13 mai 2019

Hilma af Klint, la sorcière de l’art abstrait qui a bousculé le Guggenheim

Cette année, le Musée Solomon R. Guggenheim à New York présentait l’exposition “Hilma af Klint: Paintings for the future”. Héroïne de cet événement qui a bousculé le monde de l’art : une artiste suédoise inconnue, disparue en 1944. D’après la rumeur, elle aurait inventé l’art abstrait…

Vue d’installation, Hilma af Klint: Paintings for the Future, Musée Solomon R. Guggenheim, New York, Du 12 octobre 2018 au 23 avril 2019. Photo: David Heald. © The Solomon R. Guggenheim Foundation 2018.

New York, 19 avril 2019. À quatre jours de la fermeture de l’exposition Hilma af Klint : Paintings for the future, la plateforme Artnet annonce déjà que la rétrospective est un succès : plus de 600 000 visiteurs se sont pressés dans les couloirs du musée cette saison. Depuis son inauguration en 1959, nul n’est parvenu à générer un tel niveau d’affluence, pas même les colosses de l’art… La rétrospective Alberto Giacometti avait attiré moitié moins de spectateurs. À l’échelle internationale, l’exposition Hilma af Klint : Paintings for the future est prise au sérieux, elle a rencontré plus de succès que la rétrospective de la Fondation Louis Vuitton consacrée à Jean-Michel Basquiat. Hasard ou miracle, tout porte à croire que les inconnus ont la cote.

 

 

Précieusement dissimulées par son neveu après sa mort, les œuvres de Hilma af Klint ont été oubliées, effacées de la mémoire artistique.

 

 

Née à Stockholm, Hilma af Klint (1862-1944) est une artiste au destin hors du commun. Elle voit le jour dans un pays où le genre importe peu lorsque l’on est  artiste. Au même titre que n’importe quel jeune homme, elle étudie donc la technique du portrait et du paysage à l’Académie royale des arts de Suède et obtient son diplôme en 1887. Lassée par ces travaux “trop conventionnels”, Hilma af Klint s’intéresse de plus près aux phénomènes surnaturels et adhère, deux ans plus tard à la Société théosophique, communauté mystérieuse semblable à la franc-maçonnerie. Progressivement, son intérêt pour la vie spirituelle et intérieure se renforce et se développe. Fascinée par les fantômes et les esprits, Hilma af Klint rejoint logiquement De fem (“des cinq”), un groupe ésotérique de femmes qui s’adonne à des séances de spiritisme… En 1906, l’un de ces esprits lui ordonne de peindre une série de tableaux : The Painting for the Temple, qui exigera une dizaine d’années, présente une peinture de sorcellerie qui supprime toute référence au réel.

Entre temps, elle rencontre Rudolf Steiner, l’un des fondateurs de la société anthroposophique – courant ésotérique qui emprunte autant au bouddhisme qu’à l’hindouisme et au christianisme. Steiner lui suggère de ne pas dévoiler cette série qu’il juge trop en avance sur son temps. Hilma af Klint patiente. En 1913, Vassily Kandinsky réalise sa première toile abstraite et s’approprie une révolution, engagée par une femme avant lui. 

 

 

Précieusement dissimulées par son neveu après sa mort, les œuvres de Hilma af Klint ont été oubliées, effacées de la mémoire artistique. Conformément à ses dernières volontés, ce n’est qu’en 1986, près de 40 ans après sa mort, qu’une première exposition au LACMA (Los Angeles County Museum of Art) la révèle au public. Suivra une discrète rétrospective au MoMA P.S. 1, trois ans plus tard. Aujourd’hui encensée par le musée Guggenheim, sacrée pionnière de l’art abstrait, Hilma af Klint rappelle Vermeer, peintre oublié pendant près de deux siècles et redécouvert lorsque l’esthétique des scènes de genre répondait aux canons du mouvement réaliste. Curieusement, l’histoire se répète, et tout comme le maître hollandais, ses œuvres séduisent un public contemporain. De cette manière, ses pastels peuplés de structures pyramidales, pelotes de laine, bulbes, pétales de fleurs et ammonites captivent les utilisateurs d’Instagram qui l’on mentionné près de 40 000 fois sur le réseau social. Les causes de ce succès ? Une quiétude, une volupté et une cohérence stylistique, des sentiments évoquant de manière singulière les “feeds” populaires de la plateforme.

 

Group IX/SUW, The Swan, No. 17 (Grupp IX/SUW, Svanen, nr 17), [1915], Série SUW/UW, huile sur toile, 150,5 x 151 cm. The Hilma af Klint Foundation, Stockholm. Photo: Albin Dahlström, the Moderna Museet, Stockholm.

Mais Instagram n’est pas à l’origine du succès de Hilma af Klint, cette exposition au musée Guggenheim n’aurait pas attiré autant de visiteurs si l’institution n’avait pas mis l’accent sur les inspirations quasi magiques de l’artiste. Sa fascination pour les fantômes, les esprits ou l’au-delà résonnent fortement avec l’attrait des millenials pour le paranormal. Nourries par la culture Youtube — et ses offres infinies de vidéos fantasmagoriques en tout genre — ou les films de science-fiction, cette génération rompt plus que jamais la frontière entre les mondes réels, fictifs et virtuels. Les sorcières — de retour sur Netflix et dans nos bibliothèques — sont les nouvelles coqueluches de la culture pop, l’astrologie une superstition tendance, et la peinture occulte le reflet enchanteur de la nouvelle génération.