Jeff Koons in 5 kitsch and provocative works
Couleurs criardes, esthétique hédoniste et parfum de scandale… Depuis ce mercredi 19 mai, vingt œuvres de Jeff Koons envahissent le Mucem, à Marseille, pour la première exposition personnelle de l’artiste new-yorkais depuis sa grande rétrospective au Centre Pompidou il y a sept ans. L’occasion de revenir sur cinq pièces d’un homme qui a fait du kitsch un principe esthétique… et démocratique.
Par Alexandre Parodi.
“Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde” écrivait en 1986 l’un des principaux théoriciens du kitsch, le romancier Milan Kundera, dans son essai L’Art du roman. Regarder le monde en évacuant ses aspérités, tel est l’idéal contenu dans cette esthétique dont Jeff Koons, artiste américain né 1955, se fait le pontife contemporain. Erigeant en œuvre d’art des objets de divertissement et de plaisir issus de la culture populaire, l’ancien courtier à la bourse de Wall Street exacerbe tout au long de sa carrière, des années 80 à aujourd’hui, l’usage de ce langage visuel simplifié, dont la principale valeur est de provoquer un plaisir immédiat chez le spectateur. Comparable à un artiste comme Marcel Duchamp, premier à transformer en œuvres d’art des objets pré-fabriqués avec ses ready-made, l’artiste américain aujourd’hui soixantenaire s’en distingue néanmoins par l’aspect volontairement tape-à-l’œil de ses productions. Parfois monumentales, souvent dotées de couleurs criardes et d’une texture reluisante, les célèbres sculptures de Jeff Koons en inox – son matériau favori – font peu à peu de l’artiste un chef-d’entreprise : quatre-vingt-dix employés travaillent pour lui Chelsea avant le krach de 2008, qui entraîne la fermeture de ce qui ressemblait plus à une usine qu’à un atelier. Parmi elles se retrouvent le Balloon Dog (Orange) d’une taille de 3 mètres de haut pour un poids d’une tonne, son premier gros succès commercial en 2013 avant la vente du Rabbit, adjugé à 91,1 millions de dollars en 2019, qui fait de lui l’artiste vivant le plus cher du monde. Malgré ce statut prestigieux, l’Américain issu de la classe moyenne, fils d’un père commercial qu’il doit assister dans sa jeunesse en faisant avec lui du porte-à-porte, se défend de vouloir ironiser sur le mauvais goût, préférant revendiquer la sincérité d’une production artistique accessible quelque soit le bagage culturel de chacun. A l’occasion de son exposition personnelle “Jeff Koons Mucem”, qui met depuis le 19 mai vingt de ses créations en regard d’objets et pièces d’art populaires sélectionnées par l’artiste dans les collections du musée marseillais, retour sur cinq œuvres emblématiques d’un homme imprégné des esthétiques industrielles et publicitaires, qui souligne leurs excès autant qu’il les sacralise.
1. New Hoover Convertible (1981) : faire l’éloge du banal
Avec ses “Nouveaux Aspirateurs Convertibles”, Jeff Koons documente la vie de tous les jours, en exposant sans fioriture les éléments qui la composent. L’artiste n’intervient que dans la mise en scène de ces appareils électroménagers, qu’il reprend tel quel avant de les installer dans des boîtiers en Plexiglas éclairés par des néons blancs. En transformant les rayons d’un grand magasin en socles pour exposer ses œuvres dans l’enceinte des musées, Jeff Koons confère une valeur sacrée à des objets qui en sont a priori dépourvus tout en redonnant de la dignité à ceux qui les utilisent, soumis à l’éternel recommencement d’une tâche laborieuse. En exhibant cet outil du travail domestique, l’artiste place sous les projecteurs le symbole d’un quotidien banal avec la volonté de rendre les visiteurs fiers de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent.
2. Bourgeois Bust (1991) : mettre en scène sa propre vie intime
Loin de l’esthétique commerciale et industrielle des aspirateurs sous cloche, ce buste en marbre d’environ un mètre de hauteur se réapproprie cette fois-ci le langage classique pour mieux le subvertir. Vêtue d’une lingerie de perles, une femme s’apprête à donner un baiser à son amant alors que le contour de leurs deux silhouettes dessine la forme d’un cœur. Evoquant aussi bien le baiser de la Belle au bois dormant délivrée par son prince que l’érotisme explicite d’un film pour adulte, cette sculpture démontre la capacité de Jeff Koons à jouer sur la communication de sa vie intime pour faire la promotion de son œuvre. En 1991, l’artiste épouse l’actrice de films X Ilona Staller – dite « la Cicciolina”, que l’on peut traduire de l’italien par “chérie-chérie” – et réalise peu de temps après cette sculpture, ainsi que les autres pièces de la série Made in heaven (“Fabriqué au paradis”), à l’effigie du couple en pleine action. L’Américain tourne d’ailleurs avec sa femme un film pornographique, faisant de leurs deux corps la matière première de son œuvre autant qu’une sacralisation de la fertilité.
3. Hanging Heart (1994-2006) : jouer sur des symboles universels
En 1994, Jeff Koons et Ilona Staller officialisent leur divorce. Comme une manière de se remettre de cette séparation, l’artiste s’engage dans la plus longue série de sa carrière, Celebration, débutée cette même année et achevée en 2006. Pendant ces douze années, vingt sculptures et seize tableaux grands formats seront produits, figurants un univers festif et enfantin. On y retrouve notamment le Hanging Heart (“Cœur suspendu”), une sculpture en acier inoxydable rouge et doré de presque 3 mètres de haut qui restitue avec précisions les rondeurs et les plis d’un ballons gonflé à l’hélium. Avec cette réalisation au message très clair, Jeff Koons joue avec l’ambivalence du symbole universel et éternel de l’amour, aussi bien présent dans la représentation chrétienne de la passion du Christ que dans les produits dérivés commercialisés aujourd’hui, à l’occasion de la Saint-Valentin.
4. Backyard (2002) : submerger le spectateur
Après la réception mitigée de sa série Made in heaven dans les années 90, Jeff Koons revient au début des années 2000 avec d’immenses tableaux aux couleurs criardes et surchargés d’éléments figuratifs, reprenant l’imagerie des affiches publicitaires. Jeff Koons intègre à ses compositions des personnages expressifs comme ceux que l’on croise sur les paquets de céréales ou dans les dessins animés. Toujours fasciné par les animaux gonflables, il représente ainsi dans Backyard des jouets aquatiques remplis d’air, pris dans un fatras d’objets : chaises rustiques, chaînes rouges, corbeilles noires, arc-en-ciel… Si chargée qu’elle en devient étouffante, la composition accule le visiteur par sa surdose d’informations visuelles et revêt une apparence presque inquiétante, chose rare dans l’univers optimiste de Jeff Koons.
5. Gazing Ball – Picasso Couple (2014-2015) : revisiter les toiles de maîtres
En 1969, Pablo Picasso achevait le Baiser, une peinture représentant deux visages attachés l’un à l’autre par le bout des lèvres. Une seule touche de couleur y apparaît : le bleu cyan qui colore les rayures d’un mur à l’arrière plan. Quarante-cinq ans plus tard, Jeff Koons – qui travaille habituellement avec des assistants – peint de sa main Gazing Ball (Picasso Couple) et imite le tableau de l’artiste espagnol en veillant à s’approprier au mieux ses codes graphiques, affirmant à la fois sa maîtrise technique et sa connaissance de l’histoire de l’art. Placé au milieu de la toile, un globe bleu électrique en inox reflète le spectateur qui contemple l’œuvre, manière de l’intégrer à la composition à travers ce vortex en relief. En déplaçant son énigmatique boule bleue d’un chef-d’œuvre à l’autre au cours de sa série Gazing Ball (2014-2015), Jeff Koons “profane” ces icônes de l’histoire à l’aide de ce motif kitsch, brouillant ainsi les frontières entre art classique et contemporain.
La rétrospective Jeff Koons au MUCEM est ouverte du 19 mai au 18 octobre 2021.