13 mai 2019

Les mille images psychédéliques de Memo Akten

Sorte de kaléidoscope mystique, Deep Meditations assure un voyage introspectif. Constituée de milliers d’images, l’œuvre de l’artiste turc Memo Akten suit le modèle du “machine learning”, un champ d’étude de l’intelligence artificielle fondé sur l’apprentissage autonome des ordinateurs…

Vue de l’installation “Deep Meditations” de Memo Akten.

Au cœur du quartier de West End à Londres, dans une salle de l'hotel ME, le plafond de verre culmine à plus de 80 mètres et les lumières de la terrasse panoramique se reflètent sur les parois de marbre. L’effet crée un polygone doré. Dans un léger ronflement, trois projecteurs crachent une myriade d’images multicolores sur les murs, transformant l’intérieur de la pyramide noire en un immense kaléidoscope. Intitulée Deep Meditations, l’œuvre est signée Memo Akten. L’artiste a récupéré des milliers de fichiers sur Internet et, par le biais d’un algorithme, les a soumis à un morphing. Progressivement, elles se métamorphosent. Akten a également glané des enregistrements de prières et de chants spirituels sur YouTube, les mélant les uns avec les autres pour composer une bande originale caverneuse et hypnotique. Ces images incertaines se transforment lentement. Tel le die and retry, mécanisme de jeu vidéo empirique qui invite à perdre puis à recommencer, elles s’éveillent pour mieux mourir.

 

Né à Istanbul (Turquie) en 1975, cet artiste et technologue vit et travaille à Londres. En 2018, fasciné par les interactions entre l’homme et la machine, il prépare activement un doctorat en intelligence artificielle. Forme, mouvement, lumière, son… Memo Akten, grand défenseur des logiciels en libre accès, étudie la capacité d’une simple machine à comprendre puis à réutiliser les informations que l’homme lui fournit. Ses mises en scène virtuelles, sortes de tableaux animés, s’inspirent du machine learning, un champ d’étude de l’intelligence artificielle fondé sur l’apprentissage automatique. Si cela semble nébuleux, le principe demeure, finalement, assez simple… dans les grandes lignes.

 

 

 

Dans la réception de l’hôtel, entre veillée solennelle et expérience mystique, chacun cherche à figer une image avant qu’elle ne disparaisse.

À l’aide d’un algorithme, on peut imiter le fonctionnement du cerveau humain, et notamment du cortex visuel, qui reconstitue les informations captées par l’œil. Il est par exemple possible de fournir trois mille images de chats à une intelligence artificielle en lui indiquant “Ceci est un chat”. L’IA analyse chaque image, en identifie les similitudes, les condense et produit alors un nouveau visuel : un chat nébuleux mais identifiable. Aussi fascinante que terrifiante, cette expérience prouve l’hypothétique autonomie de l’ordinateur .

 

 

Tel le die and retry,
mécanisme de jeu vidéo empirique qui invite à perdre puis à recommencer, les images de Deep Meditations s’éveillent pour mieux mourir.

 

 

Tel est le projet des scientifiques japonais Guohua Shen, Tomoyasu Horikawa, Kei Majima et Yukiyasu Kamitani. En décembre 2017, ils publient le compte rendu de leurs recherches – sur la plateforme BioRxiv –, visant à utiliser l’intelligence artificielle pour décoder, voire projeter la pensée. “Nous avons étudié différentes méthodes permettant de reconstruire une image vue par un individu, simplement en étudiant son activité cérébrale, explique Yukiyasu Kamitani, autrefois, nous supposions qu’une image n’était qu’un assemblage de formes et de pixels. En vérité, pour traiter les informations visuelles, notre cerveau hiérarchise des caractéristiques plus ou moins complexes.

 

Dans la réception de l’hôtel ME, éclairés par quelques bougies, entre veillée solennelle et expérience mystique, des types en costume sombre ont enfoui leur corps dans des poufs à billes géants. Chacun cherche à figer une image avant qu’elle ne disparaisse. Face à Deep Meditations, hypnotisés par cette œuvre psychédélique, certains s’évadent déjà.

 

Deep Meditations de Memo Akten a été exposée à Hôtel ME London. L’œuvre sera présentée à Barcelone lors du festival Sónar au stand Meliá. Elle survient dans le cadre de la conférence de Sónar+D – branche de Sónar –, congrès international axé sur la création numérique. L’œuvre fait écho aux deux thèmes principaux de la conférence annuelle : “l’expérience comme langage créatif de notre époque” et “l’intelligence artificielle comme outil de création artistique”.