L’artiste Pak révolutionne la vente d’œuvres d’art chez Sotheby’s
Alors que la technique d’authentification de créations numériques NFT (Non Fungible Token) fait le tour du monde, séduisant autant les acteurs du monde de l’art contemporain que des personnalités éminentes de la culture telles que Grimes ou Kate Moss, la maison Sotheby’s se joint au phénomène en organisant à son tour sa première vente d’œuvres d’art NFT. Signées par l’artiste et designer Pak, dont l’identité reste à ce jour secrète, ces vidéos abstraites en 3D s’accompagnent d’un ensemble de protocoles de vente pour le moins originaux, qui préfigurent un nouveau chapitre du marché de l’art.
Par Matthieu Jacquet.
“Chacun peut certes enregistrer un fichier jpg, mais comment faire pour l’enregistrer en tant que performance numérique ?”. À elle seule, cette phrase de l’artiste Pak résume tout l’enjeu des œuvres dites “NFT” – pour Non Fungible Token, c’est-à-dire “jeton non-fongible” –, qui agitent particulièrement le monde de l’art depuis plusieurs mois. Car si cette technique d’authentification d’un fichier numérique grâce au blockchain ne date pas d’hier, mise au point ces dernières années par des spécialistes de l’informatique afin de rendre uniques des fichiers numériques, elle provoque en 2021 un véritable séisme : après la vente à 69,4 millions de dollars début mars de l’œuvre numérique Everydays – The First 5000 days par la maison Christie’s, faisant de son auteur Beeple le troisième artiste vivant le plus cher au monde, de nombreuses personnalités dans et hors du milieu de l’art contemporain se sont entichées des NFT, redoublant d’idées afin de s’approprier cette technique et en tirer profit. Ainsi, le musicien et producteur new-yorkais Aphex Twin l’utilisait récemment pour vendre une œuvre musicale co-réalisée avec l’artiste Weirdcore, au même titre que la chanteuse canadienne Grimes, dont une fresque surréaliste numérique lui a rapporté six millions de dollars en moins de vingt minutes. Le 8 avril dernier, c’était au tour de la chanteuse sri-lankaise M.I.A. de mettre en vente une collection de gifs pendant 24 heures, avant que la mannequin Kate Moss n’annonce à son tour commercialiser trois courtes vidéos d’elle-même, là aussi authentifiées par NFT.
Pendant que le monde de la culture, particulièrement perturbé par la crise sanitaire, s’ébaudit de cette nouvelle opportunité numérique lucrative et se creuse la tête pour l’exploiter, la maison de vente Sotheby’s saisit à son tour l’occasion de conquérir ce marché florissant en développant un projet original. Du 12 au 14 avril, elle organise en ligne sa première vente d’œuvres NFT dont l’auteur n’est autre que l’artiste et designer Pak, figure anonyme mais majeure de la création numérique depuis deux décennies, et fondateur de l’intelligence artificielle Archillect, qui propose ici une sélection de vidéos inédites mettant en scène des volumes géométriques – cubes, sphères et autres tétraèdres – blancs modélisés en 3D, en rotation sur fonds noirs. Mais ce n’est pas dans l’esthétique minimaliste de ces formes abstraites que réside toute l’innovation de l’artiste. Là où les ventes aux enchères proposent traditionnellement en amont un catalogue d’œuvres uniques, en série ou en éditions limitées à un certain nombre d’exemplaires, Sotheby’s et Pak profitent des possibilités offertes par ce marché numérique pour y amener de nouvelles modalités. Pendant les trois jours de vente, la maison révèlera progressivement sur son site internet de nouvelles œuvres de l’artiste, créant la surprise chez les acheteurs.
Par ailleurs, Pak propose une sculpture numérique faite de cubes multiples (dite en “Open Edition”) mais le nombre de pièces sera limité : contrairement aux œuvres conventionnelles, ces cubes seront disponibles à n’importe quel acheteur exclusivement pendant la durée de la vente. Récemment, la galeriste Almine Rech explorait également ce type d’éditions avec des œuvres numériques de l’artiste Kenny Scharf. Ainsi la valeur de l’œuvre, habituellement déterminée a priori, se voit donc pour cette pièce de Pak écrite a posteriori, c’est à dire en fonction du nombre final d’acheteurs une fois le quart d’heure de vente écoulé. Son apparence, elle aussi modulable, changera selon les sommes investies par chacun : plus les montants proposés seront élevés, plus les cubes seront nombreux dans l’œuvre finale acquise.
Ces idées audacieuses sont loin d’être les seules nouveautés apportée par Pak dans cette vente, où chaque œuvre proposée vient avec un critère spécifique. Aussi, une œuvre unique baptisée The Cube reviendra par exemple à la personne qui aura acheté le plus de cubes sur la pièce en open edition, tandis qu’une autre sera décernée comme une récompense à celui ou celle qui résoudra un puzzle, ou qui utilisera un hashtag donné sur son réseau social avec l’audience la plus importante. Autre curiosité, Pak met en vente un carré gris d’un seul pixel, pierre angulaire de l’image numérique dont l’estimation commence à un dollar seulement. Chacun de ces critères sont en ce moment détaillés sur le site de Sotheby’s, où les œuvres peuvent être vues en qualité optimale et enregistrées par chacun au format vidéo ou jpg – une manière de rappeler tout l’apport des NFT, qui permettent de distinguer numériquement l’œuvre originale de sa reproduction accessible à tous. Son succès semble d’ailleurs au rendez-vous : hier, pour la première journée de la vente, 19 880 cubes “Open Edition” ont été vendus en quinze minutes, atteignant la somme de 9,94 millions de dollars, en attendant demain les résultats finaux de ce projet ambitieux.