir-faire se manifeste à la fois dans les supports utilisés (velours, soie, brocart, cuir…) que dans les produits obtenus (caftans, sacs, babouches, handira, jellaba…). Se dessine alors l’histoire du tapis, dont la forme, la couleur et les motifs changent en fonction des régions, des époques et des tribus. Si le tapis rural, qui provient des montagnes de l’Atlas, du Haouz et de l’Oriental, se distingue par une laine rouge brique, des dessins floraux et géométriques, le tapis citadin, caractéristique de la région de Rabat, Médjouna et Casablanca, offre bien souvent une forme rectangulaire avec un encadrement de plusieurs bandes timbré d’un médaillon octogonal au centre.