How artist Tarek Lakhrissi’s poetic works are weapons to write new realities
Chaque saison, Numéro art propose avec la maison Gucci un aperçu des jeunes talents de la scène artistique française. Aujourd’hui, focus sur l’œuvre pluridisciplinaire de Tarek Lakhrissi, explorant aussi bien la sculpture que la vidéo, la performance que la poésie, investie d’un ardent désir de déconstruction des savoirs, de transmission et d’émancipation.
Les formes de Tarek Lakhrissi sont volatiles et lorsqu’elles se montrent, c’est toujours pour mieux s’absenter. Il faudrait d’emblée préciser qu’il n’y a là nulle préciosité de l’inframince, pas plus que de politesse de l’effacement : ce serait encore concéder au centre ses pleins pouvoirs, et à la norme sa permanence. Au contraire, lorsque, pour sa première exposition personnelle, l’artiste tapisse le sol de sable (Caméléon Club, 2019), qu’il vient suspendre ses lances et ses pieux à hauteur de visage (Unfinished Sentence II, 2020) ou qu’il darde dans l’espace des queues tranchées de salamandre (This Doesn’t Belong to Me, 2020), c’est bien de désidentification qu’il s’agit.
Ces trois installations sculpturales récentes de l’artiste, respectivement présentées lors d’un solo à La Galerie, CAC de Noisy-le-Sec, et d’expositions collectives au Palais de Tokyo à Paris et au CAC Brétigny, ainsi qu’à la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo à Turin, distillent alors autant de stratégies qui, à la résilience, allient la ruse. Né en 1992 à Châtellerault, passé par un master en études théâtrales à Paris et à Montréal avant d’officier un temps à la librairie parisienne queer Les Mots à la Bouche, Tarek Lakhrissi est aujourd’hui installé à Bruxelles. Son parcours, à l’instar de l’esprit qui infuse chacune ses pièces, il le construit par imbrications et cercles concentriques : de médiums d’une part, parcourant le film, la vidéo, la performance et l’installation; de scènes d’autre part, s’entourant de présences allié.e.s passées et présentes, réelles et fictives.
Dans le cadre d’Unfinished Sentence II, l’artiste convoquait ainsi dans le même souffle, et sur le même plan, la pionnière des gender studies Monique Wittig, autrice notamment des Guérillères (1969), et les héroïnes des séries télévisées des années 90 Buffy contre les vampires ou Xena, la guerrière. Mais, chez l’artiste, le procédé prend plus largement valeur de méthodologie. Ainsi de sa langue, cet idiome venant oraliser le palimpseste, tour à tour poétique et argotique, louvoyant entre l’anglais, le français et l’arabe, ne capturant rien d’autre que l’empreinte d’un contexte, l’indice d’un passage, le bruissement d’un corps. En 2019, Tarek Lakhrissi publiait Fantaisie finale, son premier recueil de poésie, mais c’est également par des formats performés hybrides qu’il fait sonner sa langue – une langue – lors de la navigation Internet vidéoprojetée de Blouse bleue (2018) ou du karaoké Y2K (des années 2000) de conSpiration (2019).
Mais c’est peut-être un workshop, pensé comme une “école d’automne”, organisé mi-octobre à la Maison populaire à Montreuil dans le cadre de l’exposition collective “I’m from nowhere good”, qui cernerait le mieux sa pensée, et sa pratique. Mêlant master class et ateliers de création, porté par des intervenant.e.s de sensibilité queer, décoloniale et féministe, le format, une forme en soi, fournissait autant d’outils d’émancipation à la question de l’atomisation des savoirs que des manières de se rassembler, ailleurs et autrement.