18
18
La photographe Lea Colombo fait valser les couleurs et les corps au 3537
Photographe reconnue dans le monde de la mode depuis plusieurs années – Givenchy, Vetements –, Lea Colombo s’expose au 3537 jusqu’au 3 novembre. Dans ce bâtiment parisien au cœur du Marais, on découvre une œuvre pluridisciplinaire allant bien au-delà de la photographie, de ses portraits de chamanes sud-africaines et autoportraits aux tonalités vibrantes imprimés sur textile ou mis sous Plexiglas, à des volets plus récents de sa pratique : des sculptures en pierre, installations et une bande sonores, qui complète une immersion multisensorielle célébrant la spiritualité de la couleur et des corps.
Une exposition au-delà des codes de la photographie
C’est une forêt de clichés, contenus dans de petits cadres en Plexiglas et suspendus au plafond par des cordelettes, qui attend actuellement le visiteur du 3537, au cœur du Marais. Baignées de part et d’autre par la lumière naturelle qui s’échappe des grandes fenêtres de cet ancien hôtel particulier, les images de visages et de corps de femmes aux tonalités vives et captivantes – rose fuchsia, bleu nuit, vert émeraude… – attirent l’œil immédiatement. En traversant cette nuée visuelle, le visiteur découvre, d’une face à l’autre de chaque œuvre, deux images dos à dos presque identiques, qui diffèrent grâce à l’ajout de filtres colorés, de motifs, et de légers décalages dans leur collage. À l’image de cette installation originale, son auteure, la photographe Lea Colombo, l’annonce d’emblée : cette exposition personnelle ne sera pas seulement une exposition de photographie, déjouant les attentes de celles et ceux qui connaîtraient déjà ses projets remarqués pour le monde de la mode. Sur la série de portraits qui s’invitent sur ces images, les visages de sangoma, guérisseuses d’Afrique du Sud, apparaissent de façon quasi mystique. Pour autant, cette série de l’artiste de 29 ans, qui a grandi elle aussi dans ce grand pays africain, est bien loin d’une démarche anthropologique. En travaillant autant la prise de vue à l’argentique et au numérique que son traitement en post-production et ses dispositifs d’exposition, elle laisse avant tout triompher la sensorialité et insuffle à son installation une aura presque magique. Au-delà du visuel, celle-ci se complète d’ailleurs par une création sonore diffusée dans l’espace, mêlant des voix célestes et chants traditionnels à des tintements de cloches pour plonger les visiteurs de l’exposition dans un moment méditatif. L’artiste l’explique elle-même : présentée jusqu’au 3 novembre, cette rencontre spirituelle et multisensorielle avec la couleur et les corps vise avant tout à se connecter de manière “plus profonde aux œuvres, aux énergies et à soi-même”.
Une ode à la puissance des corps féminins
A quelque pas de là, un corps de femme nue au poing levé se détache d’un ciel aux reflets sanglants. Cet autoportrait de Lea Colombo surgit comme point culminant d’une forme de sanctuaire, composé de sept tissus transparents et légers flottant contrastant avec l’espace brut du bâtiment. Présent de nouveau sur un voilage vert émeraude, puis, quelques pas plus loin, sur un tissu immaculé, le corps de l’artiste occupe ici une place centrale. Pourtant, ce de sa pratique est encore très récent : “Il y a deux ans, si on m’avait demandé si un jour je me photographierais, j’aurais ri en disant que c’était impensable !”, confie l’artiste. Dans cet espace sacralisé exaltant la puissance féminine, l’artiste reproduit et décline sa propre silhouette support après support, jusqu’à en faire une véritable icône. Si adolescente, la photographe a grandi fascinée par les images léchées des magazines de mode, véhiculant un certain idéal féminin, elle utilise aujourd’hui sa pratique pour s’émanciper des normes enfermant les corps et réfute explicitement leur érotisation dans son travail. Passée depuis par Paris, New York et Londres avant de rentrer dans son pays natal en 2019, l’artiste a développé au fil des années une photographie où l’étrangeté flirte avec le magique qui a aussi bien séduit des magazines tels que Numéro art — Lea Colombo réalisait notamment en 2021 une série de portraits du célèbre artiste Damien Hirst – que des labels tels que Givenchy ou Vetements, séduits par son univers où l’étrangeté flirte avec le magique. Au 3537, ses autoportraits se marient à des portraits intimistes de femmes chamanes, en plan rapprochés et aux couleurs saturées, magnifiées telles des divinités contemporaines. Complété par deux de ses sculptures en jades rouge et orange, pierres sacrées à l’aspect lisse et brillant dont les formes arrondies peuvent évoquer les courbes féminines, ce temple érigé par l’artiste pose un nouveau regard sur la représentation des femmes dans l’art, réifiées et standardisées des siècles durant par le regard masculin.
Comme des divinités, les figures féminines sont magnifiées et témoignent d’un attrait de l’artiste pour la représentation des corps. Si adolescente, elle était fascinée par les images léchées des grands magazines de mode, elle développe aujourd’hui une pratique réflexive qui s’émancipe des normes encadrant les corps. Lea Colombo capture avec spontanéité les corps féminins, qui flirtent avec l’étrange et le magique. Elle explique : “Il n’y a pas de sexualisation dans mes clichés mais une image forte et puissante”. Dans l’exposition, flottant dans l’espace, sept tissus légers et transparents sur lesquels se détachent des visages et des corps de femmes en couleurs, composent un sanctuaire en hommage à leurs puissances. L’énergie qui s’en dégage invite à s’y recueillir. Parmi eux, un autoportrait situé au centre révèle le corps nu de l’artiste dont on n’aperçoit que la silhouette, dont le poing levé se détache d’un ciel nuageux aux reflets sanglants. Si cette image détient dans la salle – et même dans l’exposition – une place centrale, s’affichant de nouveau sur un voilage vert émeraude, puis, quelques pas plus loin, sur un tissu immaculé, l’artiste, qui a débuté les autoportraits pendant la pandémie, nous confie : “Il y a deux ans, si on m’avait demandé si un jour je me photographierai, j’aurai ri en disant que c’était impensable”. Ici, Lea Colombo gomme tout contexte initial pour ne conserver que sa silhouette. Devenue icône, le corps de l’artiste dialogue dans l’installation avec des portraits intimistes de chamanes, en plan rapprochés et aux couleurs saturées. Complétée par deux sculptures en jades rouge et orange, pierres sacrées à l’aspect lisse et brillant, dont les formes arrondies, renvoient aux courbes féminines, l’installation consacre la puissance féminine en même temps qu’elle pose un regard sur la représentation des femmes dans l’art, souvent réduites à une silhouette, une forme et un visage.
Si un terme devait définir la pratique prolifique de la photographe Léa Colombo, ce serait la couleur. Ses clichés frappent par leurs nuances flamboyantes et l’aura quasi spirituelle qui s’en dégage. Né en 1993 en Afrique du Sud, la photographe déménage à 18 ans à Paris. Passant ensuite par Londres et New-York, l’artiste développe en autodidacte une pratique de la photo instinctive à mi-chemin entre analogique et numérique. Capturant dans ses portraits l’instant avec une spontanéité qui lui est propre, l’artiste se forge progressivement un nom qui la conduit à collaborer avec des labels tels que Givenchy ou Vetements et des grands magazine de mode. Un rêve qui se se réalise pour celle qui, depuis l’adolescence, est fascinée par les images léchées des magazines. En 2019, fatiguée de l’effervescence urbaine et attirée par les paysages et l’énergie spirituelle de son Afrique du Sud natale, elle décide de retourner à Cape Town. Progressivement, pendant la pandémie, la photographe développe une pratique plus intime à travers des série d’autoportraits dévoilant son corps. Elle fait l’objet en 2021 d’une exposition à Cape Town et Los Angeles, intitulée “Colors of My Body”.
Depuis, Léa Colombo expérimente une pratique photographique qui flirte avec la peinture, et rappelle par certains côtés la peinture abstraite. Elle dessine, sur ses images saturées de couleurs, des symboles, des traces, autant d’indices de son passage qui traduisent la spontanéité de son geste. Fascinée par le travail de la matière en photographie qu’elle explore déjà en développant elle-même certains de ses tirages, sa pratique déborde aujourd’hui sur la sculpture. Travailler la pierre est pour elle un façon de se reconnecter à la matière. Du 20 octobre au 3 novembre, Léa Colombo investit l’hôtel particulier du 3537, pour une exposition pensée comme une reconnexion à soi à travers l’expérience de la couleur. Intitulée “A Downward evolution”, elle s’accompagne de la sortie d’une édition exclusive ponctuée de ses autoportraits colorés et intimes.
Un rapport spirituel à la création
Au centre de la dernière salle de l’exposition “A Downward Evolution”, une sculpture parallélépipédique monumentale compose une sorte de totem. Sur chacune de ses quatre faces, une même silhouette féminine blanche se détache d’un fond aux couleurs percutante, tantôt dans des dégradés du rouge à l’orange, tantôt du jaune au vert ou encore du violet au rose. Ces quatre autoportraits de Lea Colombo sont découpés en sept parties horizontales qui, en tournant sur l’axe central vertical du volume, décomposent et recomposent le corps de l’artiste à l’envie à l’image d’un Rubik’s Cube. Ces silhouettes morcelées aux couleurs saturées, que l’on retrouve au complet dans les tirages accrochées sur les murs environnants, on discerne des formes en zigzags, des triangles et autres cercles, symboles ajoutés à la main par l’artiste qui traduisent la dimension picturale de sa pratique, transformant la prise de vue après son tirage en apposant sur l’image des traces frénétiques. Fortement inspirée par la philosophie bouddhiste, en particulier la théorisation du corps en sept chakras, l’artiste a matérialisé par les sept parties de la sculpture que l’on retrouve dans cette dernière salle les tonalités qui leur sont associées – le rouge pour la racine, le vert pour le cœur –, leur offrant une dimension thérapeutique assumée : l’artiste dira elle-même de la couleur qu’elle renferme “des possibilités de guérison multiples”. Plus récemment chez Lea Colombo, cette approche s’est étendue à la réalisation de sculptures en pierres, qu’elle envisage comme un retour primaire à la création. Car, ne l’oublions pas, la pierre est elle aussi porteuse d’énergie – en atteste cette amulette en quartz rose suspendue au plafond par une chaine en métal. Au fil de son parcours, le spectateur est invité à se recueillir devant ces sculptures aux airs de “talismans”, voire à les toucher et à les faire tourner, se livrant à son tour à une expérience mystique… orchestrée par l’auteure de ces œuvres, véritable chamane de l’image et de la couleur.
Lea Colombo, “A Downward Evolution”, jusqu’au 3 novembre 2022 au 3537, Paris 4e.