La voix de Björk enchante le Centre Pompidou pour alerter sur le climat
Alors que le Centre Pompidou organise jusqu’au dimanche 24 novembre un “Forum biodiversité” rythmé par de nombreuses conversations et projections, la chanteuse Björk et le curateur Aleph dévoilent dans l’iconique chenille du bâtiment une pièce sonore inédite. Aleph Molinari revient avec nous sur ce manifeste pour la nature, offrant une réponse optimiste à l’urgence climatique.
Par Matthieu Jacquet.
Björk & Aleph dévoilent une pièce sonore au Centre Pompidou
La “chenille” du Centre Pompidou se serait-elle soudainement transformée en jungle luxuriante ? Pendant les deux prochaines semaines, ce secteur emblématique du bâtiment parisien, long tube en verre accueillant l’escalator qui relie ses six étages, s’anime au gré d’une installation sonore déroutante. Piaillements d’oiseaux, crissements de criquets et autres coassements de grenouilles se superposent tandis que résonne une voix féminine : “It is an emergency / The apocalypse has already happened / and how we will act now is essential” (“Il y a urgence : l’apocalypse est déjà là, et notre manière d’agir maintenant est essentielle”). Certains reconnaîtront immédiatement la chanteuse Björk, qui prononce ici ces mots avec un ton solennel. Après des premières phrases inquiétantes, alertant notamment sur l’extinction massive des espèces, son discours se mue rapidement en hommage à la biodiversité, présageant notamment la mutation des animaux, des humains et de la nature au gré des bouleversements de notre planète, tout cela alors que les visiteurs se dirigent vers le dernier niveau du bâtiment parisien.
Voilà donc Nature Manifesto, pièce sonore inédite créée par l’Islandaise avec Aleph Molinari, curateur et co-rédacteur en chef du magazine Purple, spécialement pour le Centre Pompidou. Alors que s’y tient ce week-end le “Forum biodiversité : quelle culture pour quel futur ?”, rythmé par de nombreuses conversations et projections autour des menaces qui pèsent sur le vivant, le duo dévoile sa proposition dans une partie symbolique de l’architecture signée Renzo Piano mais jamais utilisée pour des projets artistiques : la chenille, un espace très emprunté par le public, notamment car il reste accessible gratuitement à tous les curieux.
“La crise climatique ne cesse d’accélérer, c’est exponentiel et on le sait tous, nous annonce immédiatement Aleph Molinari, qui a donné l’impulsion pour ce projet original. Il est donc important de tisser des liens entre les scientifiques, qui déclenchent l’alarme, et les artistes, qui ont le pouvoir d’apporter du récit et de l’émotion à toutes ces informations, parfois difficiles à comprendre. Ils doivent livrer un message qui dépasse l’espoir et l’angoisse pour entrer dans un terrain d’action.” C’est avec cette idée en tête qu’Aleph et Chloé Siganos, cheffe du service des spectacles vivants au Centre Pompidou, décident il y a quelques mois de travailler ensemble sur une création sonore immersive centrée sur les enjeux environnementaux, avant la fermeture du musée en 2025.
Björk : une chanteuse engagée, sensible à la crise climatique
Proche de Björk, le curateur voit instantanément chez elle l’artiste idéale pour se prêter au jeu. Depuis des années, la célèbre chanteuse se bat pour la préservation de la planète à travers de nombreuses actions concrètes, entre campagne pour la protection de la nature islandaise et concert pour protester contre la prise de contrôle de ses ressources énergétiques. Il y a tout juste un an, elle dévoilait un morceau inédit en duo avec Rosalía, dont les fonds financeront des frais juridiques pour encadrer l’élevage intensif de saumons. Autant de démarches qui, doublées de l’imaginaire foisonnant déployé depuis trente ans par l’artiste dans ses paroles et ses clips, se trouvent toujours motivées par son espoir et sa volonté de transformer le monde.
Un manifeste sonore collaboratif, avec la participation de l’Ircam
Lors de la dernière tournée de l’Islandaise, Aleph avait été particulièrement marqué par le texte déroulé sur les écrans lors du concert, un hommage à la nature incitant à l’action. Un texte qu’il a souhaité retravailler avec Björk afin d’en faire un manifeste qu’elle clamerait elle-même dans l’espace du musée. Mais une simple lecture ne saurait satisfaire l’insatiable musicienne, toujours désireuse de contrer l’attendu : afin d’accompagner ce texte, Björk a recueilli des enregistrements de bruits d’animaux et de nature, qu’elle a ensuite travaillés pendant des mois avec l’aide des compositeurs Robin Meier Wiratunga and Bergur Þórisson et de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), pour composer cette pièce de trois minutes quarante. “L’idée était d’utiliser les bruits d’animaux pour donner une parole à la nature, explique Aleph. Nous avons voulu intégrer des espèces en danger et d’autres plus invasives, comme les moustiques, qui migreront inévitablement vers la moitié nord de la planète à cause le réchauffement climatique.”
La faune et la flore s’animent dans les escalators
Ainsi, alors que l’on remonte les escalators jalonnés de hauts parleurs du Centre Pompidou, on croit discerner parmi ces “ambiances sonores” des cris d’orangs-outans, de phoques ou encore les bourdonnements d’abeilles pendant que la voix de Björk égrène le nom de quelques espèces – bélugas, paons, lémuriens… Malgré ces impressions, on apprendra que l’Islandaise a changé la fréquence des sons des animaux pour prêter à confusion, transformant par exemple le bruit des singes pour imiter le vol des insectes. L’ajout d’une ligne de basse, qui vibre de plus en plus fort à mesure que l’on avance dans la chenille, donne une impression d’élévation jusqu’au dernier étage, où la symphonie explose sur des beats plus rythmés. “Cette pièce est d’autant plus pertinente qu’elle est présentée en plein milieu d’une grande ville, où l’on se trouve très éloignés de la nature”, ajoute le curateur mexicain.
Un processus organique qui intègre l’intelligence artificielle
À travers ce projet, Aleph fut fasciné de découvrir le processus créatif de la chanteuse avant-gardiste, connue pour avoir intégré très tôt la technologie dans son processus alors que son utilisation dans la musique était encore souvent décriée. “Björk travaille de façon très artisanale et organique. Lorsqu’elle compose, elle tisse les sons, comme si elle faisait du crochet. Il y a dans ses gestes beaucoup de caresses, mais qui donnent parfois un résultat bien plus lourd et puissant, comme ce que l’on entend tout en haut de la chenille.” À travers les outils et logiciels mis à disposition par l’Ircam, la création de la pièce a également fait appel à l’intelligence artificielle, pour fluidifier certaines actions et transformer certains sons.
Si l’IA inquiète nombre d’artistes, Aleph et Björk préfèrent en embrasser les nombreuses possibilités : “Dans l’intelligence artificielle, il existe certes un aspect formel, très structuré et rationnel pour élaborer les prompts, mais aussi un côté très poétique, explique le curateur. Ces outils permettent d’atteindre des résultats complètement imprévus, presque comme des poèmes dadaïstes. Pour moi, le véritable enjeu réside dans la manière où nous utilisons ces technologies, qui consomment énormément de ressources, pour apporter des solutions aux défis actuels.”
Un film d’Anohni et une soirée de DJ sets avec Joakim et Mykonos
Au-delà du Nature Manifesto, Aleph est également en charge de deux autres grands projets qui marqueront la programmation du forum. D’abord, la projection ce samedi d’un film inédit de la chanteuse engagée Anohni, centré sur la figure de la politicienne pakistanaise Benazir Bhutto, première femme à avoir été élue démocratiquement à la tête d’un pays musulman avant d’être assassiné en 2007. “Ce film transmet un message très profond sur notre relation à la nature, mais aussi sur la figure féminine et notamment la mère, commente Aleph. Il insiste sur notre nécessité de redonner le pouvoir aux femmes, car ce sont elles les plus proches de la nature, capables de donner la vie et de la protéger.” En complément de cette projection, Aleph organisera demain soir une soirée aux côtés des musiciens Joakim et Mykonos : lors de leurs DJ sets respectifs, les trois artistes mêleront électro et sons de la nature, parachevant cette célébration poétique, jubilatoire et profondément optimiste, de la biodiversité.
Björk & Aleph, “NATURE MANIFESTO”, pièce sonore présentée du 20 novembre au 9 décembre 2024 dans la chenille du Centre Pompidou.
BENAZIR, nouveau film d’Anohni, projection le samedi 23 novembre 2024 à 17h50 au niveau -1 du Centre Pompidou.
Soirée « WIld Resonance”, DJ sets de Joakim,Aleph et Mykonos, de 19h30 à 22h45 dans le Forum du Centre Pompidou.
Dans le cadre du forum “Biodiversité. Quelle culture pour quel futur ?”,
du 20 au 24 novembre 2024 au Centre Pompidou, Paris 4e.
Découvrez la programmation intégrale de l’événement.